ITALIE

République italienne
Capitale : Rome
Superficie : 301 225 km2
population : 57 500 000 hab.

Géopolitique italienne (1996)

Introduction

C'est à Venise, en septembre 1996, qu'Umberto Bossi, sénateur italien et leader de la Lega Nord a lu devant 50 000 sympathisants, la déclaration d'indépendance de la Padanie.
Par delà son aspect quelque peu provocateur et folklorique, cette proclamation marque sur le plan symbolique, un tournant important pour l'ethnie italienne et surtout pour son État national édifié il y a tout juste un peu plus d'un siècle.
La Padanie, ce sont les régions septentrionales de l'État italien, irriguées pour l'essentiel par le Pô et ses affluents, celles qu'on regroupait naguère sous le terme de Haute-Italie et qu'on opposait à la Basse-Italie , le Mezzogiorno .
La Lega Nord, elle, est un parti qui a su fondre dans une perspective unitaire, des organisations autonomistes régionales - lombarde, vénète, piémontaise - qui existaient à l'État groupusculaire depuis deux ou trois décennies. Sous la férule de son leader charismatique et démagogue U. Bossi, et profitant adroitement du rejet de la classe politique italienne entraîné par l'opération judiciaire Mains propres , elle s'est imposée électoralement au début des années 90 comme le premier parti en Padanie.
Derrière la prétendue sécession padane se cache un siècle d'incompréhensions réciproques entre le Nord et le Sud de l'Italie. L'idéologie assez fumeuse de la Lega Nord est bâtie sur une série de reproches faits à l'État, accusé de gabegie et traité de tyran fiscal, reproche que résume bien

le slogan « Rome, la voleuse » ; aux Méridionaux, décrétés être par nature, mafieux et paresseux ; et également, aux immigrés extra-communautaires venus d'au delà des frontières de l'Union européenne et par définition, perturbateurs d'un art de vivre civilisé et opulent .
Cette rhétorique ligueuse n'est que le masque trompeur d'une réalité psycho-culturelle médiocre. À l'instar des Méridionaux, les habitants de la Padanie constituent un corps social gangrené par des tares qu'ils ont largement contribué à laisser se développer et dont ils refusent d'assumer maintenant leur part de responsabilité.
Après avoir été en termes économiques, culturels et sociaux, les grands bénéficiaires de l'unité italienne, les Padaniens, ou du moins une importante et agissante minorité d'entre eux, voudraient pouvoir profiter entièrement et au plus vite, des opportunités intéressantes et des perspectives brillantes que leur offre le renforcement de l'intégration européenne. C'est banalement égoïste et bien peu héroïque de la part d'une population par ailleurs fort attachante.
Cela étant dit, les problèmes de fond de la société et de l'État italiens sont bien réels et méritent d'être envisagés dans leur profondeur historique. L'idée fédéraliste s'est imposée ces derniers temps dans le discours politique péninsulaire. La réflexion générale n'est cependant guère allée au delà du concept de fédéralisme fiscal , lequel ne semble qu'une incantation destinée à évacuer le problème de la fiscalité que l'Italie contemporaine n'a jamais su, ou jamais voulu résoudre sérieusement.
Or il semble bien qu'on ne puisse concevoir un fédéralisme à l'italienne que si l'on tient compte des contingences géopolitiques globales de l'Italie actuelle, et pas seulement des rapports Nord/Sud qui forment ouvertement ou de façon plus souterraine, la trame de la politique italienne depuis l'Unité.
Ce sont ces contingences que nous allons essayer de définir plus avant.

Arrière-plan historique

Comme les autres ethnies romanes, l'ethnie italienne s'est constituée sur les décombres de l'empire romain entre le IVe et le IXe siècles. Sans remonter au peuplement préhistorique, sa genèse, de même que celle de son État national, peuvent se résumer ainsi.

L'Antiquité
Le vieux fond humain celtique, ligure et vénète au nord, étrusque et latin au centre, italique, sicule, illyrien et hellénique au sud, a été unifié politiquement et linguistiquement par les Romains entre le IIe s. avant et le Ve s. après J.C.
On notera que cette unification avait été en quelque sorte « préparée » au VIes. avant JC. par l'expansion étrusque de la Toscane à la Lombardie et à la Campanie. Et on se souviendra que Rome, bien que métisse, est l'héritière directe de la civilisation étrusque.
C'est sur la base de ce substrat antique que les partisans de la Lega Nord prônent avec leurs « macro-régions » (les Républiques de Padanie, d'Etrurie et du Sud), une rénovation de l'État en Union (fédérale) italienne .

Les Barbares
Après la décadence et la chute de l'empire romain, c'est l'élément germanique qui s'impose et singulièrement, les Longobards, d'où nous viennent Lombards et Lombardie. Ils vont constituer le second peuple unificateur d'un ensemble qui restait assurément disparate et peu homogénéisé.
Moins marquée au Sud qui était resté dans l'orbite gréco-byzantine, leur influence politique et linguistique sera décisive en ce qui concerne le Nord et le Centre. Le superstrat longobard entravera totalement la séparation de ces régions qui était en cours de sédimentation à leur arrivée dans la péninsule à la fin du VIe siècle.
De façon récurrente, les empereurs d'Allemagne successifs chercheront à unifier sous leur coupe l'Italie et s'attacheront à conserver un caractère romain à leur Saint Empire germanique.

Moyen-Age et Temps modernes
Après les Longobards, les apports humains successifs ne modifieront pas substantiellement le composé ethnique italien désormais stabilisé. Ces faibles contingents seront d'ailleurs facilement absorbés (Arabes et Berbères, Hongrois, Albanais, Slaves, Asiatiques, Hispaniques, Français, Allemands).
Jusqu'à nos jours cependant, l'Italie, issue d'un peuplement bigarré, se déclinera surtout comme les Italies , tant du point de vue dialectal que culturel.
C'est le résultat d'une histoire qui a échappé en grande partie à son peuple, brillant, industrieux, commerçant, aventurier, intrigant mais finalement peu doué pour l'État et peu conquérant si on le compare sur plusieurs siècles, à ses voisins, Allemands, Français et Espagnols.

Les voisins impérialistes
Qu'ils soient autrichiens, espagnols ou français, ils se sont longtemps battu pour assurer leur main-mise sur tout ou partie de la péninsule. Héritiers lointains de Charlemagne, leurs monarques étaient fascinés par les richesses de l'Italie. Mais c'était surtout le contrôle politique qu'ils espéraient pouvoir exercer sur la papauté qui motivait puissamment leurs ambitions hégémoniques.
Par une ironie de l'Histoire, c'est finalement une famille de souche italienne, les Buonaparte, qui allait, au nom de la France impériale et jacobine, mettre l'Italie sur les rails de l'unité nationale.

La papauté
L'existence séculaire de l'État temporel pontifical en plein coeur de l'ethnie italienne a eu sur celle-ci un double effet.
D'une part, dans sa tentative constante d'échapper aux puissances temporelles et même de leur imposer sa suprématie morale, le Saint-Siège a longtemps contrecarré l'unité politique italienne, depuis le VIIIe siècle jusqu'en 1870, pour être précis.
D'autre part, et comme pour contrebalancer cette tendance fâcheuse, la papauté a, par son contrôle absolu des âmes et des coeurs, assuré l'unité de culte et de culture des Italiens. Ainsi balaya-t-elle si profondément et si fermement les tentations cathares de la Padanie et de l'Etrurie aux XIIIe et XIVe siècles que la Réforme n'atteignit jamais l'Italie. De même qu'elle éradiqua complètement l'influence byzantine dont était imprégné le Sud.
A cela, il convient d'ajouter que la papauté joua dans certaines circonstances historiques, la carte de l'italianité. Ce fut le cas lorsqu'elle soutint, au cours des XIe et XIIe siècles, les villes du Nord (Milan et Vérone) contre le Saint Empire qui tentait de réduire leurs autonomies. C'est à cette époque que fut fondée autour de ces deux villes, la première ligue lombarde .
Par un singulier retournement de l'histoire, U. Bossi et G. Miglio, les dirigeants de la Lega Nord, ont réussi à la ressusciter mais contre Rome, cette fois. De même ont-ils détourné le symbole du Carroccio , le char-étendard des milices milanaises alliées au Pape et luttant, au XIe siècle, contre l'Empereur germanique.
Au XVIe siècle, s'associant à l'Espagne, Venise et la Suisse, le pontife sera à l'initiative d'une Sainte Ligue pour la libération de l'Italie qui permettra aux États de l'Eglise de s'accroître substantiellement mais provisoirement vers le nord (Romagne et Emilie).
Depuis 1870, le rôle temporel de l'État pontifical, réduit de facto à la Cité du Vatican, n'est plus que l'ombre de lui-même. Il fallût cependant attendre les Accords du Latran (1929) avec le régime fasciste pour que le Saint-Siège en convînt.
Toutefois, depuis 1945, jouant désormais à fond l'unité italienne, la papauté aura exercé une emprise énorme sur le gouvernement de la République par le truchement de la Démocratie-chrétiennne.

Les tendances unitaires
La dislocation de l'empire carolingien permît, au IXe siècle, l'émergence des nations et la constitution d'États nationaux : les uns durables, royaumes de France et d'Allemagne, les autres éphémères, royaumes occitans d'Aquitaine et d'Arles et royaume d'Italie. Malgré ses rois nationaux , ce dernier, constitué par la seule Haute-Italie, n'arrivera pas, au Xe siècle, à se cimenter et à s'imposer dans le choeur des nations.
Happée dans la mouvance du Saint Empire germanique, l'Italie sera réduite pendant de nombreux siècles à n'être qu'une nation éclatée d'États rivaux. Ceux-ci, gouvernés par des partisans du pape (Guelfes) ou de l'empereur (Gibelins) auront parfois des ambitions extra-italiennes (Gênes, Venise).
Néammoins, certains des États de la Padanie (Lombardie, Venise) auront au cours du temps, des politiques visant à l'hégémonie dans le nord de la péninsule. Le sud restera, lui, fermement dominé par l'étranger (Français puis Espagnols).
Dans un contexte nouveau - celui créé par la grande Révolution -, dernier venu sur la scène italienne après avoir rompu avec son héritage français, le royaume de Savoie, puis de Piémont-Sardaigne, sera l'unificateur.
Efficaces, disciplinés, les Piémontais, dotés d'une armée puissante, d'une administration efficiente et de dirigeants compétents, sauront capitaliser les effets positifs de la politique italienne des Bonaparte. Ils auront également l'habileté de récupérer à leur profit, le mouvement d'émancipation nationale et sociale emmené par les républicains Mazzini et Garibaldi qui, au XIXe siècle, traversait l'Italie du nord au sud. Tout cela dans le contexte européen éminemment favorable de l'ère des nationalités - qu'on appellerait aujourd'hui ethnies .
A plus d'un siècle de distance, il convient de saluer la brillante réussite géopolitique de Cavour et des autres dirigeants piémontais. Parmi les États apparus ou réapparus au XIXe siècle sur la scène européenne, et malgré quelques errements coloniaux, l'Italie peut être regardée comme l'aboutissement le plus accompli et le plus stable de la logique des nationalités.
De fait, ni les deux Guerres mondiales ni le passage à l'État fasciste puis à la République n'ont pu altérer son caractère fondamental d'État-nation de l'ethnie italienne.

La langue
Quant à la langue, il faut bien admettre qu'à partir du XIIIe siècle, le durable rayonnement culturel et économique de la Toscane a été décisif pour faire du toscan, quelque peu modifié par des emprunts aux autres dialectes, la langue nationale.
On conviendra aisément que si cet idiome s'est imposé au cours des siècles aux élites de chacun des nombreux États qui se partageaient l'Italie, c'est qu'il apportait à chaque région une dimension nationale avant la lettre, dimension que n'assuraient pas les dialectes locaux.
Avant l'Unité, aucune pression politique ne s'est exercée pour en assurer la prééminence, preuve qu'existe un certain déterminisme ethnique et national. Après 1870, le toscan modifié, élevé au rang de langue nationale, fut un enjeu géopolitique, social et économique de premier ordre car son apprentissage allait de pair avec l'alphabétisation. Aujourd'hui, l'italien est le patrimoine commun de tous les Italiens même si l'usage des dialectes persiste.

L'Italie et sa problématique nationale

Une fois établis les fondements historiques - ethniques et Étatiques -, de la réalité italienne, il convient d'analyser les problèmes géopolitiques qui se posent à l'Italie d'aujourd'hui.

A) Unité nationale et régions

Si l'on fait abstraction des zones périphériques peuplées de minorités ethniques, jamais depuis l'unification, l'unité et la cohésion territoriale de l'État italien n'ont été remises en question. Ni par une partie de l'ethnie italienne ni par des pays voisins.
Des mouvements localistes et particularistes se sont, certes, manifesté de loin en loin. Mais seule la Sicile a eu, à la suite de la Deuxième Guerre mondiale, quelques velléités séparatistes, sérieuses puisqu'elles étaient le fait de la Mafia. Rapidement, elles furent mises sous l'éteignoir par la promotion du personnel politique local au niveau national.
Le clivage historique entre le Centre-Nord, plus développé, et le Sud, plus arriéré économiquement et socialement, s'est perpétué sous forme de préjugés tenaces et d'un racisme diffus.
La question méridionale a été l' objet de nombreux programmes d'action et de débats sans fin. Mais jusqu'à l'émergence récente de la Lega Nord, ils n'ont jamais débouché, ni au Nord ni au Sud, sur un quelconque mouvement contestaire de remise en cause de l'assise territoriale du pays et de l'État. L'alliance des origines entre les grands industriels de la Padanie et les latifundistes méridionaux a tenu bon.
Il aura fallu attendre l'implosion de la Première République sous les coups de la justice pour qu'une partie conséquente des Nordistes se mette à considérer comme étranger le gouvernement de Rome. L'idée padaniste se renforça alors même que l'État, rompant avec une longue politique de laxisme budgétaire et fiscal, entreprenait sa modernisation.
Dans le Centre-Nord, la révolte des petits et moyens entrepreneurs se joignit au malaise des salariés de la grande industrie en pleine restructuration. Cette révolte se cristallisa autour du parti le plus protestataire et le plus démagogique, la Lega Nord. Renouant avec le courant fédéraliste qui anima les cercles républicains au temps du Risorgimento - le Lombard Cattaneo en était le chef de file -, la Lega Nord a finalement relancé un débat nécessaire.
La décentralisation instaurée en 1970 a marqué un moment important dans la modernisation et l'européisation du pays. Cependant, elle a fini par trouver ses limites car elle n'était qu'un compromis intéressant entre le jacobinisme de l'État, unifié sur le modèle piémontais, et la séculaire tradition de pouvoirs régionaux indépendants.
Aujourd'hui, le passage à un stade plus avancé de pouvoir régional répond à une demande de la société civile. Mais il y a lieu de le considérer comme une évolution propre à garantir le dynamisme européen du pays. La réforme des institutions italiennes s'impose donc.

B) Minorités ethnico-nationales périphériques

Nous n'avons jusqu'à présent parlé que de l'ethnie italienne. Elle représente, certes, l'essentiel du peuplement, soit 92 % des habitants du pays. Mais, abstraction faite des immigrés récents (Africains, Asiatiques, etc.) ou plus anciens (Albanais, Croates, Catalans, etc.), les Italiens sont entourés de plusieurs fractions d'ethnies qui sont autochtones dans les diverses régions qu'elles peuplent.
Représentant environ 5 % de la population totale et 6 % du territoire, elles forment, de la Sardaigne au Frioul en suivant l'arc alpin, comme une couronne de populations périphériques et marginales.

Latins comme les Italiens, on trouve du sud-ouest au nord-est,
a) - les Sardes :
les plus nombreux (1 400 000), ils occupent leur grande île de Sardaigne mais ont aussi d'importantes communautés émigrées au Nord (Piémont, Lombardie). Intégrés, certes, ils préservent cependant jalousement leur identité ethnique.
b) - les Occitans :
dans leurs vallées des Alpes occidentales, ils sont 200 000 auxquels il faut ajouter une émigration très importante en Piémont, Lombardie, Ligurie et en France (Occitanie et région parisienne). Parmi eux, sont les Vaudois, seule communauté historique d'Italie qui soit rattachée au protestantisme.
c) - les Français :
souvent et improprement appelés Franco-provençaux , ils sont au nombre de 120 000 qui se répartissent entre les Valdôtains, les plus connus, et les habitants des vallées comprises entre le Val d'Aoste et le Val Suse.
Seuls les Valdôtains disposent depuis 1948, d'un statut d'autonomie garanti internationalement et au Val d'Aoste, le français est co-officiel avec l'italien.
d) - les Rhètes :
ils se subdivisent en plusieurs sous-ensembles,
1. les Ossolans, les gens de la Valtellina et les Ladins du Stelvio, peut-être 100 000, très assimilés linguistiquement, n'ont qu'une faible conscience ethnique et ne sont pas reconnus. Leur situation s'apparente à celle des Rhètes italianisés du Tessin et des Grisons suisses ;
2. les Ladins des Dolomites (30 000) sont, eux, beaucoup plus conscients de leur identité et plus enclins à la défendre. Ils se sentent bien des affinités avec les Tyroliens germanophones avec lesquels ils partagent une longue communauté historique ;
3. les Frioulans, au nombre de 800 000, sans compter les très nombreux émigrés d'Europe et d'Amérique, vivent sur le glorieux passé du patriarcat d'Aquilée mais sont très incisifs sur le plan économique. Ils constituent le lien naturel de l'Italie avec l'Europe danubienne. Leur attachement durable à la Démocratie-chrétienne ne leur a pas valu pour autant toute la considération que leur langue et leur culture méritent.

L'élément germanique est représenté par
- les Allemands,
lesquels se subdivisent en
1. Walsers, - appellation équivalant à Valaisans -, qui peuplent (15 000) les contreforts du mont Rose et le haut val Toce, à l'est du Val d'Aoste et qui prolongent la Suisse alémanique ;
2. Tyroliens, forte et solide communauté de 320 000 membres, adossés à la mère-patrie autrichienne. Ils en furent séparés à l'issue de la Première Guerre mondiale, le Tyrol méridional ayant été annexé par l'Italie au titre de sa participation à l'Entente victorieuse.
Depuis, ils se sont affirmés comme les allogènes les plus acharnés à défendre leur identité ethnique et leurs droits nationaux. En 1946, l'Italie leur concéda, sous les auspices internationaux, un statut d'autonomie. Celle-ci fut accrue en 1972 à la suite de la signature en 1969, du fameux pacchetto , ensemble de mesures de transfert de pouvoirs.
3. Austro-bavarois de Bladen et Tischlwang, deux communes frontalières des Alpes carniques, historiquement liées au Frioul.
À part sont les Cimbres, vivant en isolats séparés du territoire ethnique allemand, peu nombreux et largement assimilés par leurs voisins italiens.

Les Slaves forment une seule minorité consistante,
- les Slovènes, qui sont une fraction du petit peuple avoisinant l'Italie au nord-est de la péninsule (110 000). Habitant la zone frontalière avec la région de Trieste comme épicentre, ils sont actuellement, en termes de représentation géopolitique, le problème le plus délicat à résoudre pour l'État italien. Ils jouissent de quelques facilités sur le plan linguistique mais réclament depuis de longues années, une tutelle plus sérieuse.
En 1954, le règlement de la question de Trieste par l'Italie et la Yougoslavie titiste n'a sûrement désamorcé que pour un temps - désormais révolu -, un différend très sensible. L'indépendance de la Slovénie et de la Croatie a remis sur la sellette la douloureuse et épineuse question istrienne .
Egalement slaves sont les Croates de la province de Campobasso (Molise). Ils ne représentent, ni par leur implantation ni par leur nombre (5000), un quelconque problème.

Autres allogènes.
Le tour d'horizon ne serait pas complet si nous ne mentionnions pas
- les Maltais
qui peuplent, à l'extrême-sud du pays, les petites et très excentrées îles de Pantelleria, Linosa et Lampione. Totalement italianisée, cette population de pêcheurs est d'origine arabe. Elle se perçoit comme aussi méprisée par la Sicile que ne l'est celle-ci aux yeux du reste de l'Italie.

D'autres petites minorités allogènes et bilingues sont installées depuis longtemps au milieu des populations italiennes (Albanais et Grecs dans le Sud, Catalans en Sardaigne, Tsiganes, Juifs, Arméniens). Dispersés, bien intégrés pour l'essentiel, largement assimilés dans certains cas, ces groupements ne constituent ni un péril ni un enjeu géopolitique.
Ces minorités sont autant de ponts vers l'extérieur pour la société italienne et une invite à appréhender correctement et sereinement la question de la nouvelle immigration. Dans un pays de traditionnelle émigration, l'intrusion de celle-ci constitue une petite révolution culturelle.
Très disparate par l'origine ethnique de ses composantes, cette immigration constitue, en Italie comme ailleurs, un problème d'intégration culturelle et sociale mais pas vraiment un problème géopolitique.

C) Les territoires et populations « irrédentes »

A côté des régions allogènes à la périphérie interne de l'Italie, on ne peut oublier qu'existent, à sa périphérie externe, des régions d'ethnie, de culture et de langue italiennes. Ces territoires et les populations qui les habitent doivent être considérés comme de réels enjeux géopolitiques dans un avenir pas forcément très lointain.
On ne tiendra pas compte dans ce tableau, des populations nissardes et savoyardes annexées par la France en 1870. Quoique encore imprégnées de leur passé italien qu'a pu venir renforcer une immigration récente, leur sort est globalement lié à celui des populations occitanes et françaises voisines.
Laissées pour compte de l'imparfaite unification de l'Italie, les seules régions qui peuvent entrer dans l'orbite italienne sont :

la Corse
Le substrat humain est en Corse de même type qu'en Sardaigne et, ajouté au fait insulaire, il rend la parenté entre Corses et Sardes bien évidente. Sur le plan linguistique, l'île n'est que partiellement francisée et le bilinguisme corse/français est général. Le nord de l'île parle un dialecte italien de type toscan, le sud, un dialecte hybride au substrat sarde accusé, semblable en tous points à celui du nord de la Sardaigne.
Achetée en 1768 à la république de Gênes par la France, la Corse fut de tout temps liée à l'Italie. Sans remonter à la colonisation étrusque puis romaine, le destin des Corses est intimement lié à celui des Toscans (Pise) et des Liguriens (Gênes). Malgré la farouche résistance de Pasquale Paoli et de ses troupes républicaines, la Corse ne put résister à la main-mise de la monarchie capétienne.
Avec les Buonaparte, la Corse se trouva bien vite un destin français. De Napoléon jusqu'à la décolonisation de l'empire français, les Corses seront profondément liés à un État impérial qui aura su canaliser leur combativité en la sublimant dans ses entreprises coloniales.
Le glas de l'Algérie française sonnera toutefois le début d'une remise en question totale du statut de la Corse. L'afflux de Pieds-noirs et autres immigrés dans l'île, la fin du débouché dans la fonction publique aux colonies, le recentrage de la métropole vers l'Europe du Nord vont créer les conditions de la remontée des tendances séparatistes.
Elles prendront très vite un aspect violent en phase avec le tempérament et la culture corse. Dans les années 80, jusqu'à 1/4 des électeurs manifesteront leur sentiment indépendantiste. Seule la permanence des liens étroits entre les clans et l'État central maintiendra les Corses dans le giron de la République.
Dans le cadre de la décentralisation, l'Ile de Beauté obtiendra cependant en 1982, un statut particulier qui sera amplifié en 1991. Mais le Conseil constitutionnel invalidera en mai 91, l'article 1er du statut qui constatait l'existence d'un peuple corse, composante du peuple français .
Un blocage de cette évolution semble actuellement dominer, une partie du nationalisme local ayant dérivé vers la délinquance armée. Le climat de violence régnant dans l'île empêche assurément l'éclosion de nouvelles formes d'auto-affirmation nationale.

le Tessin
Ce canton méridional de la Confédération helvétique est situé au nord de la Lombardie. Si la région de Lugano est depuis longtemps de langue italienne, l'essentiel du pays tessinois est resté jusqu'au siècle dernier, fidèle à ses parlers de type rhétique. De même les portions du canton des Grisons considérées comme italophones, sont en fait semi-rhétiques.
Conquis par les cantons alémaniques, le Tessin est devenu suisse au début du XVIe siècle. À l'heure actuelle, se manifeste dans le canton, une colonisation démographique rampante par les Alémaniques. Elle a suscité un malaise diffus dans la population autochtone qui s'est traduit par l'apparition d'une Lega degli ticinesi . Ce mouvement comparable sur bien des points aux ligues nord-italiennes s'oppose à elles par son isolationnisme suisse foncier et son refus de l'intégration européenne.

l'Istrie
Située au confluent des mondes latin, slave et germanique, la péninsule istrienne est de longue date une zone frontalière. Longtemps dépendante de Venise, austro-hongroise au XIXe siècle et jusqu'à 1918, italienne entre les deux Guerres puis yougoslave à partir de 1945, son histoire récente en a fait un enjeu de premier ordre.
Le peuplement de l'Istrie, complexe à l'origine, a été drastiquement simplifié en 1945 lorsque les Italiens en furent massivement chassés par les titistes.
Les Slovènes, au nord de l'Istrie et autour de Trieste, et les Croates, au sud et à Rijeka/Fiume constituent depuis des siècles le fond du peuplement. Mais la côte occidentale de l'Istrie, de toujours latine, y a vu se développer un dialecte italien spécifique, l'istrien. Trieste et Muggia étaient jusqu'au XIXe siècle, des îlots frioulans en domaine slave. Une partie des Italiens peuplant l'Istrie et la côte dalmate provenaient de l'assimilation des Dalmates, dixième ethnie romane aujourd'hui éteinte. Le reste des Italiens de cette région étaient des immigrants de la Vénétie voisine. Dernier élément du puzzle, la petite communauté des Tchitches, antiques descendants des pasteurs roumains venus du fin fond des Balkans au XVIIe siècle.
Environ 300 000 habitants vivent à l'heure actuelle en Istrie - croate et slovène - dont 60 000 Italiens, soit 1/5 de la population. En 1945, ce sont plus de 250 000 Italiens et assimilés qui furent expulsés de cette région, lorsqu'ils ne furent pas massacrés.
Depuis 1989, la Diète démocratique istrienne , organisation pluri-ethnique, milite en faveur de l'autonomie d'une Istrie unifiée dans un cadre supra-Étatique. Pour cela, elle se heurte à la volonté centralisatrice extrême de l'État croate qui rogne un peu plus chaque jour les droits et les libertés acquis sous la Yougoslavie unitaire.

Perspectives et propositions

Penser l'Italie qui vient, c'est d'abord accepter le primat de la société civile sur l'État. Monarchique, fasciste ou républicain, l'État italien semble être essentiellement, pour le citoyen, l'État des autres : piémontais pour le Sicilien, méridional pour le Lombard, bourgeois pour l'ouvrier, policier pour le mafieux... Il convient donc de s'en protéger, soit en l'investissant et en le dévoyant, soit en considérant comme salutaire de le tromper et de le voler.
Pour arriver à unifier et coaguler les groupes sociaux et pour surmonter les clivages régionaux, l'État a sécrété une abondante bureaucratie parasitaire, source de tout le malaise italien.
L'hypertrophie bureaucratique ne peut être dépassée que dans l'expansion coloniale. Mais, en supposant que celle-ci soit réalisable, le peuple italien dans toutes ses nuances ne semble pas pouvoir adhérer profondément à une telle perspective. C'est en tout cas l'enseignement qu'il faut tirer de la période fasciste.
Paradoxalement, car elle a contribué à sa mise en place, c'est à une bureaucratie plus puissante qu'elle que la bureaucratie italienne est aujourd'hui confrontée, l'européenne. Elle se retrouve donc coincée entre les exigences de cette dernière et celles de ses citoyens.
On ne peut donc, en tout État de cause, souhaiter qu'un État minimum aussi efficient et cohérent que possible dans les domaines qui lui incombent en propre : adaptation et gestion des institutions, diplomatie, défense, monnaie, maintien de l'ordre, justice.

A) Une fédération de régions pour un État moderne

La décentralisation de 1970 ayant montré ses limites, il convient d'aller au delà. Les exemples les plus intéressants pour l'Italie semblent être ceux de l'Allemagne fédérale et de l'Espagne démocratique. De par leur échelle et de par leur genèse, ils correspondent mieux aux réalités italiennes que les cas de figure suisse ou belge. L'expérience espagnole permet également d'aider à envisager le problème nationalitaire des ethnies périphériques.
Les divers niveaux d'ancrage du fédéralisme italien sont :

a) La commune
Tout le monde s'accorde à dire que l'entité de base reste l'échelon communal. Cela va de soi. Ce qui gêne en l'espèce, c'est la dimension que doivent avoir les communes. Milan et Fraisse/Fràssino en Val Varaita, dans la province de Cuneo, sont deux communes. A l'évidence, leur sort ne saurait être considéré avec les mêmes instruments d'approche ni traité avec les mêmes moyens institutionnels.
Il faut donc reconsidérer de manière souple le cadre dans lequel doivent pouvoir s'associer les petites communes, leur disparition par regroupement autoritaire n'étant sûrement pas un facteur de progrès dans les zones marginalisées ou en voie de l'être. À ce titre, le maintien des Comunità montane - Communautés de montagne - semble un élément décisif de la revitalisation des régions fragiles.

b) La province
La suppression des provinces ne s'impose pas. Héritées du centralisme jacobin piémontais, elles peuvent continuer à jouer un rôle de pure administration déconcentrée. Dans certains cas bien particuliers, la création de nouvelles provinces (occitane ou ladino-dolomitique, par exemple) doit aider à la restructuration de l'espace politique italien.
De nombreuses communes limitrophes se trouvent incorporées illogiquement au sein d'entités dans lesquelles elles sont mal à l'aise. C'est au niveau provincial qu'il convient de modifier cet État de choses.

c) La région
L'échelon régional est celui sur lequel se fixe actuellement l'attention des citoyens et du personnel politique.
Une solution simple serait de conserver les régions actuelles et de leur déléguer de nouveaux pouvoirs. La force des habitudes prises y incline mais la nécessité de donner par la rénovation fédérale, une réelle dimension européenne aux régions, oblige à repenser la taille de celles-ci.
L'union fédérale de trois macro-régions dotées de très larges pouvoirs qu'a avancée la Lega Nord est une idée forte. Elle paraît cependant peu conforme aux traditions péninsulaires de cités/régions-États. Elle fait totalement l'impasse sur les contradictions qui peuvent exister entre les régions, de la Padanie, par exemple. Mais on peut conserver l'idée d'association macro-régionale pour définir des politiques communes à plusieurs régions et ce dans quelque domaine que ce soit.
Les propositions de la Fondation Agnelli nous paraissent plus pertinentes et plus sages. Elles visent à redessiner l'assiette territoriale des régions tout en augmentant leurs pouvoirs et en réduisant leur nombre de 20 à 12. La fédéralisation de l'État sur ces bases semble réaliste et correspond à un besoin moderne et à une tradition historique.

d) La région à statut spécial
Du nord au sud, cinq régions sont dotées depuis 1948 d'un statut spécial. Ce sont le Val d'Aoste, le Trentin-Haut Adige, le Frioul-Vénétie julienne, la Sardaigne et la Sicile. Pour des raisons de géopolitique internationale, seules les deux premières jouissent effectivement de ce statut, les autres arrivant à peine au statut normal. Mise à part la Sicile dotée de ce statut spécial à la suite de sa poussée de fièvre indépendantiste de 1945, les autres régions ont été reconnues comme distinctes et établies sur la base des particularismes ethniques locaux. En fait, cette distinction ne se concrétise par des mesures linguistiques qu'au Val d'Aoste et au Sud-Tyrol.
En pratique, depuis 1948, l'État central ne s'est jamais heurté à des difficultés majeures dans ses diverses tentatives d'édulcorer les divers statuts spéciaux. Forts de leurs garanties internationales, seuls les Sud-tyroliens du Haut-Adige (province de Bozen/Bolzano), l'auront fait plier, et Rome a dû leur faire de nouvelles concessions.
Les divers projets de réorganisation de l'État semblent persévérer dans la voie tracée par les différents gouvernements de l'après-guerre. En général, ils ignorent complètement l'existence de ces statuts particuliers et les passent en perte et profit.
Ainsi, tout en déclarant vouloir conserver les régions à statut spécial, le projet de la Lega Nord tend à dissoudre leur identité dans un grand ensemble pensé comme géoéconomique. Les différentes régions peuplées par les nationalités alloglottes (Occitans, Français, Allemands, Rhètes, Slovènes, en Padanie et Sardes, dans le Sud) sont de simples subdivisions de vastes bassins macroéconomiques qui n'ont pas à être prises en considération.
La Fondation Agnelli ne tient également aucun compte des exigences et des besoins des nationalités périphériques. Dans son souci de rationnalisation, elle fait totalement abstraction du facteur ethno-culturel alors que tout démontre qu'il est un puissant levier du dynamisme économique (Catalogne, Flandres, Israël, Slovénie, Ecosse, Guangdong, Taïwan, Singapour...).
Il faut au contraire renouveler le lien contractuel des minorités territoriales avec la République italienne qui, selon l'article 6 de sa Constitution, protège par des mesures appropriées les minorités linguistiques . Au minimum, le statut spécial du Val d'Aoste doit être étendu aux autres nationalités qui n'en sont pas pourvues : Sardes, Occitans, autres Français, Allemands hors du Tyrol (Walsers et Bavarois des Alpes carniques), Rhètes (Ladins et Frioulans) ainsi qu'aux Slovènes.

B) Destin des minorités périphériques

Malgré les réticences et les contre-mesures réactionnaires mises en oeuvre par trop d'États, l'Europe se construit chaque jour davantage, en tenant compte de l'existence de minorités ethno-linguistiques et en essayant de réparer les torts qu'elles ont pu subir dans le passé.
En Italie, l'opinion publique et nombre d'intellectuels éminents sont acquis à l'idée d'une juste tutelle des minorités de ce pays. Les politiciens, eux, sont généralement hostiles à toute avancée. N'arrivant pas à se dégager des mythes fondateurs de l'Italie moderne - républicains, monarchistes et fascistes -, ils empêchent en pratique leur pays d'accéder à une plus grande modernité politique, civique et culturelle et ils concourrent à le maintenir à son rang de puissance de série B.
Le respect général des minorités, grandes et petites, ressort du caractère démocratique des institutions. L'Italie est une démocratie. Logiquement, elle ne peut qu'aller au devant des sentiments et des aspirations des diverses composantes du pays.
Les minorités par immigration ancienne ou récente doivent être traitées avec bienveillance en application des conventions internationales.
Les minorités territoriales qui ont été décrites ci-dessus, doivent recevoir une tutelle appropriée :

a) les Sardes
Leur intégration relative à l'italianité et le sentiment d'être colonisés ne les a pourtant pas poussés vers la sécession. Ils se contenteraient d'une large autonomie politique, linguistique et économique, même si elle est octroyée d'en-haut dans le cadre d'une réorganisation des régions.

b) les Occitans
Leur réveil ethnique est récent et leurs revendications politiques s'articulent autour de la création d'une province regroupant leurs douze vallées alpines. Dotés de leurs propres moyens d'intervention économique et culturelle, ils seraient à même de développer les opportunités qu'offre leur situation frontalière à la jonction de l'arc méditerranéen et de l'arc anglo-toscan.

c) les Français de Suse et du Canavais
Injustement séparés de leurs frères valdôtains, ils sont dans une situation comparable à celle des Occitans desquels ils recherchent la collaboration. Dotés d'une province propre, ils pourraient envisager la constitution d'une région autonome en association soit avec les Valdôtains, soit avec les Occitans, ou bien avec ces deux minorités.

d) les Valdôtains
Très ouverts sur l'Europe, résolument fédéralistes et francophones, les Valdôtains se sentent très proches des Savoyards et des Suisses romands. Leur rêve serait la création d'une euro-région incluant ces trois peuples de même ethnie française.

e) les Walsers
Trop peu nombreux, très marginalement situés sur les pentes du Mont Rose, la solution serait pour eux leur incorporation au Val d'Aoste autonome dont ils jouiraient des libertés civiles tout en préservant leur particularisme linguistique. Venus antiquement de Suisse, ils pourraient ainsi renouer avec le Valais par le biais d'une association transfrontalière de régions.

f) les Rhètes occidentaux
Du Val d'Ossola aux pourtours du massif du Stelvio, les populations frontalières de la Suisse sont d'origine rhétique. Leurs parlers en conservent encore un peu la trace. Ils sont dépourvus pour le moment de conscience ethnique. Pourtant, naguère, les Ossolans ont été tentés par l'autonomie, les gens de la Valtellina n'oublient pas leur passé helvétique et les Ladins des vals de Sole et de Non gardent de l'affection pour leur vieux parler local.
Pour eux, afin de répondre aux simples exigences de leur marginalité géographique, s'impose la création de nouvelles provinces. Elles pourraient avoir leurs chef-lieux à Domodossola, Sondrio et Cles, et postérieurement, malgré leur éclatement géographique, être regroupées en une région autonome.

g) les Sud-Tyroliens
Pour eux, l'avenir se nomme Euro-région Tyrol . Ils aspirent à regrouper sous la bannière européenne et dans une région transfrontalière, les trois morceaux du Tyrol disloqué en 1918. Ce remembrement est justifié. De même que le serait l'incorporation de la province - tout à fait italienne - de Trente à la région vénète.

h) les Ladins des Dolomites
Leur combativité s'appuie sur celle des Tyroliens mais leur situation est plus difficile. Malgré les liens amicaux, il leur faut résister aux sirènes de la germanisation autant qu'à celles de l'italianisation.
Ils aspirent profondément à la création d'une province ladine autonome qui regrouperait les Ladins des provinces de Bozen, Trente et Belluno. C'est très réaliste. C'est à un Frioul autonome qu'il conviendrait de l'associer dans un second temps.

i) les Frioulans
A l'instar des Sardes, et malgré une identité bien typée, ils n'ont pas été en mesure de se donner des instances nationales représentatives, ni politiques ni administratives. C'est regrettable car ils sont appelés à jouer un rôle clé dans la solution de tous les problèmes géopolitiques de la région alpino-adriatique. La véritable autonomie de leur région serait un encouragement et un moyen vers cet objectif.

j) Les Austro-bavarois de Bladen/Sappada et Tischlwang/Timau
A défaut d'être directement rattachés à l'Autriche, ils doivent être protégés dans le cadre d'un Frioul autonome.

k) les Slovènes
On touche là au sujet le plus ardu. La Slovénie n'est pas membre de l'Union européenne. Pas encore, du moins. Elle aspire à cette intégration, l'Italie, elle, la freine. C'est toute la mythologie créée autour de sa frontière nord-orientale qui est en jeu.
En effet, l'Italie aurait bien de la difficulté à contester les droits de sa minorité slovène si elle avait affaire à une Slovénie membre des mêmes instances européennes qu'elle. Logiquement, ce pays s'affirme en effet le garant du sort de tous les Slovènes.
Un peu plus tôt, un peu plus tard, l'idée d'Euro-région Alpes-Adriatique qui est dans l'air, fera son chemin. Les communes slovènes frontalières pourront alors tisser des liens de partenariat avec leurs voisines ex-yougoslaves. La ville de Trieste, et surtout sa composante de rapatriés istriens, s'habitueront à cette nouvelle donne d'autant mieux que le port retrouvera sa fonction de débouché maritime de l'Europe danubienne.
En tout État de cause, et pour un temps indéterminé, deux provinces slovènes (Trieste et Gorizia) - à retailler pour la seconde - doivent être associées à un Frioul réellement autonome.

C) Rattachements et séparations

Depuis 1945, l'Italie n'a plus officiellement de politique rattachiste à l'égard des territoires et des populations considérées comme irrédentes par la monarchie puis par le fascisme. Elle n'a pas non plus de politique émancipatrice à l'égard de ses minorités alloglottes frontalières et ne respecte pas même les termes de sa propre Constitution.
En ce qui concerne les terres irrédentes
L'Italie a pu conserver le Tyrol du Sud au nom du sacro-saint principe des frontières géographiques et malgré sa participation à la guerre aux côtés des forces de l'Axe. D'ailleurs, Hitler en personne, désireux de sceller une alliance stratégique durable avec l'Italie, avait renoncé à récupérer cette portion de l'ethnie allemande, entamant même le rapatriement à grande échelle des Sud-Tyroliens.
Elle a conservé le Val d'Aoste qui souhaitait être rattaché à la France à la fin du conflit mondial alors que les partisans valdôtains avaient massivement plébiscité cette alternative.
Elle n'a gardé qu'une partie seulement des territoires slovènes et croates qu'elle occupa entre 1920 (traité de Rapallo) et 1945 et qu'elle avait disputé pendant un demi-siècle à l'Autriche. Perdues la Slovénie, la Dalmatie et l'Istrie, il ne lui reste que le Val Canale, autrefois autrichien, la Slavia veneta qui gravite depuis longtemps dans l'orbite du Frioul et de Venise et enfin, le territoire de Trieste, tous de peuplement slovène autochtone.
L'Italie a dû renoncer également au territoire occitan transalpin de Tende et la Brigue, rattaché à la France en 1945 après référendum. Probablement aurait-elle perdu également les Vallées occitanes si le référendum leur avait été alors proposé. La géopolitique des frontières naturelles tient peu de compte des aspirations des ethnies indigènes.
Pour la Corse, libérée dès 1943 par ses propres résistants, la question a été tranchée. Profondément italienne de culture, l'île entretient un rapport complexe avec l'Italie, un peu à la manière de celui qu'ont les Alsaciens à l'égard de l'Allemagne.
A notre connaissance, aucun régime italien n'a mis en action une politique de rattachement du Tessin italophone. Elle eût été perdante, ce canton suisse préférant bénéficier de tous les avantages que lui apporte la neutralité de la Confédération helvétique.

Dans l'avenir
Nul ne peut prétendre que le statu-quo territorial en Europe occidentale soit acquis à jamais. Au contraire, dans le contexte nouveau que crée l'intégration politique, stratégique et économique du continent, on peut estimer qu'allant de pair avec les poussées séparatistes, les tendances rattachistes se manifesteront et parviendront à leurs fins. N'entrevoit-on pas déjà la fin de la Belgique et le rattachement de la Wallonie à la France ?
Nous pensons qu'une fois la question de la fédéralisation de l'État, bien ou mal résolue, le phénomène politique des Leghe s'effilochera. Mais dans son sillage, apparaîtront alors de fortes tendances centrifuges chez les minorités les moins en pointe actuellement. La Lega Nord capitalise les sentiments d'abandon qui existent dans bien des zones périphériques - chez les Occitans, les Français ou les Rhètes, par exemple. L'esprit ligueur brillera probablement de ses derniers feux dans ces régions. Par la suite, il se recyclera dans des mouvements d'émancipation ethnique.
Il n'est donc pas exclu de penser qu'un jour, plus ou moins préparé par des statuts intermédiaires - penser aux euro-régions -, des minorités frontalières feront fusion avec la mère-patrie voisine. Slovènes, Sud-Tyroliens, Valdôtains et Occitans seront inéluctablement amenés à se poser la question du rattachement. Cette échéance sera d'autant plus lointaine que l'Italie sera devenue une véritable démocratie moderne et qu'elle fera toute leur place à ses minorités.
En sens contraire, la République italienne peut espérer envisager le retour d'un certain nombre d'expatriés istriens chez eux, en Istrie occidentale. A partir de quoi le rattachement de cette seule zone à l'Italie sera une juste réparation historique des torts subis.
Le Tessin, du moins sa partie méridionale, n'est pas prêt d'entrer dans le giron péninsulaire. À longue échéance, personne ne peut parier sur la pérennité éternelle de la Suisse.
L'avenir des Corses n'est sans doute pas à définir dans la même optique. C'est avec les Sardes qu'ils doivent s'entendre pour créer les bases d'une émancipation commune dans un État commun. Sans rejeter leurs héritages italien et français mais au contraire en s'en servant comme d'un levier pour aborder les défis du troisième millénaire : faire fructifier au profit de leur nation, l'énorme gisement économique (touristique, agro-alimentaire spécifique, pisciculture, liège, granit) et culturel qu'est celui de la Corse et de la Sardaigne réunies.
Les Rhètes ont été broyés dans le passé par la poussée concomitante des plaques tectoniques italienne et allemande. Leur rôle demain sera de servir de lien entre deux cultures qu'ils connaissent bien. Alors profiteront-ils de leur position privilégiée à la charnière de deux mondes appelés à s'entendre, et cela, dans le cadre de deux États, l'un centré sur les Grisons, l'autre sur le Frioul, ce dernier étant aussi un pont vers l'univers slave.

D) La Seconda Italia

Le cadre des perspectives géopolitiques italiennes ne serait pas complet si on oubliait de faire mention des importantes communautés italophones résidant aux Amériques (Canada - 1 million, États-Unis - 12 millions, Brésil - 8 millions et Argentine - 15 millions).
Cette Seconda Italia ne joue pas qu'un rôle secondaire. Sur les plans religieux, mafieux, culturel, économique, politique, elle investit tous les secteurs de la vie sociale dans les pays d'accueil.
A court terme, les Italo-américains sont, à la manière des émigrés dans le reste de l'Europe, les vecteurs du dynamisme économique et du rayonnement culturel de la mère-patrie. Ce n'est pas dérisoire.
A long terme, ces communautés, parfois géographiquement concentrées comme au Brésil ou en Argentine, peuvent en venir à sécréter des mouvements nationalitaires au sein d'États qui ont perdu le pari du melting pot . L'Italie devra être alors à leurs côtés, à la manière de la France à l'égard du Québec souverainiste.
Une volonté européenne renouvelée
Pour se mettre au diapason de l'Europe qui gagne, l'Italie a besoin d'une rationalisation qui conduirait à fédéraliser le pays en dégageant des entités régionales fortes et responsables. Mais cette gageure ne peut être relevée que si la fédéralisation s'appuie sur une démocratie rénovée. Celle-ci doit effectivement mettre au service du citoyen les nouvelles institutions selon le principe de subsidiarité qui voudrait que chaque échelon territorial gère les fonctions qui sont à sa portée.
Depuis 1957 et la signature du traité de Rome, le destin de l'Italie est européen. En réalité, le rôle éminent joué par Rome et Milan dans la christianisation de notre continent fait remonter à bien plus loin cette vocation.
A notre époque, moins conditionnée par la dimension religieuse, cet appel répond à des fonctions de toujours qui n'en sont pas moins fondamentales : l'économie et la culture. L'Italie occupe à ces deux titres une place centrale dans la construction européenne. Comme chez les Catalans, le génie du peuple italien est peut-être de savoir conjuguer ces deux fonctions avec beaucoup de brio et de talent.
Nous croyons que le Bel Paese est également en mesure de jouer une partition politique aussi géniale. Son sens démocratique affirmé, sa capacité à improviser et à composer, en font potentiellement, un médiateur incontournable de la vie européenne. Ses divers blocages sur le plan intérieur ne changent rien à cela. Simplement, ils altèrent l'image de marque de l'Italie à l'extérieur. Tout peut être modifié si les Italiens réalisent que le défi fédéraliste n'est pas vain. Etant fédéralistes presque par nature, ils peuvent compter sur les sentiments équivalents qui animent leurs compatriotes d'ethnies différentes.
Les ambitions politiques européennes de la République italienne ne peuvent pas être du même ordre que celles nourries de concert par la France et l'Allemagne qui aspirent à guider l'Europe.
L'Italie doit, quant à elle, servir de contrepoids à ces deux leaders en jouant sur le registre d'une démocratie exemplaire, celle impulsée par la coexistence d'un État allégé et de régions fortes et typées.
Bien placée au centre de la Méditerranée et au sud des cols alpestres, elle est également le pont idéal vers l'Afrique et le Moyen-Orient. L'affirmation de l'arc méditerranéen ne peut se faire sans qu'elle y assume une part essentielle.
Pour concrétiser ces légitimes ambitions, pour les condenser dans un raccourci politique fort, il nous paraît hautement souhaitable que Milan devienne la capitale des régions d'Europe et accueille de façon permanente le Comité des Régions qu'a institué le traité de Maastricht.
La prééminence politique de Bruxelles n'est pas en jeu. D'autant moins qu'on sera bien aise de lui garder sa fonction au niveau continental lorsqu'elle aura cessé d'être la capitale des Belges, une fois la Belgique défunte.
Par contre, le rééquilibrage entre les fonctions importantes de l'Union européenne doit se faire maintenant au sud, plus tard, à l'est. Il ne peut en être autrement, sans quoi il n'y aura pas d'intégration harmonieuse : une telle situation mettrait en péril la construction européenne avant même qu'elle ait pu exprimer ses virtualités positives.
L'Italie est un pays riche d'énormes ressources humaines. Si elle le veut un peu, elle peut surprendre l'Europe et le monde.

Jean-Louis Veyrac 1996

Voir aussi : Croatie, Malte, Slovénie, Suisse, Vatican

carte

tableau des populations, ethnies, langues, religions

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