LA COMPLEXITE DU NATIONALISME CORSE

par Jaume Ressaire (1999)

à Jean Castela (1)


La complexité corse apparaît à première vue dans la maquis des mouvements qui s'entredéchirent et s'unissent selon les circonstances. En fait cette complexité réside dans les structures mêmes de l’île. La seule évidence est que la Corse est une montagne dans la mer située très loin de Paris et à deux pas de la Sardaigne et de la Toscane. Nous savons que l'insularité ne constitue à peu près jamais l'indice d'une nation, si non nous devrions nier la catalanité des îIes Baléares ou encore affirmer qu'il y a autant de nations que d'îles grecques, ce qui serait absurde. Les mers comme les fleuves sont plus souvent des liens que des frontières. Tout ce que nous pouvons affirmer est que le fait insulaire interfère sur le fait nationaliste.

L'histoire de la même façon ne nous permet pas à elle seule de déterminer si la Corse est une nation. Les temps d'occupation étrangère ont été largement plus long que les temps d'indépendance. Selon l’époque choisie, on peut affirmer tout et son contraire. Le destin économique ne nous renseigne guère plus. Le sous-développement chronique de l'île n'explique qu'en partie le fait nationaliste. Tout au plus il renforce son argumentaire. Quant au langage toujours vivant, malgré la superposition administrative du français, il est ici comme ailleurs l'indice principal de l'ethnie (2). Là encore l'analyse ne nous révèle que complexité. Les dialectes corses se répartissent en deux grands groupes : l ‘ensemble septentrional ou cismontano qui se rapproche du Toscan et l'ensemble oltramontano qui ressemble à s'y confondre aux dialectes sardes du Nord Sassarese e Galurese. Au Nord les lucchesi ( gens venus de Lucca en Toscane ) qui habitent le pays des commune au Sud les sardicci qui habitent le pays des signore (3). Le Nord est le fief des clans de gauche, le Sud le fief des clans de droite : clan radical de gauche à Bastia, clan RPR voire bonapartiste à Porto Vecchio et Ajaccio. Les Corses du Nord et les Corses du Sud se détestent cordialement , leur union ne tient qu'à leur opposition commune au pinzutti (les français).

Cette complexité explique que le nationalisme corse n'existe que dans la volonté extrême à vouloir se séparer de la France. Une volonté qui ne peut exister que dans l'action. Une action qui a pour nom : la violence. La violence est médiatique, elle est surtout irrationnelle : elle nous oblige à reconnaître une nation qui de fait n'existe pas. Il nous faut donc concevoir un État corse non comme un fait définitif, mais comme une étape vers un destin incertain. Telle est la difficulté dans l'application de l’ethnisme en Corse .

Le syndrome algérien

S'il est une comparaison géopolitique que nous pouvons faire pour mieux comprendre la question corse, c'est de la rapprocher d' une question qui est dans toutes les têtes : la question algérienne. Là aussi, nous avion deux ethnies qui se sont liguées contre la France pour former un État : l'ethnie arabe et l'ethnie berbère. L’opposition interne est beaucoup plus forte dans la mesure où la langue berbère des Kabyle , Chaouyias, Mozabites et Touaregs n'a à peu près aucune racine commune avec la langue arabe, même si l’arabe dialectal est influencé par le berbère. L'opposition entre berbère et arabe y est radicale. Les événements tragiques qui se sont produits depuis l'indépendance s'explique largement par cette opposition. Recherche d'une unité mythique à travers l'islam avec toutes ses conséquences intégristes ; unité qui n'a pu se maintenir que par la force des régimes militaires qui se sont succédés avec les exactions et l'incurie économique que cela implique. La crise algérienne provient de ce que la France en quittant l'Afrique du Nord n'a laissé en place que des États factices sans aucune justification ethnique comme pour faire regretter les heureux temps de sa présence. La Corse, par chance, ne présente aucune menace d'intégrisme religieux. L'opposition entre lucchesi et Sardici est beaucoup moins forte qu'entre imazighnen (berbères) et arabes. Le nationalisme corse se réfère à un des premiers démocrate d'Europe, Pasquale Paoli. L'indépendance de la Corse que nous souhaitons de tous nos voeux, comme nous souhaitions en son temps l'indépendance de l'Algérie, ne sera pas bien sûr la fin de l'histoire. Mais beaucoup d'éléments plaident pour qu'elle soit une réussite .

Les chances de la Corse

Avec tous les nationaliste corses, nous savons qu'il y a un déterminisme ethnique européen, voire mondial, qui amènera la Corse à devenir indépendante quoiqu'en pensent les partis parisiens agrippés à leur Constitution de papier.

Culturellement, quelle que soit la diversité culturelle de l'ïle, les dialectes corses font partie du patrimoine de l'humanité. Ils ont tout à gagner à obtenir le statut langue officielle sans que cela porte grand dommage à la réalité. La littérature, la musique, les chants et les arts en général sont en train de retrouver leur dignité. Ils gagneront à l'indépendance.

Economiquement, la Corse moins peuplée que la Sardaigne peut nourrir sans grand mal ses 180 000 à 200 000 habitants. L'exemple islandais, où le niveau de vie est un des plus élevé du monde, nous montre que l'indépendance n'est pas synonyme de misère, bien au contraire. Il suffit que l'énergie déployée à faire la guerre soit orientée vers le progrès économique, la création et l’échange pour que l'île sorte du sous-développement entretenu par la colonialisme français . C'est bien sûr un pari sur l'homme et la femme corse. Gageons qu'il y a suffisamment d'intelligence en Corse pour le gagner. La France commence enfin à comprendre que sa domination sur l'île lui coûte horriblement cher et qu'elle économiserait d'importants subsides en accordant l'indépendance. Ce serait la fin d'une politique d'assistance dégradante et source de toutes sortes de trafics mafieux, la fin du maintien scandaleux de forces de l'ordre comme aucune colonie française n'en a jamais connu (un policier pour cent habitants en ce début de l'an 2000) et surtout la fin d'une image réactionnaire qu'aucun pays européen voisin ne peut décemment soutenir sans se couvrir de ridicule .

Politiquement, quelles que soient les répercussions de l'indépendance pour les autres peuples dominés par l'Etat français a commencer par l’Occitanie, la France a tout intérêt à libérer la Corse. Plus tôt, elle le fera, plus tôt elle s'en tirera avec honneur. Il est devenu urgent de mettre fin à tant d'années de guerre. C'est peut-être ce qu'a compris la fraction la plus réaliste du gouvernement (4) opposée à la fraction en place au ministère de l'intérieur qui doit aussi se poser des questions . Nous attendons "la paix des braves". En tant que nationalistes occitans, nous tacherons d'y aider parce que tout simplement nous croyons à l'amitié entre les peuples .

Il est clair qu'en Corse les nationalistes sont la seule force de progrès et d'avenir. Elle n'est à ce jour soutenue que par le quart de l'électorat. Il nous faut donc convaincre, convaincre encore et convaincre toujours. Cela prendra du temps. Mais le processus est en marche. La Corse, comme l'Agérie sera demain indépendante. Elle sera un nouvel État de la nouvelle Europe. A savoir ensuite si la Corse restera isolée, ou se rapprochera soit de l'Italie soit de la Sardaigne, il appartiendra aux corses de choisir. Pour l’instant, nous ne pouvons que leur conseiller de constituer un État fédéral, condition sine que non pour préserver leurs chances d'ouverture sur le monde méditerranéen .

le 26 décembre 1999

J. Ressaire


(1) Jean Castela a fait ses débuts en politique dans les rangs du parti nationaliste occitan. Après avoir enseigné l’histoire à Strassburg, il a été nommé ensuite à Bastia et s'est alors engagé dans les mouvements nationalistes corses. Suspecté d'actions illégales, emprisonné depuis de longs mois à Paris, nous attendons à ce jour sa libération. (retour)

( 2) François Fontan - Ethnisme vers un nationalisme humaniste - éd. en Français et en Anglais - 1999 - éd. Ben Vautier. (retour)

(3) L'isoglosse principal qui nous permet d'établir une limite linguistique entre Sarde et Italien est le traitement de "ll" intervocalique latin qui demeure "ll" en Corse du Nord et devient "dd" en Corse du Sud . ex : Le latin "collum" devient "collu" en toscan et Corse du nord et "coddu" en Sarde et Corse du Sud. (retour)

(4) Un important colloque a eu lieu en ce sens à Marieham en Finlande où les représentants du gouvernement à titre privé, cela va sans dire, parmi lesquels Pierre Joxe, ex-ministre de l'intérieur et père de l'actuel statut de la Corse et un envoyé de l'ambassade de France à Helsinki ont rencontré pendant quatre joursEdmond Siméoni ainsi que Jean Guy Talamoni, dirigeant de la Concolta Independentista. (Cf Le Figaro du 3 août 1998 ). (retour)


Voir aussi : France, Italie