FRANCE

République française
Capitale : Paris
Superficie : 547 026 km2
Population : 56 500 000 hab.

L'état français (1997)

L'État Français n'a eu de cesse tout au cours de son histoire de s'étendre au delà des frontières de la langue française. Cela l'a amené à bâtir un empire quasi-planétaire au cours des XIXe et XXe siècle. Il a été l'empire le plus grand d'Europe après celui des Anglais. Il n'est pas étonnant qu'il y ait des restes, que ce soit ce que l'on a appelé « les confettis de l'Empire » ou les minorités nationales de l'Hexagone.
Si l'on suit le fil conducteur des langues, la France exerce toujours son empire sur les peuples corse, alsacien, flamand, breton, basque, catalan et surtout occitan. L'État français est d'autant plus intraitable avec eux qu'il s'agit de ses dernières possessions impériales.

La Corse
Située aux frontières de deux langues indigènes, l'une au Nord de type italien (le cismuntanu) l'autre au Sud de type sarde (l'ultramuntanu), la Corse a l'avantage sur les autres colonies de l'Hexagone d'être une île et de plus, elle est plus proche de l'Italie que du continent dit « français ». L'irrédentisme qui s'y est développé entre les deux Guerres, soutenu par le parti fasciste italien a cédé la place à des forces indépendantistes radicales qui dominent toute la politique de l'Ile bien qu'elles soient apparemment minoritaires. Malgré les luttes de clans fratricides entre nationalistes, la Corse constitue le talon d'Achille de l'Empire français. Son statut d'État indépendant dans un avenir proche fait de moins en moins de doute.

L'Alsace
Objet de contestation lors des trois dernières guerres que se sont livrées la France et l'Allemagne, l'Alsace est malade de sa germanité. L'autonomisme alsacien accusé à tort d'être une fabrication du parti nazi est aujourd'hui très affaibli. Les rares candidats autonomistes aux élections n'atteignent que 2 à 3 % des voix. Incapable donc d'offrir une alternative crédible, l'autonomiste alsacien se trouve aujourd'hui en proie à une montée de l'extrême droite qui ne saurait s'expliquer sans tenir compte du désarroi identitaire des Alsaciens. Quelques espoirs se sont fait jour récemment autour d'un manifeste intitulé « L'identité régionale, un projet à partager ». L'Alsace subit de fait l'attrait inavouable de la riche Allemagne par le biais de la construction européenne. La réalité l'emportera-t-elle sur l'hystérie chauvine française ? C'est ce qui est à souhaiter.

La Flandre
La Flandre flamingante sous domination française ne représente que quelques cantons du département du Nord autour de Dunkerque et Hazebronck. Son sort est lié au prochain éclatement de l'État belge entre Wallons et Flamands. Le parti fédéraliste flamand y est encore très faible.

La Bretagne
Seule nation de langue celtique dans l'État français, elle mène un combat culturel exemplaire autour de ses écoles en breton, les « diwan » (le germe). Le nationalisme breton victime de ses engagements pro-allemands lors de la dernière Guerre a été en grande partie liquidé. Il n'a pu s'exprimer vraiment qu'à travers un sursaut culturel et économique. Les prétentions impériales des mouvements bretons sur Rennes et sur Nantes qui n'ont jamais parlé breton ont été aussi un frein à toute reconnaissance officielle. Malgré tout, les Bretons sont conscients de leur appartenance à la nation bretonne, ce qui laisse prévoir quelques possibilités en faveur d'un État breton bretonnant.

Le Pays basque
Il couvre à peine 1/3 du département des Pyrénées Atlantiques. Son sort est étroitement lié à l'accès prévisible à l'indépendance du Pays basque sud. La création d'un département basque aurait été probablement obtenue si une autre ville que Bayonne, d'appartenance linguistique gasconne avait été proposée comme chef-lieu. La faiblesse du nationalisme occitan (gascon) dans le bas Adour est en partie la cause de cet échec. L'attitude franchement hostile de l'État français à la formation d'un État basque laisse prévoir une situation conflictuelle pour l'avenir.

La Catalogne
Il s'agit du département des Pyrénées Orientales, exception faite du Fenouillèdes de langue occitane. L'entrée de militants catalanistes dans le Conseil municipal de Perpignan est l'indice d'une lente normalisation à l'image de ce qui se passe dans la Généralitat de Barcelone. Il s'agit d'une renaissance nationale à voie lente, mais déterminée et au bout du chemin d'une indépendance par des voies démocratiques européennes. La Catalogne Nord ne peut rester indifférente à cette évolution mais tout dépendra des possibilités de décolonisation de L'État français.

L'Occitanie
Avec 1/3 du territoire de L'État français et 1/4 de sa population, l'Occitanie représente la plus grande nation sans État d'Europe. Bien des décolonisations auraient pu progresser si les dirigeants politiques français n'avaient pas une arrière pensée d'Occitanie libre qui les effraie d'autant plus qu'un grand nombre d'entre eux en sont originaires.
Malheureusement, le nationalisme occitan est d'une dangereuse faiblesse. Les dialectes occitans ont fortement reculé dans l'usage parlé depuis la fin de la Guerre et la majorité de la population ignore son identité occitane. Elle se croit française, ce qui fait le lit d'une extrême droite bleu-blanc-rouge. Les facteurs d'identité sont pourtant très présents dans les manifestations populaires sportives, traditionnelles ou religieuses, mais ils n'ont pas encore trouvé leur traduction politique.
Cette situation très complexe a amené les dirigeants occitans à élaborer une théorie nationale des plus riches qui soit au monde, l'ethnisme.
Elle est l'oeuvre essentiellement de François Fontan qui a « inventé »
le nationalisme occitan en partant de l'étude des mouvements nationaux dans le monde. Il a enrichi la pensée nationale traditionnelle par une critique radicale du marxisme et d'autre part il a intégré à cette pensée les concepts les plus explicites de la pensée psychanalytique énoncés par Wilhelm Reich.
Le nationalisme occitan a ainsi pu surgir de l'inconscient dans lequel il végétait. Il offre au monde une des pensées les plus humanistes qui soit depuis celle émise par les troubadours occitans du Moyen Age, lorsqu'ils inventèrent « l'amour courtois ».
Cette pensée inventée en Provence se heurte à toutes sortes de réactions fascisantes. Un grand combat a lieu aujourd'hui en Occitanie entre barbarie et humanité. Gageons qu'il fascinera le monde de demain et que le monde se liguera en faveur de l'Occitanie pour la remercier de son message de vie.
C'est de l'avenir du nationalisme occitan que dépendra la bonne marche de la décolonisation de l'État français. Celui-ci devrait se transformer en fédération à partir de ses structures régionales puis, dans un deuxième temps, libérer ses dernières colonies.

Jacques Ressaire 1997


La nation française (1971)

Quelques précisions ethnistes sur la nation française pour commencer, essentiellement sa situation politique d'aujourd'hui, puisque nous y sommes intéressés très directement.

La formation de la nation française a été achevée aux environs de l'an 900 au point de vue ethno-linguistique. Sa délimitation n'a que relativement peu changé depuis, sinon que vers 1200/1300, elle a absorbé une zone occitane, le Poitou et la Charente, une partie de la Bretagne et un morceau des Flandres. Cela n'a pratiquement plus varié en Europe. Il y a eu ensuite l'expansion sur des territoires quasi-vides aux 17ème et 18ème siècles : le Canada français (y compris St Pierre et Miquelon), auquel il faut ajouter une Antille, St Barthélémy.
Il n'est pas très utile ici de nous étendre sur l'histoire de la nation française : disons que la dynastie capétienne a joué un rôle important dans la formation de l'État français et d'une conscience nationale française, de l'unité politique de la nation ; et qu'il y a eu ensuite une étape essentielle, le passage de la structure féodale à la structure bourgeoise marqué par la révolution de 1789. Nous ne retraçons pas ici, également, l'histoire de l'impérialisme français.

Et puis, il y a la situation actuelle : celle où la nation française a perdu une très grande partie de ses possessions coloniales, où il lui reste à perdre les nations qu'elle domine encore en Europe, et où elle se trouve à son tour en cours de colonisation, par l'impérialisme anglo-américain. Situation intermédiaire entre une nation purement impérialiste comme le sont les Anglo-Américains, et des nations uniquement colonisées : il y a actuellement une situation double de la nation française. D'où le problème de l'indépendance française, contre les menaces impérialistes qu'elle subit, et, lui étant lié, le passage de la société française au socialisme.

Depuis une vingtaine d'années, il y a, sur la question de l'indépendance nationale française, une coupure importante qui s'est faite à un moment entre d'une part : les différents partis allant de la SFIO à l'extrême-droite, transformés en agents du colonialisme américain, c'est-à-dire en expression de la fraction de la bourgeoisie française déjà intégrée dans les trusts américains, un parti dit communiste qui était essentiellement, et qui est encore partiellement, un agent de l'impérialisme russe, mais qui en fonction des nécessités diplomatiques de l'impérialisme russe n'a pas hésité dans certains cas à s'entendre avec les pro-américains ; et d'autre part : l'expression de la fraction demeurée nationale de la bourgeoisie française, le gaullisme. Surtout depuis la fin de la guerre d'Algérie lorsque la lutte d'indépendance nationale française, menée par le gaullisme, est devenue le problème numéro 1.

Pour le moment, le dernier épisode a été l'échec de cette lutte d'indépendance nationale avec le renversement de de Gaulle par la fraction de prétendus gaullistes qui étaient en fait pro-américains, dont le PCF s'est voulu l'auxiliaire par un choix délibéré. L'UDR n'a évidemment rien à voir avec le gaullisme, ni de près ni de loin.

Le problème reste donc entier. Et depuis la chute de de Gaulle, les partis qui se rapprochent le plus d'une lutte pour l'indépendance française sont le P.C.F. et le P.S.U. Le moyen de réalisation principal du colonialisme américain en France est le Marché commun, et seuls le P.C.F. et le P.S.U. sont anti-européanistes, en principe (car cela demeure très confus). On est encore très loin d'être arrivé à un front national français définissant la voie française du socialisme. Cela supposerait la dérussification du P.C.F. et un programme commun pour les différentes formations de gauche, avec une place faite à la fraction nationale de la bourgeoisie française.

En même temps que le problème de l'indépendance, il y a celui de l'unité de la nation française, c'est comme pour chaque nation le problème du développement du mouvement national. Un front uni national français devrait inclure entre autres dans son programme le rattachement à la France des régions irrédentes de l'ethnie française : Wallonie, Romandie, Val d'Aoste avec quelques vallées adjacentes, Iles Normandes et Canada français. Il n'y a pas d'autre justification à l'État qu'en tant qu'expression et organisation de la nation, c'est sa seule base objective. Ou alors il faut être pour la suppression de tout État immédiatement, ce qui est justement irréalisable.
Les Valdôtains sont très favorables au rattachement, et cette idée fait beaucoup de progrès en Wallonie. C'est moins avancé en Romandie où il n'y a de mouvement que dans le Jura bernois, mais il tend maintenant à s'organiser dans les autres cantons français de Suisse.

La lutte de libération nationale des Français du Canada contre le colonialisme anglo-américain est en cours. Lorsqu'elle aura abouti à l'indépendance, le problème de l'unification sera du même type que celui de l'unité des pays arabes.

Il est important de bien voir que l'indépendance, l'unification de la nation française, et son passage au socialisme ne sont en fait qu'un unique problème...

Francois Fontan 1971


Elsass : identité, contradiction, autonomisme alsaciens (1982)

Le portrait officiel de l'Alsacien est celui d'un homme heureux, qui ne manque de rien et ne connaît pas de crise. Toute critique vis-à-vis de ces idées reçues est suspecte, et soulève un émoi général et considérable. De nombreuses fois ballotté d'un camp à l'autre au gré de la volonté des puissants, et après avoir vu sa personnalité soumise à toutes sortes de pressions, l'Alsacien connaît une très profonde crise d'identité. L'Alsace a été intégrée dans un cadre politique, social, linguistique et culturel qui lui était à l'origine fondamentalement étranger. De cette situation spécifique dépendent les caractères profonds des Alsaciens, et leurs contradictions fondamentales . L'Alsace peut être définie essentiellement par trois données: la géographie, l'histoire et la langue.

La géographie
Le cadre géographique alsacien s'étend des Vosges au Rhin, et de la Lauter à la trouée de Belfort. Située sur un grand carrefour, l'Alsace relie par le couloir rhénan le Nord au Sud de l'Europe, et constitue grâce au pont qui enjambe le Rhin à Strasbourg un des points de passage privilégiés pour se rendre de l'Est à l'Ouest. Des obstacles naturels délimitent l'Alsace à l'ouest par les Vosges et à l'est par le Rhin, même si le cours de ce fleuve a été capricieux dans le passé. Par contre la géographie n'explique en rien le tracé des limites nord et sud de l'Alsace, de même qu'au nord-ouest où des raisons religieuses ont amené l'Alsace bossue ou tortue (les cantons de Drulingen et de Sarre-union) à faire partie de l'Alsace : en grande majorité protestants les habitants de ces deux cantons ont obtenu leur rattachement au Bas-Rhin en l'an 1800, plutôt qu'au département de la Moselle. L'Alsace s'étendait autrefois au nord jusqu'à la Queich, la rivière qui traverse Landau, une des dix villes impériales mentionnées dans le traité de Westphalie en 1648. Si la défaite de Napoléon à Waterloo n'avait pas entraîné la fixation de la frontière française sur la Lauter, les habitants de Landau, de Bad Bergzabern et des environs seraient aujourd'hui encore alsaciens. L'exemple de la commune de Scheibenhardt est significatif : la Lauter traversant le village, les hommes d'État n'ont pas hésité à faire de frères et de s&brkbar;urs, des Allemands ou des Français selon qu'ils habitaient sur la rive gauche ou la rive droite de la Lauter. La limite méridionale ne date que de 1871 : les troupes françaises ayant conservé la place forte de Belfort jusqu'au bout, le traité de Francfort sur le Main détacha le canton de Belfort de l'Alsace pour le laisser à la France. La position charnière de l'Alsace explique son passé comme elle conditionne son avenir: elle est la seule région de l'État français se trouvant en contact direct avec le monde allemand. L'Alsace est ainsi aux avant postes de la compétition franco-allemande, ce qui explique le voile qui est entretenu sur son identité historique.

L'histoire
L'Alsace est une notion historique fort ancienne, qui apparaît à l'époque où le latin était encore la langue dominante, même dans les pays germaniques, sous la forme latine d'« Alesacius ». Après la scission en 870 de l'ancien empire de Charlemagne en une « Francie de l'ouest », essentiellement romane, et une « Francie de l'est » essentiellement germanique, l'Alsace fera tout naturellement partie de cette dernière, son nom prenant une forme germanique en passant de Alisagowe (Vllle s.), Elisaza, Elsaza à Elsass. Les tentatives réussies ou avortées de nombreux comtes, ducs, rois ou empereurs pour faire de l'Alsace une entité politique originale et indépendante n'ont guère laissé de traces vivantes. Ce sont des événements historiques beaucoup plus récents qui ont forgé l'identité alsacienne. Poste avancé vers l'ouest du monde allemand, l'Alsace devint vite le point de mire de l'expansionnisme français, qui s'en empara au XVlle siècle sous Louis XIV grâce à sa puissance militaire et à sa diplomatie. Jusqu'à la Révolution, l'AIsace ne fut qu'une province « à l'instar de l'étranger effectif », ce qui signifiait qu'aucun droit de douane ne frappait les transactions commerciales de l'Alsace avec l'Allemagne. L'intégration n'était alors que politique, mais non pas économique. Les intendants dépêchés en Alsace mirent en place cependant une administration ayant pour tâche de franciser ces habitants de « nation allemande ». Après avoir participé à l'histoire du monde allemand pendant plus de mille ans, l'Alsace, une fois conquise par la France, ne réintègrera plus son cadre politique d'origine, malgré les tentatives de l'Allemagne prussienne en 1870 et de l'Allemagne nazie en 1940. Sous Louis XIV et Napoléon 1er des troupes françaises ont occupé et annexé des territoires allemands, et des troupes allemandes ont occupé et annexé des territoires français en 1870, 1914 et 1940. Aujourd'hui Hambourg, Brême et le Palatinat sont de nouveau allemands, tout comme Bordeaux, Le Havre et la Champagne de nouveau français. Seule l'Alsace n'a pas été restituée à son monde d'origine, d'où un destin politique spécifique qui a soumis les Alsaciens à des tensions psychologiques considérables. Les traces sont profondes dans la mentalité actuelle des Alsaciens qui, intégrant des traits propres à la communauté française tout en conservant ses traits proprement germaniques, se distinguent à la fois de leurs voisins d'outre-Vosges et de leurs voisins d'outre-Rhin.

La langue
L'identité linguistique des Alsaciens d'aujourd'hui est la conséquence du destin historique de l'Alsace. Ici, l'aspect psychologique du problème des langues a été tout le temps plus important que son aspect purement linguistique; pour l'avoir négligé, le pouvoir prussien en 1870 et le pouvoir français en 1918 connurent de grandes difficultés. Longtemps on a soutenu que l'allemand n'avait aucune raison d'être en Alsace, en laissant entendre qu'il avait été importé en Alsace par les Prussiens en 1870, et donc qu'il devait être chassé avec eux ! L'Alsace, à l'exception des hautes vallées vosgiennes qui ont une population de langue française depuis le Moyen Age, fait partie avec la Lorraine germanophone ou thioise, de l'aire linguistique de l'Allemagne. Dire qu'un Alsacien parle allemand, c'est dire qu'il se sert soit du dialecte alémanique, soit du dialecte francique, tous deux étant des dialectes allemands. L'alémanique se parle en Alsace depuis le llle siècle, peut-être même depuis plus longtemps. Il se parle également dans le sud de l'Allemagne, en Autriche et en Suisse notamment. De nos jours, on distingue en Alsace le bas alémanique (de Selzbach au Sundgau) et le haut alémanique (en bordure de la frontière suisse). Après la victoire des Francs ripuaires (vivant sur les rives du Rhin) sur les Alamans à Tolbiac (496) et l'intervention des Francs de Clovis, les Alamans durent céder du terrain et accepter la domination franque. C'est le francique ripuaire qui est à l'origine du dialecte francique rhénan qui se répandit dans le nord de l'Alsace. L'alémanique et le francique rhénan que l'on parle en Alsace ont respectivement au moins 1700 et 1500 années d'existence; ils n'ont donc pas pu être introduits par les Prussiens il y a cent ans.

Les parlers allemands ont commencé à s'écrire au Vllle siècle. Avec le temps, des caractères communs se sont dégagés, ce qui a permis de distinguer trois grands groupes : le haut allemand (Oberdeutsch, c'est-à-dire l'allemand parlé dans la « haute-Allemagne ») qui comprend l'alémanique, le bavarois, et le francique oriental, le moyen allemand (Mitteldeutsch) composé du francique rhénan, du francique mosellan (et ripuaire), du thuringeois, du haut-saxon (Leipzig, Dresden) et du silésien, et enfin le bas allemand (Niederdeutsch) qui englobe le bas-saxon (extrême nord de l'Allemagne), le frison et le basfrancique (néerlandais, flamand). Haut et moyen allemand ayant bien des traits communs, on a fini par ne plus distinguer que le haut allemand (Oberdeutsch et Mitteldeutsch) et le bas allemand. Lorsque, grâce à Martin Luther, le haut allemand devint « la » langue des Allemands, l'Alsace était partie intégrante du Saint Empire Romain Germanique. Il devint donc l'expression écrite des dialectophones alsaciens, et cela en liaison avec l'action des imprimeurs.
L'impérialisme linguistique français en Alsace
Lorsque Louis XIV s'empara de l'Alsace, tous les hommes politiques français et étrangers savaient que le roi de France venait d'intégrer dans son royaume un pays allemand et non pas alsacien, que la population y était de nation allemande et non pas alsacienne. Ce n'est qu'au XlXe siècle, lorsque les nationalistes allemands se mirent à revendiquer l'Alsace à cause de l'identité de langue qu'on leur répondit du côté français qu'on ne parlait pas allemand en Alsace, mais alsacien ! Le français était d'abord en Alsace « la langue du maître » comme l'affirmait le préteur royal Obrecht, donc celle du pouvoir et non pas celle du peuple. Le français a d'abord conquis la haute bourgeoisie, puis la moyenne et la petite bourgeoisie. Ce n'est que vers le milieu du XlXe siècle que la langue française prit le pas sur l'allemand chez l'élite intellectuelle alsacienne. C'est à la même époque que la loi Falloux instaura définitivement le français comme langue d'enseignement à l'école primaire. Ce n'est qu'à partir de 1945 que la politique d'assimilation linguistique connaîtra le succès tant attendu par les assimilateurs de toujours. L'histoire a contraint l'alsacien à s'éloigner linguistiquement du haut allemand, alors que l'elsasserditsch est la forme alsacienne de l'allemand. L'éloignement psychologique renforçant le dialectophone dans son sentiment de parler une langue différente du haut allemand, l'allemand a fini par être ressenti comme une langue étrangère ! Tous les dialectes allemands dépériraient rapidement aujourd'hui s'ils étaient coupés organiquement du haut allemand. C'est ce qui explique pourquoi la suppression de l'enseignement du haut allemand à l'école primaire en 1945 ne pouvait pas ne pas constituer aussi une menace pour le dialecte alsacien. Le haut allemand est tout simplement indispensable au maintien de l'identité linguistique des Alsaciens.

L'Alsace face aux États
L'identité alsacienne est riche d'une double dimension, allemande et française. Cependant les événements politiques depuis 1870 ont provoqué une cassure profonde du corps social alsacien, qui explique le traumatisme actuel. L'issue de la guerre 1870-1871 renversa le processus assimilateur français. L'Alsace et la Lorraine germanophone deviennent terre d'empire (Reichland), et la loi du 9 juin 1871 en fait « pour toujours » la propriété commune des 25 États fédérés de l'Empire allemand. 50000 Alsaciens et Lorrains émigrent alors en France et en Algérie. Les tendances autonomistes se développent très vite, et la loi constitutionnelle du 31 mai 1911 fait de l'Alsace-Lorraine un État fédéré ayant trois députés au Bundestag. Une assemblée comprenant deux chambres s'installe à Strasbourg. Pendant la Première Guerre mondiale, la population alsacienne parut suspecte aux deux camps. 250000 Alsaciens et Lorrains sont incorporés dans l'armée allemande, essentiellement sur le front Est. 30000 d'entre eux furent tués. Des soviets sont constitués dès le 9 novembre 1918 en Alsace et proclament l'indépendance de la République neutre de Strasbourg. Des tracts et des affiches réclamaient l'indépendance et la neutralité du pays et son incorporation à une fédération des États neutres, de la mer du Nord aux Alpes. Ceci précipita l'entrée des troupes françaises en Alsace, qui organisèrent des commissions de triage classant les Alsaciens en quatre catégories suivant leurs origines ethniques. Plus de cent mille habitants furent également expulsés d'Alsace et de Lorraine.

La politique française d'assimilation provoqua une forte revendication autonomiste. En 1926, le HeimatBund (ligue de la patrie) réclame « en qualité de minorité nationale, l'autonomie complète dans le cadre de la France ». La réaction du gouvernement français fut brutale, interdisant en 1927 les principaux journaux autonomistes écrits en dialecte alémanique. Une trentaine d'arrestations furent opérées dans la nuit de Noël 1927, qui débouchèrent sur le procès de Colmar, où 22 autonomistes sont accusés de séparatisme. Quelques semaines plus tôt, deux d'entre eux avaient été élus aux législatives. Le verdict, avec quatre condamnations, fait monter la colère et marque le sommet de l'agitation autonomiste. Les différents partis autonomistes se réunissaient d'un bout à l'autre de l'échiquier politique en des fronts successifs tels que l'Einheitsfront à partir de 1928, le Volksfront à partir d'octobre 1930 et le Heimatfront à partir de 1937, tactique très efficace sur le plan électoral: ainsi aux législatives de 1932, le Volksfront faisait élire onze députés autonomistes sur seize mandats. Avant même que les plaies ouvertes par la première guerre mondiale aient eu le temps de guérir complètement, l'Alsace allait devenir en 1939, pour la troisième fois en trois quarts de siècle, un enjeu du conflit militaire franco-allemand. Le gouvernement français procéda à l'évacuation de plus de 700000 Alsaciens et Mosellans dans le Centre et le Sud-Ouest. Karl Roos, chef autonomiste, est arrêté en 1939, et bien qu'innocent de toute complicité avec l'ennemi, il est exécuté à Nancy le 7 février 1940. Depuis le 31 octobre 1939, tous les partis autonomistes étaient interdits et des centaines d'Alsaciens et de Lorrains furent jetés dans les camps de concentration d'Arches et de Saint-Dié. Le 14 juin 1940, les quinze autonomistes de Nancy emmenés pour être jugés et fusillés en Algérie furent sauvés par les Allemands en juillet.

L'Alsace face aux nazis
Annexés par l'Allemagne nazie, les Alsaciens deviennent ''Volksdeutsche'', ce qui entraîne la mobilisation de dix-neuf classes en Alsace: 130 000 Alsaciens et Lorrains sont incorporés dans la Wehrmacht, dont plusieurs dizaines de milliers furent tués. Certains même furent intégrés dans la WaffenSS. Dans ces conditions, ce qu'il est convenu d'appeler "libération" fut terrible. 45 000 Alsaciens furent internés en 1945 dans les camps de concentration ouverts par les nationaux-socialistes (Schirmeck et Struthof), des milliers d'Alsaciens furent dispersés en France avec interdiction de séjour dans le pays natal. L'allemand fut interdit dans les écoles et la vie administrative, et De Gaulle imposa en 1945 la domination de la langue française dans la presse. L'ancien député Joseph Rossé, une des têtes de l'autonomisme de l'avant-guerre, est condamné à quinze ans de prison : il meurt en détention en 1951.

Complexes alsaciens
De cette histoire dramatique, l'Alsacien a hérité d'une situation mentale particulière. Les assimilateurs français ont eu beau jeu en 1945 de culpabiliser ces Alsaciens désemparés : défendre les composantes d'essence allemande de l'identité alsacienne à un moment où le seul mot d'allemand faisait peur était impossible pour une population découragée, paralysée, traumatisée. Comme l'a écrit Emile Baas, « assumer l'Alsace » était alors « une fatalité trop lourde à porter » . Le climat ainsi créé ronge la moelle du peuple alsacien, et celui-ci se désintègre tout seul en raison de la grande peur psychologique qui s'est instaurée. Le besoin de sécurité et de tranquillité intérieure allait provoquer chez les Alsaciens une fuite vers la rupture avec leur passé, pour se fondre totalement dans l'univers français et francophone. Rien ne montre mieux le rapport très étroit qui existe entre le destin politique et le destin linguistique d'un pays que la chute du haut allemand en Alsace. Le dogme jacobin de la nécessaire identification de la langue et de la nation pour réaliser l'unité nationale a trouvé en Alsace un terrain très favorable au sein d'une population en plein désarroi. Les germes qui minent la personnalité alsacienne sont toujours aussi actifs que par le passé, et la division du corps social alsacien est telle qu'une réaction collective au processus de désintégration est quasiment impossible.

Le nouvel autonomisme
De ce fait, la reconquête des esprits se passe lentement, et se limite au domaine culturel. En avril 1968 la création du Cercle René Schickele vise à défendre la langue et la culture alsacienne, et fait du bilinguisme franco-allemand son cheval de bataille. A la même époque, l'entrée en scène du chanteur Roger Siffer, qui reprend des comptines en dialecte, marque l'arrivée d'une nouvelle génération d'Alsaciens nés pendant ou après la guerre : les tabous ne sont pas effacés, mais les Alsaciens retrouvent le goût de leurs racines. Les blocages psychologiques font que la revendication se porte sur les thèmes de l'écologie. L'affaire de Marckolsheim est l'exemple type des la canalisation des revendications sur un terrain a priori dépolitisé : ainsi s'expliquent les résultats électoraux très élevés des candidats écologistes en Alsace. Sur le plan politique, timidement, de nouveaux partis autonomistes sont apparus: le Mouvement Régionaliste d'Alsace Lorraine en 1970, le Parti Fédéraliste Européen d'Alsace Lorraine en 1971, et le Mouvement EL-Front Autonomiste de Libération. Candidat du Front Autonomiste de Libération, Ferdinand Moschenros a fait sa campagne aux cantonales de mars 1976 sur le thème « il faut libérer l'Alsace »: il a obtenu 11 % des voix. Les pressions ne manquent pas pour intimider cette résurgence de l'autonomisme alsacien. En fonction du pesant contexte psychologique, le thème revendicatif dominant des Alsaciens est, mis à part les idées écologistes, celui du fédéralisme européen. Les autonomistes alsaciens inscrivent leurs actions dans une perspective rhénane et européenne, et font de l'autonomie une étape première vers «l'Europe au cent drapeaux». Par là même, on retrouve la volonté profondément alsacienne d'aider à construire une fédération européenne solide dans laquelle elle serait un centre, afin de ne plus avoir à redouter de se déterminer sur les attaches françaises ou germaniques.

Freiheit ?
Ce qui frappe le plus en Alsace, c'est cette volonté permanente chez les habitants de s'affirmer plus français que les Français d'lle-de-France. Le nombre des drapeaux tricolores un 11 Novembre ou un 14 Juillet est tellement élevé que cette exagération seule est une des manifestations du complexe collectif. Dans ce fief de l'ordre établi qui a voté à 65 % pour Giscard d'Estaing aux dernières élections présidentielles et qui reste malgré tout une région riche, nombreux sont ceux en Alsace qui espèrent qu'un Président socialiste va mettre en place, sous la pression d'autres groupes ethniques et sociaux, des structures visant à sauver et à faire vivre l'identité alsacienne. Malgré la complexité des blocages sociologiques et psychologiques en Alsace, il est indéniable que lentement revient au grand jour, notamment chez les jeunes, l'aspiration vers ce qu'on nomme ici Freiheit (Liberté).

Jean Castela 1982

Bibliographie :
Eugène PHILLIPS: L'Alsace face à son destin - Strasbourg, 1978.
Pierri ZIND: Le Drame de l'autonomisme alsacien - Paris, 1980.


Ces îles qui ne sont pas françaises (1983)

Au-delà des océans comme au-delà de la mer, il est deux îles où l'on supporte de moins en moins la présence française : deux gendarmes tués en Nouvelle Calédonie, flambée du terrorisme en Corse. Deux îles occupées depuis peu : le contre-amiral Despointes prit possession de la Nouvelle Calédonie au nom de la France en 1843, la Corse fut "achetée" à Gênes par la France selon le traité de Versailles, un peu moins d'un siècle auparavant, en 1768, pour la somme de 200.000 livres tournois allouées par la France pendant dix ans. Jusque-là les populations indigènes de ces deux îles ne parlaient pas français : on peut donc, si l'on s'en tient simplement à la langue comme indice de la nation, parler à coup sûr, dans un cas comme dans l'autre, d'impérialisme français. Quelles que soient les différences de culture, Corses et Canaques n'ont jamais été et ne seront jamais Français. Droits de conquête, départementalisation, statuts particuliers n'y changeront rien ; il n'existe qu'une solution : l'indépendance. C'est ce que revendiquent à juste titre les plus lucides des Corses : clandestins du FLNC ou officiels de la Consulta di i comitati naziunalisti. C'est aussi ce qu'exigent l'Union calédonienne, le Parti de libération canaque, le mouvement Libération Kanaque socialiste, le Front uni de Libération Kanaque ou l'Union populaire mélanésienne.
L'éloignement, le statut plus lâche de TOM attribué depuis 1958, l'environnement international, le précédent des Comores, de Djibouti ou des Nouvelles Hébrides aujourd'hui indépendants, l'apparition de neuf nouveaux États dans la région entrés à l'ONU depuis 1960 : Samoa, Tonga, Nauru, les Fidji, Kirbati, Tuvalu, le Vanuatu, la Papouasie-Nouvelle Guinée et les Salomon, tout plaide pour une indépendance inéluctable. La Nouvelle Calédonie et Tahiti sont les deux dernières possessions européennes du Pacifique Sud : honte à la France.
Autre est bien sûr la situation en Corse où le clanisme a joué comme force d'intégration (la majorité des insulaires sont fonctionnaires sur le Continent), mais surtout l'indépendance risquerait de rompre l'équilibre des forces dans la Méditerranée. L'enjeu y pèse donc plus lourd.
Mais là comme ailleurs, l'indépendance est inévitable. Et si la France impérialiste, bien que de gauche, continue à fermer les yeux devant l'inéluctable, c'est alors qu'elle provoquera la violence. On n'arrêtera le déchaînement du terrorisme qu'en éradiquant le mal à l'origine, c'est-à-dire qu'en ayant le courage de décoloniser l'ensemble des territoires où se parlent d'autres langues indigènes que le français.
C'est en ce sens que le nationalisme occitan est profondément lié à l'avenir des derniers colonisés d'Outre-Mer que sont le Pays des Canaques et l'Ile de Beauté.
Leur décolonisation implique qu'on envisage dès aujourd'hui le rapatriement des colons tout autant que le retour des indigènes : 50.000 Caldoches (Français d'origine vivant en Nouvelle Calédonie), des dizaines de milliers de Français installés en Corse doivent se préparer au départ.
C'est la condition sine qua non pour que s'instaurent enfin de justes rapports égalitaires entre Corses, Canaques, Occitans et Français. Le droit des nations a ses exigences, la politique de l'autruche a toujours été la pire des solutions.
Pour la dignité de l'Occitanie comme de la France, nous en appelons à ce que se constituent des Comités de soutien aux mouvements indépendantistes corses et canaques.

Jacques Ressaire 1983


La France a-t-elle encore un empire ? (1986)

Le Sénateur RPR, Charles Pasqua, d'origine corse, déclarait en substance lors d'une visite en Nouvelle Calédonie que la défense de Nouméa (la ville la plus importante du territoire), commençait à Bastia, assimilant les nationalistes corses aux indépendantistes kanaks qu'il convenait d'empêcher de porter atteinte à l'unité française. Les événements de Nouvelle Calédonie et la lamentable affaire Greenpeace ont braqué les projecteurs sur une partie des territoires contrôlés par l'État français dans l'Océan Pacifique.
Certains auront peut-être découvert à cette occasion que la décolonisation ne s'est pas achevée dans les années soixante. En fait ces territoires représentent la superficie globale non négligeable de 117.752 km2. Ils comprennent la Nouvelle Calédonie (19058 km2), la Polynésie "française" (4200 km2), espace maritime aussi vaste que l'Europe géographique, Wallis et Futuna (240 km2), tous situés dans l'océan Pacifique, la Guyane (91000 km2) dans l'océan Atlantique, et l'île de Mayotte (374km2) dans l'océan Indien. Pour des raisons que nous expliquerons plus loin, nous ne considérons pas comme des colonies St-Pierre et Miquelon, St Barthélémy et l'île de la Réunion. Quant aux terres australes et antarctiques, ce sont des territoires inhabités qui n'abritent que des chercheurs scientifiques. L'État français administre encore tous ces territoires pour des raisons géo-stratégiques mais aussi économiques. La Nouvelle Calédonie pourrait, François Mitterrand l'a annoncé, être dotée d'une importante base militaire dans une région du monde où la France est en concurrence avec les USA et l'Australie. La Polynésie "française" sert de centre d'expérimentation pour la force de frappe nucléaire. La Guyane avec le Centre d'Essais Spatiaux de Kourou représente un débouché vital pour l'industrie spatiale française. La France est de ce fait une puissance avec laquelle les USA, surtout dans le Pacifique, doivent compter. Car eux aussi ont leur empire avec Hawaï, 50e État de l'Union depuis 1959, les îles de Guam et de Samoa sous administration directe et de multiples États associés. Les bases militaires et les centres de télécommunication y abondent. Quant à l'Australie elle voudrait bien prendre sous sa protection intéressée les terres "françaises" du Pacifique. Mais la montée inéluctable des mouvements de libération nationale dans ces régions du monde pourrait bien remettre les pendules à l'heure de la décolonisation.

Conférence des dernières colonies françaises
La première conférence des dernières colonies françaises réunie en Guadeloupe du 5 au 7 avril dernier est un signe. Elle a rassemblé des mouvements indépendantistes de Guadeloupe, de Guyane, de Nouvelle Calédonie, de Mayotte, etc... qui se sont découverts comme points communs le refus de leur statut territorial, la volonté de trouver leur voie propre de développement et le non alignement : c'est-à-dire pour les Polynésiens et les Kanaks, le refus du colonialisme nucléaire américain et français et chez les Martiniquais et Guadeloupéens, le refus à la fois du modèle cubain et américain.

Situation actuelle

La Guyane s'étend entre le Brésil au sud et le Surinam à l'ouest. La faible population de la Guyane (1 hab./km2) est ethniquement très divisée. Elle compte 66% de noirs des Antilles; les Kwas plus ou moins métissés parlant le créole, 12% de "Français" métropolitains, environ 10% d'Améridiens d'ethnie karib et arawak sur la côte. Les Noirs de la forêt dits "Marrons" descendants des esclaves évadés vivent tribalement le long du fleuve Maroni. Ils ne sont que quelques milliers et parlent un créole à base d'anglais, de français, de néerlandais, de portugais, mais conservant un système de tons comme dans les langues africaines. On compte également quelques Libanais et Chinois du sud (Cantonais) arrivés au XIXe sIècle, une petite communauté indonésienne venue du Surinam en 1952. En 1979 l'installation d'un millier de Hmongs du Cambodge et plus tard de Brésiliens et de Haïtiens (20 000 environ) ont aggravé les contradictions ethniques. Les Noirs demeurent majoritaires mais se sentent menacés et ont des problèmes d'identité. Le conseil régional élu en février 1983 dans le cadre de la loi de décentralisation est dominé par le Parti Socialiste Guyanais, partisan de l'autonomie interne, et ses alliés ; mais le conseil général est contrôlé par l'opposition... Une liste indépendantiste avait obtenu environ 10% des voix aux élections régionales et trois élus. L'Union des Travailleurs Guyanais, syndicat majoritaire, est indépendantiste. Quant au PANGA (Parti Nationaliste de Guyanais Anti-colonialistes et anti-impérialistes) créé en janvier 1985 et présent à la conférence des dernières colonies françaises, son influence semble encore très modeste. Les Amérindiens bougent aussi. Félix Tiuka un de leurs représentants, a dénoncé au cours d'un rassemblement auquel assistait le tout Cayenne en décembre 84, l'oppression française et revendiqué la terre pour les premiers occupants. Mais le poids numérique des Améridiens ne leur permettra pas de jouer un rôle déterminant dans l'avenir de la Guyane. Les indépendantistes guyanais sont plus préoccupés par la présence du CES (Centre d'Essais Spatiaux) de Kourou et la fascination qu'il exerce sur les jeunes, invités à s'acculturer et à s'assimiler à la France technologique qui gagne. De toute manière le destin de la population de la Guyane est indissociable de celui de ses frères de la Guadeloupe et de la Martinique.

Les Antilles françaises

La Guadeloupe : La population de 328 000 habitants est composée essentiellement de Noirs Kwa descendants d'esclaves plus ou moins métissés qui parlent un créole à base de français. La population d'origine des Indiens Karib avait été exterminée et assimilée au XVIIe siècle. L'esclavage n'a été supprimé qu'en 1848 après une révolte d'esclaves. Les Blancs se divisent en 2 groupes, les békés planteurs, Pieds noirs locaux, quelques milliers à peine et les Européens de la métropole dont beaucoup de fonctionnaires attirés par la prime de 40% qu'ils perçoivent en plus de leur salaire. La Guadeloupe a fait parler d'elle dans les années 60 avec l'apparition de partis indépendantistes radicaux tels que le GONG (Groupe d'Organisation Nationale de la Guadeloupe). A la suite des violences des 26 et 27 mars 1967 à Pointe à Pitre, 13 nationalistes sont jugés par la Cour de sûreté de l'État (supprimée en 1981). Plus récemment le GLA et l'ARC (Alliance Révolutionnaire Caraïbe, indépendantiste clandestine) a signé plusieurs attentats dont celui de la préfecture de Bonne Terre le 14 novembre 1983 qui a fait 23 blessés. L'ARC a été dissoute le 3 mai 1984. C'est maintenant l'UPLG (Union Populaire pour la Libération de la Guadeloupe) qui a le vent en poupe, relayée par Radio Tambour, la radio indépendantiste et Radio Unité. L'UPLG et les amis de Luc Reinette fondateur du MPGI (Mouvement pour une Guadeloupe Indépendante) se sont servis du procés de ce dernier comme de tribune pour l'indépendance de la Guadeloupe (Décembre 84 - Janvier 85) dans la salle d'audience et au dehors en provoquant des incidents de rue. L'UPLG hôte de la conférence des dernières colonies françaises est bien enracinée en milieu paysan avec l'UTA (l'Union des Travailleurs Agricoles) pour les salariés agricoles et l'UPG (l'Union des Paysans de la Guadeloupe) pour les paysans pauvres. Elle a toujours refusé de participer aux consultations électorales en raison de son rejet du cadre départemental. On a pu remarquer que lorsque l'UPLG faisait campagne pour l'abstention, son taux dans les campagnes pouvait atteindre 70 %. Pour l'UPLG le rôle de premier plan joué par le FLNKS en Nouvelle Calédonie est un encouragement et un espoir, mais elle n'a pas comme celui-ci réussi à créer un front avec les autres forces indépendantistes.

La Martinique : La population sensiblement égale à celle de la Guadeloupe a la même composition ethnique. Aimé Césaire, maire de Fort de France et membre du PCF quitte ce dernier à la suite des événements de Hongrie en 1956. Il fonde en mars 1958 le Parti Progressiste Martiniquais, autonomiste. Influencé par les idées du remarquable écrivain martiniquais Frantz Fanon, le courant indépendantiste y est très présent avec le Mouvement Indépendantiste Martiniquais, le Conseil National des Comités populaires, actif dans le monde paysan. Le chef du MIM, Mr Alfred Marie Jeanne, maire de Rivière Pilote, assistait à la conférence déjà citée. Toutefois il faut reconnaître que le PPM tient encore le haut du pavé.

La Polynésie "française"
Sur ses 100 000 habitants, 25 % sont européens, 10 % asiatiques (chiffres de 76 !). Les autres : les autochtones sont Maoris comme leurs voisins de Nouvelle Zélande et de Wallis et Futuna. Ils sont répartis en quatre archipels : les îles de la Société, Tuamotou, Gambier, Marquises et Australes, soit 42 000 Km2 de terres (la moitié de la Corse) sur plus de 150 îles. L'île principale et la mieux connue est Tahiti dans l'archipel de la Société. Elle rassemble 50 % de la population. En Polynésie la colonisation, c'est avant tout le Centre d'Expérimentation du Pacifique base des essais atomiques français (atoll de Mururoa). Les indépendantistes ont perdu leur position majoritaire des années 50 et 60 bien que leurs leaders Pouvanaa et Teariki restent influents. Mais là comme en Guyane, le CEP met en danger le mode de vie autochtone et ses valeurs culturelles et morales. Les sirènes du mode de vie occidental ont plus d'écho pour les jeunes. Le réveil risque d'être d'autant plus difficile. Parmi les mouvements indépendantistes, le Front de Libération de la Polynésie, le TTT (Taaka Tahiti Tiama) de Charlie Ching très radical, Pomaré Parti qui représente l'ancienne famille royale tahitienne et la Mana Te Nunaa qui donne la priorité à la lutte anti-nucléaire non violente. L'organisation écologiste internationale Greenpeace avait annoncé lors de sa campagne de harcèlement contre les essais nucléaires français cet automne, son intention de faire débarquer sur l'atoll de Mururoa, des Polynésiens en pirogue pour protester contre les essais. Etait-ce seulement un coup de bluff ? Dans le cas contraire cette démonstration n'aurait pas manqué d'intérêt pour mesurer le degré de conscience des autochtones.

Il faudrait dire un mot de la loi du 6 Septembre 1984 qui définit le statut du territoire. L'État français a accordé l'autonomie interne à la Polynésie le 6 Septembre 1984. Toutefois comme le contrôle de l'immigration et le contrôle des étrangers, le trésor et le crédit, les matières premières stratégiques et le contrôle des programmes d'enseignement échappent au territoire, la portée de cette autonomie décaféïnée est limitée.

Wallis (Ouvéa en maori) et Futuna
Ces deux îles situées à 2000 km de Nouméa et 3000 km de Tahiti n'abritent que 12 000 habitants en majorité maoris. Etant donné la pauvreté du territoire, une importante émigration a eu lieu vers la Nouvelle Calédonie pour travailler dans les mines de nickel. Coincés entre les Caldoches et les Kanaks la situation des Wallisiens est inconfortable. Si beaucoup se rallient aux partisans de la Calédonie française, c'est par peur d'être expulsés d'une Kanaky indépendante. Sur place, il n'existe pas à notre connaissance de mouvement indépendantiste. Il n'en demeure pas moins que ces îles comme la Polynésie française et les îles Samoa sous contrôle des U.S.A appartiennent au même ensemble ethnique et si les Maoris sont éparpillés et administrés par plusieurs États, c'est le résultat de la colonisation qui en général se soucie des réalités ethniques comme d'une guigne.

La Nouvelle Calédonie
Entre l'Australie et la Nouvelle Zélande, cet archipel comprend la Grande Terre, l'Ile des Pins et les Iles Loyauté. Les 145 000 habitants sont ethniquement hétérogènes : 54 000 Blancs dont quelques milliers venus de la métropole comme fonctionnaires et les autres dits Caldoches venus au 19ème siècle de Bretagne, d'Alsace et d'Auvergne notamment. 12 000 Maoris de Wallis et Futuna, 5 600 Maoris de Tahiti, 5 000 Malais et Javanais, 1200 Fidjiens du Vanuatu, des Vietnarniens et des Chinois. Les 62 000 Kanaks autochtones représentent seulement 42 % de la population totale. Les Kanaks font partie des peuples austronésiens au même titre que leurs voisins fidjiens et maoris. On peut s'étonner de l'importance de la population allogène en Nouvelle Calédonie. Il faut savoir que c'est le résultat d'une politique délibérée de l'État français : Pierre Mesmer, 1er ministre dePompidou écrivait le 19 juillet 1972 à M. Deniau, secrétaire d'État aux DOM-TOM : « La présence française en Calédonie ne peut être menacée, sauf guerre mondiale, que par une revendication nationaliste de populations autochtones appuyées par quelques alliés éventuels dans d'autres communautés ethniques venant du Pacifique... A court et à moyen terme, l'immigration massive de citoyens français métropolitains ou originaires des départements d'outre-mer (Réunion) devrait permettre d'éviter ce danger, en maintenant et en améliorant le rapport numérique des communautés ». Message reçu cinq sur cinq. Aujourd'hui les Kanaks sont minoritaires sur leur propre terre.
Il est incontestable que le Front National de Libération Kanak et Socialiste (FLNKS) est le représentant légitime des Kanaks. Mais ce front n'existe que depuis 1984. Un rappel historique s'impose. En 1976 le Parti de Libération Kanake (PALIKA) est créé. En 1979 le Front Indépendantiste (UPM, FULK et PALIKA) a pour plateforme l'indépendance politique, économique et culturelle, une position anti-capitaliste et anti-impérialiste, le développement auto-centré et la reprise des terres des tribus. En 1981 le PALIKA se scinde en deux avec d'une part le Parti de Libération Kanake Socialiste (LKS) qui reste dans le Front indépendantiste et d'autre part le PALIKA «maintenu» qui le quitte. En 1984 le Front Indépendantiste se dissout et cède la place à un regroupement plus radical, le FNLKS qui comprend l'UC, le FULK, l'UPM, le PSC, le PALIKA et l'Union Syndicale des Travailleurs exploités. Le LKS reste en dehors, continue de participer aux institutions et refuse le boycott des élections territoriales du l8 Novembre 1984 prôné par le FNLKS. Ces élections donnent six sièges au LKS, les autres revenant presque tous au RPCR (succursale locale du RPR). Depuis le gouvernement français a divisé la Nouvelle Calédonie en 4 régions et organisé de nouvelles élections le 29 Septembre dernier. Cette fois le FNLKS participait au scrutin et les indépendantistes, toutes tendances confondues, ont obtenu 35,18 % des suffrages et le contrôle de trois régions sur quatre, seule la région de Nouméa restant dominée par le RPCR.

Au cas où elle reviendrait au pouvoir en mars l986, la droite française a promis aux Caldoches d'organiser un référendum sur le maintien du territoire dans l'État français dont le résultat, étant donné les rapports globaux de population, ne fait pas l'ombre d'un doute. Mais les Français ne peuvent plus tenir le FNLKS pour quantité négligeable; ce dernier pourrait boycotter un tel scrutin et se lancer dans un activisme plus musclé. Ou les Français et leurs valets locaux (Ukeiwé) accepteront de dialoguer avec les indépendantistes ou bien ils resteront intransigeants et risquent alors de connaître le sort des Pieds noirs en Algérie.

Ce qui inquiète le plus les indépendantistes kanaks, ce sont les projets du gouvernement en matière militaire pour la Nouvelle Calédonie. Si celle-ci devait devenir une importante base militaire, cela aurait les mêmes effets destructeurs sur les Kanaks que le centre de Kourou en Guyane ou le centre d'essais nucléaires en Polynésie.

Mayotte
Située dans l'Océan Indien entre Madagascar et Zanzibar, cette île fait partie de l'archipel des Comores avec la Grande Comore, Mohéli et Anjouan. Les 50 000 habitants sont pour la plupart d'origine africaine avec du sang malais et arabe, d'ethnie swahéli. Alors que les trois autres îles de l'archipel consultées par référendum en 1974 se sont prononcées pour l'indépendance et sont indépendantes depuis 1975, Mayotte a majoritairement choisi de rester française avec le statut de collectivité spéciale accordé en 1976. Pourquoi ce choix à priori surprenant ? C'est un choix tactique, les Mahorais ne voulant pas être soumis à un État comorien suspecté de vouloir les exploiter. Si Paris avait favorisé à Moroni le pouvoir politique indépendant inspirant confiance à Mayotte, elle ne serait pas restée française. Or le tristement célèbre Jacques Foccart conseilla de miser sur Ahmed Abdallah, richissime commerçant et dictateur dans l'âme. Le Mouvement Populaire Mahorais, partisan du maintien de Mayotte dans l'État français fit habilement monter les enchères plus par hostilité à un régime dirigé par Abdallah que par fidélité à la métropole. Abdallah qui s'était fait promettre par Giscard d'Estain, avant l'élection présidentielle de 1974, le lâchage de Mayotte en échange du bon choix des Comoriens, fut berné. Le 6 Juillet 1975 il proclamait unilatéralement l'indépendance des Comores. Aussitôt les Mahorais se plaçaient sous la protection de la France. Le 3 Août 1975, Abdallah était renversé par un coup d'État de l'opposition. Il devait reprendre le pouvoir en 1977 à l'issue d'un nouveau coup d'État. Il est certain que son régime despotique sert plutôt de repoussoir et que la tâche des nationalistes à Mayotte ne s'en trouve pas facilitée. Le Front Démocratique des Comoresétait représenté à la conférence des indépendantistes en Guadeloupe en la personne de Serge Sinamale, son secrétaire poltique.
Les territoires qui doivent rester français

Saint Barthélémy
Cette île inhabitée a été occupée par les Français en 1648 puis vendue à la Suède en 1784 et restituée à la France en 1877 après un plébiscite. D'une superficie d'environ 25 km2 elle se trouve au nord ouest de la Guadeloupe. La population d'origine est française et la population actuelle (environ 3 000 habitants) aussi. Ce n'est donc pas une colonie et son cas est différent de celui de la Guadeloupe.

Saint Pierre et Miquelon
Ce sont deux îles dans l'Atlantique Nord à 25 km au sud de Terre-Neuve. Les 6 000 habitants sont les descendants de Bretons, Français de Normandie et Basques venus d'Acadie, région de Nouvelle France appelée aujourd'hui Nouvelle Ecosse. Ces îles auparavant désertes se trouvent dans le même cas que Saint Barthélémy.

La Réunion
A 700 km au nord de Madagascar dans l'Océan Indien, l'île de la Réunion découverte par les Portugais au début du 16ème siècle et occupée en 1665 par la Compagnie Française des lndes, était vide de tout occupant. Elle a été peuplée d'abord par des Français puis des Anglais et des Portugais qui ont fait venir des esclaves d'Afrique. Au nom du principe selon lequel la terre appartient aux premiers occupants, on ne peut considérer la Réunion comme un territoire ayant vocation à être décolonisé. Les Swahélis et les Malgaches de la Réunion ne sont que des pièces rapportées. Pour une fois nous serons d'accord avec Michel Debré.

Les perspectives

Les mouvements indépendantistes des territoires dont nous venons de parler sont de force inégale. Même là où ils sont bien implantés et majoritaires comme en Nouvelle Calédonie, il s'agit d'un phénomène récent. Certes il est facile de dénoncer le mode de développement occidental dont l'échec est patent aux Antilles avec la dégringolade de la canne à sucre et en Nouvelle Calédonie avec la chute sévère de l'exploitation du nickel. Le trait général commun de tous les DOM-TOM ou presque, est la dépendance par rapport à l'État français : subventions, pensions, allocations chômage, prime de 40 % pour les fonctionnaires. Ceci a pour conséquence un niveau de vie artificiellement élevé en comparaison des pays voisins indépendants que ce soit dans les Caraibes ou le Pacifique. La question est de savoir si les populations concernées sont prêtes à accepter une diminution de leur train de vie bien inférieur du reste à celui de la métropole pour accéder à la dignité de citoyens d'États nationaux indépendants, qui à tout le moins dans le cas de la Guyane et des Antilles et de la Polynésie ne seraient viables que regroupés. Les mouvements indépendantistes n'éludent pas la question, ils ont choisi de dire la vérité à leurs peuples.

Nous avons aussi évoqué les ambitions géo-stratégiques de la France surtout en Guyane et dans le Pacifique et le danger d'assimilation culturelle qu'elles représentent. La rivalité de puissances grandes et moyennes dans ces zones de la planète rendront difficile à appliquer le principe rigoureux de non-alignement adopté par la plupart des mouvements indépendantistes. Les U.S.A. surveillent de près ce qui se passe dans leur arrière-cour. S'il fallait une preuve, on pourrait citer le cas de la Grenade. Ils seraient trop heureux de combler le vide éventuel laissé par la France dans le Pacifique. L'Australie qui fait la morale à l'État français a accepté voici quelques années que les essais nucléaires britanniques se déroulent sur son sol et maltraite passablement ses aborigènes. Malgré toutes ces difficultés, l'indépendance de ces dernières colonies françaises est possible et souhaitable à terme. Leurs mouvements de libération se doivent d'être lucides et de parier sur la coopération avec les voisins indépendants de Papouasie Nouvelle Guinée, îles Fidji. Salomon et Vanuatu pour le Pacifique et les autres îles des Antilles pour l'Atlantique.
Un signe avant-coureur de cette coopération future a été la conférence internationale organisée à Vila (Vanuatu) en 1983 par la «Coalition pour un Pacifique dénucléarisé et indépendant» qui a déclaré son soutien aux indépendantistes kanaks, son hostilité aux essais nucléaires français en Polynésie, son appui aux revendications foncières des aborigènes d'Australie, des Maoris de Nouvelle Zélande et aux campagnes des Philippins de Guam contre la militarisation de l'archipel par les U.S.A. Quant aux mouvements de libération nationale dans l'hexagone, l'émancipation de ces peuples d'outre-mer servirait leurs intérêts.
Même si nous sommes beaucoup plus près de la Métropole nous sommes aussi une nation avec sa langue propre, comme les Bretons, les Basques, etc... Toute nation a droit à son État indépendant, l'Occitanie aussi bien que la Kanaky. C'est le sens de l'histoire, aucun empire n'est éternel.
L'État français est un État colonial. La France ethnique ne s'arrête pas aux frontières de l'hexagone. Le Pays basque, la Catalogne Nord, l'Occitanie, la Corse, l'Alsace alémanique, la Lorraine thioise et le Westhoek flamand n'en font pas partie ; elle englobe par contre la Wallonie, la Suisse romande, le Val d'Aoste, le Québec, la Réunion, St Pierre et Miquelon et St-Barthélémy. Etre ethniste, c'est revendiquer pour la nation française comme pour la nation occitane le droit à l'unité dans un État indépendant aux frontières ethniquement justes.

Jean-Pierre Hilaire 1986


La nation occitane (1969)

La latinisation de populations diverses, la fusion de ces peuples (latins, pré-latins, post-latins), puis l'éclatement de l'unité latine en fonction de ce composé racial différent selon les territoires, ont amené l'apparition, dès avant l'an 1000, de plusieurs nouvelles entités ethno-linguistiques. Celles ci sont au nombre de neuf :

  1. Portugais (avec la Galice, les Açores, Madère et une grande partie du Brésil).
  2. Espagnols (avec Gibraltar, la zone de Miranda, les Canaries, Cuba, Puerta Rico, les pays d'Amérique latine où le peuplement amériindien est pratiquement inexistant);
  3. Catalans (avec la majeure partie de la province de Valence, les Baléares, l'Andorre, une frange orientale de l'Aragon, le Roussillon et aussi le Costa-Rica);
  4. Occitans (dans le sud de l'État français, une douzaine de vallées de l'État italien, et le val d'Aran dans l'État espagnol) ;
  5. Français (y comprises les régions francophones du Canada, St-Pierre et Miquelon, St Barthélémy, les îles normandes, la Wallonie, la Suisse francophone, le Val d'Aoste et quelques autres vallées au sud de celui-ci) ;
  6. Italiens (y compris le Tessin et les vals Poschiavo et Mesolcino, la moitié nord de la Corse, la côte ouest de l'lstrie, y compris aussi le sud du Brésil);
  7. Rhètes (ensemble de vallées pratiquement ininterrompu depuis le Frioul jusqu'aux Grisons et au val de Muntafun);
  8. Sardes (Sardaigne et sud de la Corse);
  9. Roumains (y compris la Bessarabie, le sud de la Boucovine, l'Anovlachie, et une zone en Yougoslavie)

Une dixième ethnie romane, les Dalmates, s'est éteinte.
Sur la base du critère linguistique, il y a donc une nation occitane, exactement au même titre que les huit autres nations énumérées ci-dessus.

Il serait trop long et il nous parait inutile de discuter ici cette classification, très généralement admise. Certains ont voulu inclure la Catalogne dans l'Occitanie, d'autres ont prétendu y rattacher les dialectes franco-provençaux, d'autres encore les dialectes nord-italiens. Les défenseurs de ces thèses se sont laissés conduire, consciemment ou non, par divers mobiles extra-linguistiques. De plus, les uns et les autres n'ont pas tenu assez compte de l'ensemble des dialectes occitans pour élaborer leurs théories. Les premiers, originaires du sud, ont négligé nos dialectes septentrionaux, tandis que les autres n'ont pas tenu assez compte des dialectes du sud-ouest.
Il s'est même trouvé un fantaisiste inconnu pour publier une carte de la Super-Grande Occitanie s'étendant jusqu'à Nantes, Bâle, Trieste et Alicante ; bien entendu, cela n'est pas plus ridicule que telle autre carte, où l'on rêvait d'un Pays-basque allant jusqu'à Burgos, Saragosse, Toulouse et Bordeaux.
Sur toute l'étendue du territoire délimité plus loin, l'occitan est encore parlé actuellement; bien qu'il n'existe aucune statistique, on peut affirmer qu'il n'existe pas une seule commune où notre langue ait totalement disparu, sous réserve de quelques zones frontières. La population globale de ce territoire est de 10.500.000 habitants, parmi lesquels on estime à plus de la moitié ceux sachant parler occitan.
On doit noter encore que le terme d'Occitanie est attesté dès le Moyen-Age; peu à peu tombé dans l'oubli, il fut de nouveau utilisé depuis la fin du XVIIIème siècle, mais n'est véritablement rentré dans l'usage que depuis une dizaine d'années.
Toutes les caractéristiques d'une nation, autres que la langue, se retrouvent en Occitanie et l'on peut constater ici aussi à quel point la langue est l'indice synthétique de la nation. L'originalité occitane est bien marquée par rapport aux ethnies voisines, et cela à tous les points de vue :

Lorsqu'on constate tout cela, lorsqu'on s'aperçoit que l'Occitanie est la plus grande et la plus nombreuse nation colonisée d'Europe il est inconcevable que nombre d'ethnistes ignorent ou même nient la nation occitane. Il est évidemment plus commode de s'intéresser à quelques groupuscules infimes, à quelques îlots d'immigrants presque disparus ou de se consacrer au folklore et à la poésie, que de soutenir la lutte pour l'indépendance nationale occitane qui aura des conséquences d'une immense portée révolutionnaire...

Examinons maintenant de façon systématique, commune par commune, les limites de notre territoire. Il convient tout d'abord de se référer à la délimitation donnée par Jules Ronjat dans sa « Grammaire historique des Parlers Provençaux Modernes (tome I, Introduction, pp. 10 à 22) qui est établie en fonction des divers travaux effectués sur la question jusqu'à cette date (1931). Nous devons cependant compléter et rectifier cette ligne en fonction de plusieurs études et enquêtes effectuées depuis. Pour chaque zone, après avoir reconnu la limite linguistique actuelle, nous rechercherons les éventuelles variations de cette limite au cours des derniers siècles, afin de restituer, dans un sens comme dans l'autre, les territoires assimilés depuis le XVIIème siècle.

Unité et décentralisation

Pour le développement normal d'une nation, pour sa santé, la première nécessité, après l'indépendance, est l'unité; encore doit-on préciser que le manque d'unité est lui-même un des principaux facteurs de la perte de l'indépendance.

Il faut reconnaître que divers éléments ont rendu et rendent cette unité nationale difficile pour l'Occitanie. D'abord la géographie: les frontières naturelles sont loin d'être imperméables à l'est et au sud (sauf dans les Pyrénées centrales) et elles sont largement ouvertes au nord, ouvertes aux invasions comme aux influences nordiques principalement vers la Saintonge et dans la vallée du Rhône. Surtout, la géographie physique de l'Occitanie est foncièrement centrifuge: ses trois régions naturelles se tournent le dos, le sud-est est tourné vers la Méditerranée, le sud-ouest regarde vers l'Atlantique, le nord se laisse facilement aller vers les plaines françaises, comme ses fleuves. C'est dire que manque un centre à l'Occitanie, un centre qui en soit réellement un, c'est-à-dire un centre attractif. Ce centre existe géographiquement, virtuellement, c'est le sud du Massif Central, la province centrale, la Guyenne, seule située de telle sorte qu'elle puisse relier et rassembler la couronne des six provinces périphériques. Or, la Guyenne n'a jamais pu jouer le rôle qui lui était dévolu par la nature; elle était la plus démunie de ressources naturelles et ne put créer ni grande ville, ni activité économique autre que locale, ni pouvoir politique, ni centre culturel; ses voies de communication, naturellement difficiles, sont demeurées insuffisantes surtout vers l'est; elle tend maintenant à devenir un désert. Ce qui aurait pu être un bastion montagnard (telles la Castille ou la Serbie) n'a été qu'un no man's land, et le devient de plus en plus.

La Guyenne n'a été guère mieux traitée par les deux mouvements culturels occitans, qui se sont trouvés d'accord pour nier sa personnalité propre. Il n'y a pas de maintenance de Guyenne dans le Félibrige, et Mistral, qui admet si largement les variantes dialectales et les gallicismes ne craint pas, dans son monumental dictionnaire, de traiter le principal trait phonétique guyennais de « vice de prononciation particulier aux régions montagneuses et froides du Midi « (13) Quant à l'I.E.O., atteint de mégalomanie languedocienne, il semble ignorer jusqu'au nom de Guyenne, et affecte de considérer ce pays comme languedocien, tout en s'efforçant de bannir de l'écriture et de la prononciation les caractéristiques proprement guyennaises.
Une autre cause du manque d'unité de l'Occitanie est d'ordre ethnopsychologique, et ceci dans plusieurs sens. La diversité des milieux géographiques et des composants raciaux a donné une originalité marquée à la mentalité de la population de chaque province, et toute conscience politique pan-occitane ayant été écrasée par les circonstances historiques, il y a eu très couramment tendance à se replier sur un provincialisme étroit, et même un localisme, souvent touchant, mais frisant parfois l'imbécillité pure et simple. D'autre part un des traits les plus généraux du caractère occitan est la sociabilité, l'ouverture aux autres, à tous les autres, et donc bien sûr, l'absence de racisme ou de chauvinisme. Cette éminente qua lité est aussi un défaut quand elle aboutit à une trop grande perméabilité, à une absence de personnalité, et peut présenter un risque mortel quand on a affaire à des voisins impérialistes. Les Occitans ont aussi un grand sens de la liberté ce qui, certes, les a poussés à une attitude chronique de résistance contre l'oppression, mais ce sens de la liberté n'a que trop abouti à l'individualisme et à l'inefficacité ; faute de s'être disciplinée c'est-à-dire pour n'avoir pas voulu sacrifier un peu de liberté afin d'en sauver l'essentiel la résistance occitane n'a jamais su s'organiser et surtout n'a jamais su s'organiser pour construire.

Ce qui vient d'être dit indique un certain nombre de tâches essentielles aux nationalistes occitans tant maintenant pour leur Parti que demain pour l'État occitan. Nous devons avant tout avoir le souci de l'unité nationale et de la cohésion. Nous devons accorder toute son importance à la prise de conscience politique de la Guyenne, à son développement économique, à son renouveau culturel. Nous croyons aussi que la future capitale de l'Occitanie devra être choisie en Guyenne. En proposant Albi, toute indiquée pour sa valeur symbolique, nous départagerons les rivalités entre les grandes villes qui voudraient prétendre à cette fonction ; il semble aussi préférable que la capitale soit une ville de moyenne importance.

Il parait évident pour toutes les raisons déjà dites que l'Occitanie est une des nations qui est le moins prédisposée à tomber dans les méfaits du centralisme exagéré. Il faut d'ailleurs bien s'apercevoir que celui-ci va directement à l'encontre de l'unité nationale. L'unité ne peut se maintenir à la longue et à plus forte raison ne peut se créer si une région est avantagée de façon considérable que ce soit au point de vue politique, administratif, économique ou culturel: des citoyens de seconde zone ne peuvent être de bons citoyens. Il ne peut faire de doute pour aucun nationaliste occitan que l'unité de l'Occitanie implique obligatoirement une décentralisation effective, c'est-à-dire le fédéralisme interne. L'État occitan ne pourra être qu'une fédération de ses sept provinces, égales en droit et en fait.

François Fontan (extraits de : La nation occitane, ses frontières, ses régions, 1969)

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