octobre 2001
Territoire situé au croisement du Moyen-Orient, de l'Asie centrale et
du sous-continent indien, l'Afghanistan est fortement conditionné par
sa situation géopolitique. S'étendant sur environ 650 000 km2,
c'est un Etat de forme compacte si ce n'est, au nord-est, une curieuse protubérance
poussant vers la Chine. Avec l'Hindou Kouch et le Pamir qui le dominent de leurs
sommets étagés de 3000 à 7000 mètres, c'est un pays
très montagneux s'il en est. Sa terre, plutôt aride, est parsemée
de quelques belles plaines alluviales et d'oasis, mais la sécheresse
sévit régulièrement. Le climat y est rude pour ses 25 millions
d'habitants.
Plus encore que des aléas climatiques, c'est des hommes que viennent
les maux dont souffrent les diverses populations de l'Afghanistan. La pluralité
des ethnies, des langues, des cultures, des confessions pourrait être
une richesse, c'est ici la source d'un drame permanent.
Les Pachtounes
L'Afghanistan, c'est avant tout le Sud, le pays des Afghans proprement
dits, le pays des Pachtounes. De Farah, à l'ouest, à Jalalabad
et Kaboul, à l'est, en passant par Kandahar et Ghazni, voici le pays
des tribus pachtounes. Nomades ou sédentaires, celles-ci adhèrent
toutes à l'islam sunnite.
En 1747, leur union, sous la conduite d'Ahmad Chah, conduit à l'indépendance
de l'Afghanistan libéré de la tutelle de la Perse, l'Iran actuel.
Tiraillé entre la volonté centraliste de ses monarques successifs
et l'insoumission des tribus, l'Etat afghan échappe, au XlXème
siècle, aux tentatives russe et anglaise de le conquérir par la
force ou la ruse.
Cependant, la moitié des Pachtounes était colonisée par
les Anglais qui les avaient inclus dans leur vaste Empire des Indes. On les
retrouve aujourd'hui au Pakistan, l'un des Etats nés, en 1947, de la
partition de cet empire. Appelés Pathans par les Pakistanais,
les Pachtounes de l'Est vivent autour de Peshawar et Quetta, dans une région
frontalière semi-autonome où règne le droit tribal. Ainsi,
depuis un siècle, cette frontière est-elle une source de conflits
car à Kaboul, on ne veut pas oublier l'idée patriotique du Pachtounistan
réunissant toute l'ethnie. Les Pathans, fortement présents dans
l'armée pakistanaise, pilier majeur du pouvoir central, sont réticents
à cette union.
Au nombre de 10 millions environ, les Pachtounes d'Afghanistan ne représentent
que 40% de la population de leur Etat. Le reste se compose de tous les peuples
qu'ils ont conquis depuis deux siècles
Les persophones
Les gens de langue persane, la langue de l'Iran et du Tadjikistan voisins, sont
les plus nombreux, 11 à 12 millions. Avec 45%, ils se partagent entre
les Tadjiks du Nord (25%), à Hérat, Mazar-e-Charif, Baghlan, Kunduz,
Faizabad et les Hazaras de l'Hindou Kouch, au centre du pays (20%). Si la plupart
des Tadjiks sont musulmans. sunnites, les montagnards hazaras sont chutes comme
les Iraniens. Seuls entre tous les Afghans, les Tadjiks ne connaissent pas d'allégeance
tribale.
Les turcophones
Dans les provinces voisines du Turkménistan et de l'Ouzbékistan,
à Maîmana, Mazar-e-Charlf, Baghlan, Kunduz, vivent des Turcs (7%,
2 millions environ), tous musulmans sunnites. Les plus nombreux sont les Ouzbeks
suivis des Turkmènes ; quelques milliers de Kirghizes vivent dans le
Pamir.
Les autres minorités
D'autres petits peuples, les Nouristanis et Pamiris, à l'est, les Balouches
et Brahouis, au sud, sont des minorités consistantes de la mosaïque
afghane. Pour être complet, il faudrait signaler également la présence
de quelques milliers d'Arabes, de Juifs, d'Hindous, de Gitans Implantés
depuis longtemps dans le pays.
Kaboul, la capitale, est historiquement de peuplement pachtoune. Mais du fait
de son rôle majeur depuis l'indépendance, du fait de la guerre,
aussi, elle est devenue assez cosmopolite. Les persanophones (Hazaras et Tadjiks)
y sont désormais majoritaires. Pendant longtemps, le dan, c'est-à-dire
le persan, a été la langue officielle et de culture. Beaucoup
de Kaboulis d'origine pachtoune le pratiquent. C'est seulement en 1978, avec..
l'arrivée des communistes au pouvoir, que le pachtou devient langue officielle.
Il l'est resté depuis.
Le pays des Afghans a commencé à se moderniser sous Zaher Chah.
En 1964, une Constitution est promulguée. Une démocratie limitée
se développe chez les citadins. Des partis marxisants et islamisants
apparaissent. En 1973, le prince Daoud instaure la République ; il la
veut moderne et non-alignée ; les aides affluent de l'étranger.
Mais le développement ne vient pas. Le Partl communiste le renverse en
1978. Quatre chefs d'Etat, issus des deux factions que compte le parti, à
dominante pachtoune et plus ou moins proches de l'Union soviétique, se
succèdent au pouvoir. Avec des bases sociales limitées, le régime
se trouve rapidement confronté à une guerre civile menée
par divers partis islamistes, modérés comme le Jammaat-i
Islami de Rabbani et Massoud (Tadjiks), ou radicaux comme le Hezb-i
Isiami d'Hekmatyar (Pachtoune).
L'intervention brutale de l'armée Rouge, en 1979, se soldera, au bout
de dix ans, par 1 million de morts, 5 millions de réfugiés à
l'extérieur, un pays en ruine. En 1989, le piteux retrait des Soviétiques
aura de grandes répercussions sur le devenir de l'URSS. Le pouvoir communiste
de Najlbullah se maintient encore jusqu'en 1992, date à laquelle les
moudjahidins islamistes s'emparent de la capitale.
Le calvaire des Afghans est loin d'être terminé. Les vainqueurs,
incapables de s'entendre, déchirés entre factions ethniques et
religieuses rivales, se font encore une guerre sans merci. De 1992 à
1996, sept batailles pour la capitale vont finir de raser Kaboul. On comptera
encore des dizaines de milliers de morts. Les Pachtounes ont perdu le pouvoir
sans partage qu'ils exerçaient sur le pays. Les Tadjlks dominent, s'alliant
tour à tour avec les Ouzbeks, les Hazaras et certains Pachtounes. Rabbani
est désigné comme chef de l'Etat dès 1992 avec Massoud
pour ministre de la Défense.
Mais venue du Sud lointain, sortie des camps de réfugiés au Pakistan,
monte alors l'armée des talibans, les étudiants en religion.
Fort de l'appui pakistanais et saoudien, ce mouvement Islamiste radical dirige
par le mollah Omar, arrive à s'imposer progressivement chez les Pachtounes
d'où il est issu. La conquête du Nord et de Kaboul peut se réaliser.
En 1996, Kaboul est prise ; les talibans contrôlent les 3/4 du pays. Un
régime d'un autre âge s'abat sur l'Afghanistan. Les citadines qui
exercent une profession sont renvoyées à leurs foyers ; toute
manifestation culturelle est prohibée ; les traditions les plus populaires
sont bannies. Mais l'insécurité que faisaient régner les
bandes rivales disparaît.
L'économie est réduite à sa plus simple expression. En
lien avec les mafias et les services secrets pakistanais, la contrebande de
produits de consommation se développe vers l'Asie centrale. La culture
du pavot s'accroît spectaculairement et avec elle, le trafic de l'opium
vers le Pakistan et la Russie. Les talibans prélèvent leur pourcentage,
mais le mollah Omar finit par juger anti-Islamique la culture du pavot. Celle-ci
est effectivement interdite, mais pas le commerce de l'opium.
Dès 1998, les menées terroristes de Ben Laden, le milliardaire
saoudien, et de son réseau islamiste transnational mettent l'Afghanistan
sous les projecteurs. À la suite d'attentats meurtriers visant en Afrique
les intérêts américains, Washington fait bombarder sans
succès des camps militaires de Ben Laden. Ses protecteurs talibans auxquels
il s'est associé étroitement ne -voient pas venir le danger d'une
telle alliance. Le 9 septembre dernier, ils peuvent même se féliciter
de l'assassinat d'Ahmed Chah Massoud, leur implacable ennemi, tué par
les sbires de Ben Laden.
Deux jours après, le monstrueux quadruple attentat-suicide perpétré
par les Islamistes d'Al Qaida aux Etats-Unis va précipiter la fin du
régime. L'intervention américaine musclée, l'aide à
l'Alliance du Nord qui s'était constituée autour de Massoud, le
lâchage progressif par les tribus pachtounes ont eu raison d'un régime
mené par une idéologie arriérée.
Aujourd'hui, les vainqueurs appuyés par les Nations Unies et une coalition
internationale, sont à peu près les mêmes qu'en 1992. Mais
sauront-ils maintenir des relations pacifiques entre eux ? C'est ce que souhaitent
ardemment de nombreux Afghans.
Le Front uni (l'Alliance du Nord), soutenu par les Iraniens, les Ouzbeks et
les Russes pourra-t-il rester uni ? Le retour sur scène de l'ancien roi
Zaher Chah sera-t-Il suffisant pour pondérer la défaite des Pachtounes?
Les Pakistanais ont dû s'incliner devant les pressions américaines.
Accepteront-ils la disparition, à Kaboul, d'un pouvoir ami qu'ils contrôlaient
par l'intermédiaire des Pathans?
La fédéralisation du pays sur des bases ethniques pourrait assurer
souplement sa cohésion. Est-elle réalisable ? Trop d'incertitudes
grèvent l'avenir des peuples martyrs d'Afghanistan auxquels on ne peut
que souhaiter de pouvoir se passer très vite de l'aide internationale
actuelle. La fierté et le courage des Afghans peuvent aussi servir la
paix et le développement de leur si beau pays.
Jean-Louis Veyrac
Voir aussi :
Afghanistan, carte -L'Afghanistan, par Jean-Louis Veyrac (1992)