La lettre ethniste

de Jean Louis Veyrac

N°7

octobre 2001

L'AFGHANISTAN, DU POUVOIR DES TALIBANS A CELUI DES ETHNlES

Le pays

Territoire situé au croisement du Moyen-Orient, de l'Asie centrale et du sous-continent indien, l'Afghanistan est fortement conditionné par sa situation géopolitique. S'étendant sur environ 650 000 km2, c'est un Etat de forme compacte si ce n'est, au nord-est, une curieuse protubérance poussant vers la Chine. Avec l'Hindou Kouch et le Pamir qui le dominent de leurs sommets étagés de 3000 à 7000 mètres, c'est un pays très montagneux s'il en est. Sa terre, plutôt aride, est parsemée de quelques belles plaines alluviales et d'oasis, mais la sécheresse sévit régulièrement. Le climat y est rude pour ses 25 millions d'habitants.
Plus encore que des aléas climatiques, c'est des hommes que viennent les maux dont souffrent les diverses populations de l'Afghanistan. La pluralité des ethnies, des langues, des cultures, des confessions pourrait être une richesse, c'est ici la source d'un drame permanent.

La mosaïque afghane

Les Pachtounes
L'Afghanistan, c'est avant tout le Sud, le pays des “Afghans” proprement dits, le pays des Pachtounes. De Farah, à l'ouest, à Jalalabad et Kaboul, à l'est, en passant par Kandahar et Ghazni, voici le pays des tribus pachtounes. Nomades ou sédentaires, celles-ci adhèrent toutes à l'islam sunnite.
En 1747, leur union, sous la conduite d'Ahmad Chah, conduit à l'indépendance de l'Afghanistan libéré de la tutelle de la Perse, l'Iran actuel. Tiraillé entre la volonté centraliste de ses monarques successifs et l'insoumission des tribus, l'Etat afghan échappe, au XlXème siècle, aux tentatives russe et anglaise de le conquérir par la force ou la ruse.
Cependant, la moitié des Pachtounes était colonisée par les Anglais qui les avaient inclus dans leur vaste Empire des Indes. On les retrouve aujourd'hui au Pakistan, l'un des Etats nés, en 1947, de la partition de cet empire. Appelés “Pathans” par les Pakistanais, les Pachtounes de l'Est vivent autour de Peshawar et Quetta, dans une région frontalière semi-autonome où règne le droit tribal. Ainsi, depuis un siècle, cette frontière est-elle une source de conflits car à Kaboul, on ne veut pas oublier l'idée patriotique du “Pachtounistan” réunissant toute l'ethnie. Les Pathans, fortement présents dans l'armée pakistanaise, pilier majeur du pouvoir central, sont réticents à cette union.
Au nombre de 10 millions environ, les Pachtounes d'Afghanistan ne représentent que 40% de la population de leur Etat. Le reste se compose de tous les peuples qu'ils ont conquis depuis deux siècles

Les persophones
Les gens de langue persane, la langue de l'Iran et du Tadjikistan voisins, sont les plus nombreux, 11 à 12 millions. Avec 45%, ils se partagent entre les Tadjiks du Nord (25%), à Hérat, Mazar-e-Charif, Baghlan, Kunduz, Faizabad et les Hazaras de l'Hindou Kouch, au centre du pays (20%). Si la plupart des Tadjiks sont musulmans. sunnites, les montagnards hazaras sont chutes comme les Iraniens. Seuls entre tous les Afghans, les Tadjiks ne connaissent pas d'allégeance tribale.

Les turcophones
Dans les provinces voisines du Turkménistan et de l'Ouzbékistan, à Maîmana, Mazar-e-Charlf, Baghlan, Kunduz, vivent des Turcs (7%, 2 millions environ), tous musulmans sunnites. Les plus nombreux sont les Ouzbeks suivis des Turkmènes ; quelques milliers de Kirghizes vivent dans le Pamir.

Les autres minorités
D'autres petits peuples, les Nouristanis et Pamiris, à l'est, les Balouches et Brahouis, au sud, sont des minorités consistantes de la mosaïque afghane. Pour être complet, il faudrait signaler également la présence de quelques milliers d'Arabes, de Juifs, d'Hindous, de Gitans Implantés depuis longtemps dans le pays.
Kaboul, la capitale, est historiquement de peuplement pachtoune. Mais du fait de son rôle majeur depuis l'indépendance, du fait de la guerre, aussi, elle est devenue assez cosmopolite. Les persanophones (Hazaras et Tadjiks) y sont désormais majoritaires. Pendant longtemps, le dan, c'est-à-dire le persan, a été la langue officielle et de culture. Beaucoup de Kaboulis d'origine pachtoune le pratiquent. C'est seulement en 1978, avec.. l'arrivée des communistes au pouvoir, que le pachtou devient langue officielle. Il l'est resté depuis.

L'histoire récente

Le pays des Afghans a commencé à se moderniser sous Zaher Chah. En 1964, une Constitution est promulguée. Une démocratie limitée se développe chez les citadins. Des partis marxisants et islamisants apparaissent. En 1973, le prince Daoud instaure la République ; il la veut moderne et non-alignée ; les aides affluent de l'étranger. Mais le développement ne vient pas. Le Partl communiste le renverse en 1978. Quatre chefs d'Etat, issus des deux factions que compte le parti, à dominante pachtoune et plus ou moins proches de l'Union soviétique, se succèdent au pouvoir. Avec des bases sociales limitées, le régime se trouve rapidement confronté à une guerre civile menée par divers partis islamistes, modérés comme le “Jammaat-i Islami” de Rabbani et Massoud (Tadjiks), ou radicaux comme le “Hezb-i Isiami” d'Hekmatyar (Pachtoune).
L'intervention brutale de l'armée Rouge, en 1979, se soldera, au bout de dix ans, par 1 million de morts, 5 millions de réfugiés à l'extérieur, un pays en ruine. En 1989, le piteux retrait des Soviétiques aura de grandes répercussions sur le devenir de l'URSS. Le pouvoir communiste de Najlbullah se maintient encore jusqu'en 1992, date à laquelle les “moudjahidins” islamistes s'emparent de la capitale.
Le calvaire des Afghans est loin d'être terminé. Les vainqueurs, incapables de s'entendre, déchirés entre factions ethniques et religieuses rivales, se font encore une guerre sans merci. De 1992 à 1996, sept batailles pour la capitale vont finir de raser Kaboul. On comptera encore des dizaines de milliers de morts. Les Pachtounes ont perdu le pouvoir sans partage qu'ils exerçaient sur le pays. Les Tadjlks dominent, s'alliant tour à tour avec les Ouzbeks, les Hazaras et certains Pachtounes. Rabbani est désigné comme chef de l'Etat dès 1992 avec Massoud pour ministre de la Défense.
Mais venue du Sud lointain, sortie des camps de réfugiés au Pakistan, monte alors l'armée des talibans, les “étudiants en religion”. Fort de l'appui pakistanais et saoudien, ce mouvement Islamiste radical dirige par le mollah Omar, arrive à s'imposer progressivement chez les Pachtounes d'où il est issu. La conquête du Nord et de Kaboul peut se réaliser.
En 1996, Kaboul est prise ; les talibans contrôlent les 3/4 du pays. Un régime d'un autre âge s'abat sur l'Afghanistan. Les citadines qui exercent une profession sont renvoyées à leurs foyers ; toute manifestation culturelle est prohibée ; les traditions les plus populaires sont bannies. Mais l'insécurité que faisaient régner les bandes rivales disparaît.
L'économie est réduite à sa plus simple expression. En lien avec les mafias et les services secrets pakistanais, la contrebande de produits de consommation se développe vers l'Asie centrale. La culture du pavot s'accroît spectaculairement et avec elle, le trafic de l'opium vers le Pakistan et la Russie. Les talibans prélèvent leur pourcentage, mais le mollah Omar finit par juger anti-Islamique la culture du pavot. Celle-ci est effectivement interdite, mais pas le commerce de l'opium.
Dès 1998, les menées terroristes de Ben Laden, le milliardaire saoudien, et de son réseau islamiste transnational mettent l'Afghanistan sous les projecteurs. À la suite d'attentats meurtriers visant en Afrique les intérêts américains, Washington fait bombarder sans succès des camps militaires de Ben Laden. Ses protecteurs talibans auxquels il s'est associé étroitement ne -voient pas venir le danger d'une telle alliance. Le 9 septembre dernier, ils peuvent même se féliciter de l'assassinat d'Ahmed Chah Massoud, leur implacable ennemi, tué par les sbires de Ben Laden.
Deux jours après, le monstrueux quadruple attentat-suicide perpétré par les Islamistes d'Al Qaida aux Etats-Unis va précipiter la fin du régime. L'intervention américaine musclée, l'aide à l'Alliance du Nord qui s'était constituée autour de Massoud, le lâchage progressif par les tribus pachtounes ont eu raison d'un régime mené par une idéologie arriérée.
Aujourd'hui, les vainqueurs appuyés par les Nations Unies et une coalition internationale, sont à peu près les mêmes qu'en 1992. Mais sauront-ils maintenir des relations pacifiques entre eux ? C'est ce que souhaitent ardemment de nombreux Afghans.
Le Front uni (l'Alliance du Nord), soutenu par les Iraniens, les Ouzbeks et les Russes pourra-t-il rester uni ? Le retour sur scène de l'ancien roi Zaher Chah sera-t-Il suffisant pour pondérer la défaite des Pachtounes? Les Pakistanais ont dû s'incliner devant les pressions américaines. Accepteront-ils la disparition, à Kaboul, d'un pouvoir ami qu'ils contrôlaient par l'intermédiaire des Pathans?
La fédéralisation du pays sur des bases ethniques pourrait assurer souplement sa cohésion. Est-elle réalisable ? Trop d'incertitudes grèvent l'avenir des peuples martyrs d'Afghanistan auxquels on ne peut que souhaiter de pouvoir se passer très vite de l'aide internationale actuelle. La fierté et le courage des Afghans peuvent aussi servir la paix et le développement de leur si beau pays.

Jean-Louis Veyrac


Voir aussi :

Afghanistan, carte -L'Afghanistan, par Jean-Louis Veyrac (1992)