par Jean-Louis Veyrac (1999)
Dans le grand livre des conflits, le chapitre sanglant du Kosovo est à peine refermé que se rouvre celui, tout aussi tragique, de la Tchétchénie. Les acteurs changent mais les drames demeurent semblables Et nous, gens d'Occitanie, gens du Pays nissart, nous assistons impuissants aux massacres pendant que les grands de ce monde nous chantent la messe des Droits de l'Homme dont on ne sait plus, à les écouter, dans quels cas ils sont bafoués et dans quels cas ils doivent être défendus.
Ainsi en était-il au Kosovo. Peuplé majoritairement d'Albanais, cette province yougoslave refusait depuis longtemps le joug des Serbes. Dès la fin de la guerre en Bosnie, en 1995, tous les spécialistes des Balkans s'accordaient sur le caractère explosif de la situation au Kosovo. A ce moment là, le partage équitable de la province entre Albanais et Serbes, justifié par leur ancienne présence historique et leur nombre, était encore possible. Plutôt que d'encourager un compromis territorial et politique, les Nations-Unies, I'Europe et les Américains ont préféré laisser pourrir la situation en tolérant le jusqu'auboutisme des Serbes et des Albanais.
On connaît la suite. Le déchaînement de l'armée yougoslave et des milices contre les Kosovars indépendantistes conduiront aux masacres, aux violences de toute espèce et à l'expulsion organisée de centaines de milliers de pauvres gens. La réaction de l'Occident sera bien lente mais imposante. Deux mois de bom~ardements des troupes et du peuple serbe par l'OTAN auront raison de Milosevic et de sa dictature impérialiste. Justice était faite, le droit des peuples triomphait !
Devenu un protectorat onusien comme la Bosnie, le Kosovo voyait revenir les Albanais réfugiés dans les pays voisins. Animés d'un compréhensible esprit de revanche, les Kosovars retrouvaient un pays dévasté. Poussés en cela par l'UCK, leur armée de libération, ils s'en prirent alors à tout ce qui n'était pas albanais. Destruction des symboles religieux de l'antique présence serbe et agressivité contre les minorités accusées de collaboration, telle était la nouvelle donne. Serbes, orthodoxes et musulmans, Tziganes et Turcs devenaient indésirables. Ils allaient être chassés à leur tour. Les armées occidentales étaient venues instaurer la démocratie, le pluralisme ethnique. Elles assistent, impuissantes mais consentantes, à une "purification ethnique" tant décriée par ailleurs. Comme en Croatie qui fut vidée de ses populations serbes sous les yeux complaisants des troupes de l'ONU... La petite Tchétchénie rebelle a déjà été à la une de l'actualité. Dès 1991, elle proclame son indépendance de la Russie dont viennent de se séparer les quatorze républiques qui composaient l'Union soviétique avec cette dernière. En décembre 1994, Moscou cherche à mater le turbulent peuple tchétchene. Après beaucoup de dégâts et 80 000 morts, I'armée russe se retire et Moscou admet, en 1995, I'indépendance tchétchène sans toutefois renoncer à sa souveraineté nominale sur ce petit pays du Caucase-Nord.
1999 est une échéance importante. L'année prochaine, la Russie votera pour élire son président. Par ailleurs, d'intenses tractations sont en cours entre les pays de la région et les compagnies pétrolières occidentales pour définir par où transiteront le gaz et le pétrole des énormes gisements de l'Asie centrale. A travers le Caucase russe, ou par l'Azerbaidjan, la Géorgie et la Turquie ? La clef de ces deux problèmes est en partie en Tchétchénie. Comme les autres Caucasiens, les Tchétchènes sont d'un islam assez tiède. Parmi eux cependant, il existe des minorités sensibles aux sirènes d'un islamisme pur et dur. Rêvant de libérer du joug russe et chrétien tout le Caucase-Nord, ces groupes ont tenté de propager leur idée en créant des zones libérées en Tchétchénie et au Daghestan voisin. Sentant le danger, Moscou, par la force, a repris les choses en main. Profitant du relatif désordre en Tchétchénie, et prétextant que les auteurs des graves attentats commis dernièrement en Russie s'y cachaient, I'armée russe a souhaité prendre sa revanche. Cela fait bien l'affaire du Premier ministre Poutine qui est en lice pour la présidentielle.
Un important oléoduc acheminant les produits pétroliers de la mer Caspienne vers la mer Noire, traverse le Daghestan et la Tchétchénie. Pour que l'alternative russe demeure crédible, il faut que la région soit pacifiée à tout prix, même dans le cas où un tronçon serait construit plus au nord, hors de Tchétchénie. Il y a là beaucoup de bel et bon argent à gagner, les mafias et les clans politico-économiques russes entendent bien en avoir leur part. La Russie, en tant qu'Etat, si elle veut conserver un rôle majeur, doit pouvoir exercer un droit de regard sur l'exploitation des fabuleuses richesses de son voisinage. Sa crédibilité géopolitique dépend aussi de la solidité de ses frontières actuelles. L'impérialisme russe n'est pas mort. Et les Tchétchènes, ces gêneurs, peuvent bien crever sous les bombes. Ce ne sont pas les Européens ni les Américains qui songeraient à arrêter la main criminelle des Russes. Leurs protestations restent très diplomatiques. En 1994, alors qu'on mourait sous les bombes à Groznyi, la capitale tchétchène, le Conseil de l'Europe n'a-t-il pas admis en son sein la Russie ? Et sans barguigner ! Alors que d'autres petits pays est-européens pacifiques devaient, eux, montrer patte blanche pour être cooptés I
Devant la montée des peuples, les Etats-Unis et l'Union européenne dénoncent la balkanisation de diverses régions du monde. En laissant les Russes anéantir les Tchétchènes, ces pays sont logiques avec leurs principes. Pourtant, ces mêmes démocraties n'hésitent pas à préparer l'avénement d'un tout petit Kosovo qu'il vaudrait mieux unir à l'Albanie. Elles n'ont pas cessé de nous présenter le petit Monténégro, I'une des deux républiques composar,t la Fédération de Yougoslavie, comme un Etat pratiquement indépendant, ce qu'il n'était pas. La vérité, c'est que l'attitude de l'Occident, ce ne sont pas les Droits de l'Homme ni les Droits des Peuples qui la déterminent. Ce sont plutôt ses sordides intérêts matériels qui la commandent. Sans qu'on nous consulte, nous qui avons tout loisir d'élire nos gouvernants...
Voir aussi : Albanie, Yougoslavie