MEDIA LIBRES ?
Mais les media sont libres d'informer comme ils l'entendent.
Je ne suis pas d'accord. Si les media avaient un réel souci d'information objective, la parole serait donnée à ceux qui usent de la violence.
Cela ne revient-il pas à accepter le chantage ? N'importe quelle minorité pourrait alors réclamer des heures d'antenne à la télévision nationale!
C'est faux. Je ne vois en aucun cas, dans le monde, de lutte nationale et ethnique dans lequel l'Etat impérialiste ait donné un droit de communication équivalent à la possibilité d'expression et d'écoute de la minorité en question. Au contraire, l'Etat centralisateur cherche toujours à diminuer au maximum l'expression de l'identité culturelle et politique de l'ethnie qu'il opprime. La violence devient alors légitime car seule expression possible de la revendication politique de ce peuple à contrôler ses choix et à survivre en tant que groupe.
Elle apporte alors la preuve qu'un individu est prêt à mourir pour son groupe. Nous aurons alors deux version de la mort : celle des media qui va définir la mort comme quelque chose d'horrible, affreux, odieux; celle des autonomistes qui vont faire de la dépouille du combattant le symbole-martyr de leur lutte.
Que faites-vous des ethnies qui n'ont pas la maîtrise technologique des media, par exemple celles du Tiers-Monde ?
Les minorités culturelles qui n'ont pas la maîtrise de la technologie pour diffuser leur culture trouveront d'autres solutions. Mais il est possible aussi que cette guerre des cultures impérialistes, dans la mesure où les grandes nations auront pour ambition d'amoindrir la puissance culturelle des autres, tourne à l'avantage des minorités culturelles. Par exemple, les Américains auront intérêt à défendre et propager les cultures minoritaires d'URSS, afin de diminuer la puissance russe, et réciproquement.
LES SERVICES SECRETS
Face à la montée des revendications autonomistes, les pouvoirs étatiques ont-ils des réponses ?
Dans la plupart des démocraties occidentales, la réponse du pouvoir étatique consiste non pas à réprimer ouvertement mais à intervenir de manière souterraine, par noyautage et infiltration grâce aux Services Secrets dont on sous-estime, généralement, beaucoup l'importance.
Vous croyez donc qu'il y a un terrorisme d'Etat ?
Oui. Dans une dictature classique et totalitaire, l'Etat impérialiste n'a pas besoin de se cacher pour détruire ses opposants. Par contre, dans les démocraties occidentales, l'Etat qui désire éliminer les autonomistes, développe un terrorisme d'Etat, par personnes interposées; c'est le GAL (association de malfaiteurs qui sévit contre les militants Basques), les barbouzes, les services secrets, etc. Ce terrorisme-là a l'immense avantage de rester impuni, et il a souvent les media pour lui, qu'il contrôle indirectement.
Les progrès de l'informatique dans le service de renseignements en ce qui concerne le fichage, par exemple, ne rend-il pas la lutte des minorités culturelles plus difficile ?
Il s'agit là d'une question tactique concernant les mouvements de libération. En admettant que le renseignement progresse considérablement, il ne faut pas en conclure que cela jouera uniquement en faveur de l'Etat centralisateur, car, une fois que ses Services Secrets vous auront identifiés, vous et vos opinions, en quoi cela changera-t-il la situation ? Vos opinions n'en seront pas modifiées; tout au plus cela épaissira-t-il les dossiers et les fiches. La bureaucratie de la classe dominante sera alors obligée d'accentuer la répression et créera ainsi un cercle vicieux, favorisant de nouvelles prises de conscience.
Mais si les Etats voulaient écraser les mouvements autonomistes, ils le pourraient; ils en ont les moyens techniques.
Oui et non. Les Etats centralisateurs, aujourd'hui sont tributaires également de l'opinion publique et ne peuvent pas faire un usage immodéré de la répression. D'où, je le répète, la nécessité pour eux d'avoir recours aux Services Secrets et à leurs méthodes subversives.
OPINION PUBLIQUE
Vous croyez donc que, dans les Etats démocratiques d'aujourd'hui, il soit difficile de réprimer un soulèvement ethnique sans provoquer immédiatement la réprobation de l'opinion publique ?
Chaque fois que leur intérêts sont menacés, les Etats impérialistes abandonnent bien vite le masque du libéralisme. Une répression dure et impitoyable est toujours possible, voire probable, car on trouve après coup facilement des arguments pour la justifier ou pour l'excuser. Combien de morts en Irlande ?
Selon vous, que doit alors faire une minorité ethnique pour survivre ?
Une seule chose, lutter et, dans cette perspective, veiller d'abord à la propagation et au maintien de sa culture et de sa langue, bases de la conscience nationale. Vignault au Canada et Allen Stivel en Bretagne ont fait davantage pour la défense et la diffusion de leur culture que cent intellectuels et deux cent livres sur ce sujet.
Les Services Secrets ont de tous temps existé pour informer le pouvoir et lui permettre de prendre des mesures pour défendre les lois, c'est-à-dire les règles communautaires démocratiquement décidées. Il ne semble pas justifié de leur accorder plus d'importance.
Cela n'est pas plus qu'un voeu pieux. En réalité, le pouvoir des Services Secrets dans les pays occidentaux s'est accru considérablement par rapport à ce qu'il devrait être. Je dirais même que la majorité des décisions concernant les ethnies sont prises par les Services Secrets. J'entends par là que les instances démocratiques parlementaires s'occupent de la routine alors que les zones de rapports de force entre les politiques impérialistes ainsi que le contrôle de l'opinion publique à propos de la féfense et de la sécurité du territoire sont en fait maîtrisés par les Services Secrets. C'est, inconsciemment, la dynamique de l'ethnie dominante qui réclame une telle situation. Les Services Secrets de tout Etat impérialiste ont pour fonction, non seulement de défendre le territoire, mais aussi, d'en permettre l'expansion, et cela au détriment des principes démocratiques qui voudraient que les minorités aient également voix au chapitre.
Il s'agit là d'affirmations gratuites. Avez-vous des preuves de ce que vous avancez ?
Bien que le bon sens réclame qu'une communauté, dotée d'une langue et tradition commune, puisse disposer d'une radio, d'une télévision et d'une presse écrites proportionnelles au nombre de ses ressortissants, nous constatons que sur le terrain ces éléments n'existent pas : pourquoi ? Je ne pense pas que les Services Secrets soient étrangers à cette situation. Aux Etats-Unis, derrière une façade libérale, la CIA influe directement dès que l'intérêt expansionniste de l'ethnie anglo-saxonne est en jeu (Amérique latine) tout comme à l'intérieur des frontières elle maintient les minorités sous la domination des anglo-saxons.
Les Services Secrets ont-ils les mêmes pouvoirs sous des régimes dictatoriaux ?
Oui. Mais dans les pays totalitaires, il n'y a pas de faux-semblant. On joue carte sur table. Andropov, avant d'être chef de l'Etat soviétique fut chef du KGB, ce qui revient à dire que l'appareil d'Etat (et du Parti) et le KGB sont en osmose. C'est donc ouvertement que s'établit une connivence entre le pouvoir exécutif et les Services Secrets, contrairement aux pays occidentaux où l'on assiste à un simulacre de liberté.
Donnez-nous des exemples.
L'opinion publique croit que l'on peut se réunir librement entre personnes d'un même avis, fonder une association pour le défendre, et le proposer aux autres (réunions, publications, etc.). En réalité, cela est faux, car les Services Secrets s'infiltrent, noyautent et contrôlent de l'intérieur toutes las associations qui ne vont pas dans le sens de l'ethnocentrisme de l'Etat. Les Services Secrets créent de toutes pièges des associations pour faire régner la confusion parmi les minorités agissantes. Les Services Secrets tuent par l'intermédiaire du GAL, de barbouzes : ceux-ci n'étant pas l'émanation d'une quelconque couche sociale, ils ne sont que des mercenaires payés par le pouvoir.
Est-ce que le pouvoir des Services Secrets va augmenter ?
Non seulement je crois qu'il va augmenter mais cela sera accepté, c'est-à-dire que l'opinion publique des ethnies impérialistes va trouver naturel que certaines activités de la vie publique échappent à la règle démocratique. Les Services Secrets prennent à leur charge, avec l'accord tacite de l'ethnie dominante, le maintien et la consolidation des intérêts de cette ethnie. Il ne manque pas d'exemples où la population approuve plus ou moins consciemment les actions des Services Secrets, en France pendant la guerre d'Algérie, aux U.S.A. de tout temps.
Mais la presse, qui est libre, devrait réagir et protester contre de telles actions.
Quitte à vous étonner, je dirais que la presse elle-même est, progressivement, passée sous le contrôle sinon des Services Secrets du moins de l'ethnocentrisme dominant.
Je pense en particulier à des journalistes qui s'occupent de rubriques d'affaires étrangères ou correspondants étrangers, et dont l'opinion est toujours ethnocentrique.
INFILTRATION
Croyez-vous que les Services Secrets aient une stratégie ?
Leur stratégie est de maintenir l'unité nationale et de promouvoir l'expansion de l'ethnie qu'ils défendent. Ensuite, nous pouvons remarquer qu'ils se placent au-dessus de la mêlée des partis. Car ils sont censés incarner les "intérêts supérieurs de l'Etat". Ceci dit, ils ont une stratégie sur le terrain : après s'être rendus compte que la répression ouverte ne paie pas, à cause des incidences sur l'opinion publique et les risques d'effet "boule de neige", ils ont opté pour l'infiltration et les actions ponctuelles de l'intérieur. La répression n'est utilisée qu'en dernier recours, encore qu'elle puisse étre maquillée.
Quelle peut être la réaction des mouvements autonomistes par rapport aux Services Secrets ?
Dans la mesure où l'intervention des Services Secrets fausse le jeu démocratique, les autonomistes n'ont pas d'autre voie qu'un recours plus fréquent à la violence.
Vous donnez beaucoup d'importance à la défense de la langue; ne croyez-vous pas que l'action militaire à partir d'une conscience nationale donne des résultats plus rapides ?
Dans la lutte ethnique, comme dans toutes les guerres d'indépendance nationale, le fait culturel linguistique est au cur du problème. Bien que l'oppression économique et sociale soit souvent à l'origine de la lutte, l'identité collective, dans toutes ses dimensions, y compris son aspect linguistique, en est l'enjeu principal. Aujourd'hui, la guerre culturelle est devenue plus sophistiquée, subtile. Elle fait rage tout le temps et partout. Chaque instant voit les ethnies réaliser délimitations, consolidations et vérifications de leur territoire culturel.
J'insiste : dans les guerres de libération nationale, la culture n'est-elle pas secondaire par rapport à l'élément militaire ? Ce n'est pas la langue mais bien le nombre de canons alignés face à l'adversaire qui importe : l'Algérie et le Viet-Nam en sont des exemples.
Non. Dans presque tous les cas de lutte contre un impérialisme, la langue est le symbole politique, conscient ou inconscient, de la nation. La force n'est que le moyen de préserver l'identité culturelle.
GUERRE OU TERRORISME
Quelle différence faites-vous entre terrorisme et guerre de libération nationale ?
Une guerre implique des armées, des mercenaires, des appelés, alors que la lutte de libération nationale implique une minorité ethnique, consciente et volontaire, luttant de l'intérieur contre un Etat oppresseur. Une lutte de libération nationale coûte moins en vies humaines qu'une guerre qui suppose des destructions massives. Aussi, les individus en présence prennent leurs responsabilités et assument à titre individuel leur engagement. Il n'y a pas d'appelés.
Comment s'articulent les unes par rapport aux autres les guerres à caractère économique, celles à caractère culturel et celles qui sont simplement militaires ?
La guerre des langues, c'est-à-dire la guerre culturelle, est permanente. Elle a lieu chaque fois, par exemple, qu'un produit porte une étiquette rédigée dans une langue différente, qu'un film n'est pas sous-titré, chaque fois que vous subissez une autre langue et surtout dans le cadre de l'enseignement. Elle est presque toujours accompagnée d'une guerre économique, dégénérant alors seulement en guerre militaire, dans certains cas.