La lettre ethniste

de Jean Louis Veyrac

N°3

20 février 2000

LE GOLAN, CLEF DE LA PAIX ?

L'actualité des ethnies ne fait de doute pour personne. De Timor à la Carinthie slovène en passant par la Tchétchénie et le Kosovo, les (mauvais) rapports entre ethnies sont bien au coeur des affaires internationales contemporaines. Parmi les problèmes lancinants qui occupent le devant de la scène depuis des décennies, les relations judéo-arabes.

Intégration régionale

La reconnaissance spectaculaire d'lsraël par l'Egypte en 1977, a marqué le début d'une intégration laborieuse de l'Etat juif au sein du Moyen-Orient à dominante arabe et musulmane. Lancée fin 1991, dans la foulée de la Guerre du Golfe, la Conférence de Madrid a vu cette intégration se préciser.

S'appuyant sur les liens pacifiques établis avec les deux grands Etats musulmans de la région, I'Egypte et la Turquie, le processus s'est affirmé en septembre 1993, à partir des Accords d'Oslo entre Israël et l'Organisation de libération de la Palestine (OLP). Le traité de paix signé l'année suivante avec la Jordanie l'a confirmé avec force. Divers accords avec les pays du Golfe (Oman, Emirats arabes unis) et du Maghreb (Maroc, Tunisie, Mauritanie) ont manitesté le caractère global de cette intégration régionale. Celle-ci est devenue patente depuis la participation d'lsraël à plusieurs conférences économiques régionales multilatérales.

Si l'Arabie séoudite est encore réticente, les seuls opposants à cette intégration sont l'lrak de Saddam Hussein et l'lran khomeïniste qui n'ont pas renoncé à voir disparaître une "entité sioniste" vouée aux gémonies.

Israël / Palestine

Le processus de paix avec les Palestiniens s'avère très ardu. Il porte en effet, non seulement sur la reconnaisance réciproque mais plus encore, sur la reconnaissance des droits territoriaux de chaque partie. La profondeur historique du lien matériel, spirituel et affectif du peuple juit avec la Terre Sainte est indiscutable. La réalité de la présence arabe dans ce même territoire est incontournable. Aucune approche géopolitique ne peut faire abstraction du caractère nécessairement conflictuel de deux revendications, I'israélienne et la palestinienne, ayant pour fondement territorial, un même pays. Le principe de l'existence de deux Etats dans le cadre exigu de la Palestine mandataire fut posé en 1947. C'était une gageure et pour le moment, I'Histoire n'a nullement tranché en ce sens. A échéance humaine, rien de définitif ne saurait être acquis entre Israéliens et Palestiniens. La démographie, I'économie, la culture auront à l'avenir un poids aussi déterminant que peuvent l'avoir actuellement, la politique, la religion et la force des armes.

Le front syro-libanais

Le sujet de cette lettre ethniste n°3 n'est pas cet affrontement existentiel. Il porte plutôt sur un aspect secondaire mais néammoins capital. La Syrie, et le Liban, son protectorat depuis les accords de Taëf en 1979, sont les seuls voisins directs d'lsraël qui n'aient pas encore signé avec lui, un accord, ou mieux, un traité de paix. Depuis la Guerre du Kippour en octobre 1973, le front libanais est resté un front très chaud pour l'Etat hébreu. Les opérations militaires sur le sol libanais et la mise en place d'un glacis territorial de sécurité ont coûté la vie à environ 2000 soldats de Tsahal depuis cette date.

Ce qui est particulièrement curieux dans cette affaire, c'est qu'lsraël ne se bat pas directement contre ses deux voisins du nord. Son armée appuyée par les supplétits maronites et chiites de l'Armée du Liban-Sud (ALS), affronte en effet la milice du Hezbollah chiite ainsi que celle d'Amal, une autre formation chiite. En arrière-plan, se tient la Syrie qui contrôle politiquement et militairement, la presque totalité du territoire libanais. Totalement fantoche, le gouvernement pluri-confessionnel de Beyrouth en réfère systématiquement à Damas. Il est une simple tête de pont syrienne en direction de l'Occident auquel les affaires et l'histoire lient le Liban depuis longtemps. Pour ce qui est des milices chiites, Amal est dans la main d'Hafez el-Assad et le Hezbollah, quant à lui, reçoit argent et assistance de l'lran des mollahs - chiites, eux aussi - et obéit aux desiderata syriens. Ces forces politico-militaires sont incisives contre l'Etat juif et ses alliés ou se modèrent chaque fois que la Syrie l'exige.

Faire la paix

L'occupation depuis 1978, de la "zone de sécurité" au Sud-Liban, ne revêt pour Israël qu'un caractère transitoire. Son existence est liée à la fin des hostilités entre ce pays et les groupements, palestiniens et libanais, qui ont pu ou continuent de menacer la sécurité de la Galilée, sa région septentrionale. Etablie depuis les années 1920, à l'époque des mandats français (Liban-Syrie) et anglais (Palestine-Transjordanie), la frontière internationale n'est pas en question si ce n'est sur d'infimes points de détail. La frontière israélo-syrienne est, depuis les accords de désengagement de 1974, à la suite de la Guerre du Kippour, d'une parfaite tranquilité. Les forces onusiennes qui y stationnent n'ont jamais enregistré un seul coup de feu ni aucune provocation. C'est pourtant le désir forcené de Damas de récupérer le plateau du Golan, occupé par Israël en 1967 et annexé en 1981, qui explique que les tirs de katiouchas du Hezbollah pleuvent sur la Galilée. Comme on le voit bien, Israël n'a qu'un seul véritable adversaire au nord, la Syrie.

Depuis l'ouverture de la Conférence de Madrid sur le Proche-Orient, les tractations entre Damas et Jérusalem n'ont pas manqué. Troublée par les Accords d'Oslo avec les Palestiniens, la Syrie a alors mis les bouchées doubles pour arriver à un accord. En 1994, celui-ci semblait en vue. Mais les pressions de la Turquie sur Israël et le manque d'entrain syrien à accepter une paix ouverte firent capoter les pourparlers. Ceux-ci ont repris en décembre 1999 avec la bénédiction américaine. Entre temps, Damas avait refoulé Abdullah Ocalan, leader du Parti des travailleurs kurdes (PKK), qu'elle abritait depuis dix ans. On sait ce qu'il est depuis lors advenu de ce denier.

Le Golan

Avec ses 1150 km2 de superficie, le plateau du Golan culmine au mont Hermon (2814 m) et domine, d'un côté, la vallée du Jourdain et le lac de Tibériade, de l'autre, la plaine syrienne. Damas est située à seulement 60 km de distance. De cette position élevée, les Syriens bombardaient impunément les kibboutz de la haute vallée du Jourdain. En juin 1967, sa conquête par les tanks israéliens fut une des grandes batailles de la Guerre des Six-Jours. Repris par les Syriens en 1973, Tsahal le regagna de haute lutte et il fallut l'intervention américaine pour que les chars de l'Etat hébreu n'investissent Damas. Dans un affrontement de type conventionnel, c'est bien évidemment, une position stratégique. Pour renoncer au Golan alors qu'il l'a annexé, il faut qu'lsraël obtienne des garanties très fortes quant à sa sécurité.

En 1967, la Syrie évacua la plupart des habitants du Golan. Il ne resta sur place que les druzes qui sont 15 000 actuellement. Ils vivent dans quelques villages dont les plus gros sont Majdal Shams et Mas'ada. Plusieurs centaines d'alaouites habitent le village de Ghajar sur la rivière Hasbani. Installés au XIXe siècle, à la fin de l'époque ottomane, de nombreux Circassiens peuplaient le Golan jusqu'aux Six-Jours. Il en reste plusieurs centaines dans le seul village de Mansura près de leur ancien centre de Kuneitra, ville fantôme aujourd'hui. Ces populations n'ont procuré aucun problème à l'Etat juif mais en 1981, lors de l'annexion du plateau, elles refusèrent les cartes d'identité israéliennes qui leur étaient accordées. C'était une façon logique de ne pas s'aliéner la Syrie. Israël prend soin de toute manière de ses minorités et ne leur en tint pas rigueur, ses propres citoyens druzes et circassiens y veillant.

Le Golan est une région administrative israélienne dont le centre est Kazrin, un gros bourg réputé pour sa cave coopérative où est vinifié l'essentiel de l'excellente production viticole de la région. Véritable château d'eau constituant un tiers des réserves hydriques de l'Etat hébreu, le plateau représente un enjeu économique de taille. Trente-trois implantations abritent les 17 000 résidents juifs, à nette dominante laïque. Anciennement peuplé par les Juifs de la tribu de Dan, le Golan recèle plusieurs synagogues antiques. Le site historique majeur est cependant Gamla, dit aussi le "Massada du Nord". Assiégés par les Romains en 67 de notre ère, ses défenseurs périrent par suicide plutôt que de tomber aux mains de l'ennemi. Exactement 1900 ans plus tard, des soldats juifs libéraient Gamla...

Les conditions de la paix

La reprise des discussions avec Jérusalem n'allait pas de soi tant les Syriens se montrent inflexibles sur leur objectif qui reste la récupération de la totalité du Golan dès la signature d'un accord.

S'étant engagé à mettre fin au conflit avec le Liban un an après sa victoire électorale, soit avant juillet 2000, le Premier ministre israélien, Ehoud Barak, accepte le principe de cette restitution. Un référendum populaire devra toutefois entériner cette décision. La contre-partie porte sur les arrangements de sécurité, avec notamment le maintien d'une station d'écoute radar sur le mont Hermon, et la démilitarisation d'une large portion de territoire syrien, jusqu'aux portes de Damas. En outre, selon Jérusalem Damas doit garantir que les eaux descendant vers la vallée du Jourdain et Kinneret (le lac de Tibériade) ne seront pas entravés. La normalisation des relations doit intervenir en même temps que l'arrangement, bien qu'à l'évidence, il faille "laisser du temps au temps" pour arriver à une paix véritable.

La pierre d'achoppement est, en fait, le tracé de la frontière. Trois possibilités s'offrent aux négociateurs: la frontière définie par les Anglais et les Français en 1923, celle de l'armistice israélo-syrien de 1949 et enfin, celle du 4 juin 1967. Foncièrement très proches l'une de l'autre, ces trois variantes ne diffèrent que pour quelques dizaines de kilomètres carrés répartis en plusieurs poches. L"importance de ces zones est liée à la question de l'eau. Par exemple, selon le tracé envisagé, les rives du lac de Tibériade resteraient totalement israéliennes ou seraient partagées. Plus souple sur les autres questions, Hafez el-Assad reste intraitable sur celle de la frontière, et revendique celle de 1967 qui avantage le plus la Syrie. Le gouvernement Barak est, lui, favorable à la limite internationale de 1923.

La paix, vraiment ?

Avant même que, ces dernières semaines, les katiouchas ne menacent les localités galiléennes, les gouvernants israéliens commençaient à douter des véritables intentions syriennes. Hafez el-Assad veut-il vraiment de la paix ? Rien n'est moins sûr. Le vieux "Lion" alaouite n'aime que les compromis qu'il peut, à sa guise, rendre caducs. Même froide, la paix suppose un compromis d'autant plus difficile qu'il faut le passer avec un Etat qui ne s'en laisse pas compter. Seul le chantage par l'intermédiaire du Hezbollah peut amener Israël à céder aux revendications de Damas. C'est pour cela que la poudre parle à nouveau au Sud-Liban.

D'autre part, il faut être bien conscient que la Syrie peut rester encore longtemps en état de guerre froide avec son voisin méridional. Cela lui coûte peu et c'est très pratique pour la dictature baathiste. L'important pour la Syrie reste la "digestion" du Liban. L'affaire est très avancée. 40 000 soldats et de nombreux membres des Moukhabarat - les services secrets - quadrillent le pays du Cèdre. Un million de travailleurs syriens y ont immigré qui remplacent les nombreux Libanais ayant fui leur pays natal. La sujétion politique est totale. La pesante tutelle syrienne ne trouve de justification morale que dans l'occupation de la "zone de sécurité" par Israël. L'annexion de facto du Liban ne trouve pas d'opposants en Syrie même. Il en est autrement de la main-mise absolue de la minorité religieuse alaouite (11% des Syriens) sur le gouvernement et l'armée. Cette dernière joue forcément son va-tout dans le maintien de l'état de guerre larvée. C'est toute son autojustification patriotique et guerrière qui serait remise en cause si la paix arrivait. Sunnites, (majoritaires à 75%) frustrés de pouvoir damascène depuis 1965, Frères musulmans, impitoyablement pourchassés, montagnards druzes marginalisés, seraient assurément enclins à un renversement des rôles. La main de fer d'Hafez el-Assad a pu aussi être lourde pour quelques clans alaouites lui ayant déplu et qui ne lui pardonnent pas. Sa maladie, sa succession par son propre fils, Béchar, encore mal assurée, rendent la stabilité du régime, hypothétique. L'Etat syrien est finalement peu disposé à faire des concessions. Car, au bout du compte, I'objectif stratégique des élites syriennes, toutes tendances confondues, reste la réalisation de la "Grande Syrie". Obtenue par toutes voies, la force ou la démocratie, elle unirait à l'actuelle Syrie:

  1. le Liban, y compris le Sud, pratiquement acquis;
  2. le Golan, en bonne voie de récupération; à plus long terme,
  3. le sandjak turc d'Alexandrette, peuplé en partie d'Arabes syriens autochtones;
  4. la Galilée, au nord de la ligne Tibériade-Haïfa, avec son semis de villages arabes (bédouins, druzes, chrétiens) où vit la moitié des Arabes citoyens israéliens;
  5. la Jordanie et toute entité dénommée "Palestinen".

On comprend donc que dans l'esprit des dictateurs alaouites, la paix n'est pas un objectif en soi. Elle ne peut être qu'une tactique. Mais l'homme de la rue et de la campagne, I'etudiant, le commerçant raisonnent différemment. L'amélioration du niveau de vie général est sans doute plus proche de leurs ambitions. La paix libèrerait des fonds à affecter au bien-être général.

Les raisons d'Israël

Devant le chantage syrien par Hezbollah interposé, Jérusalem s'apprête à abandonner unilatéralement le Sud-Liban. Cette décision à haut risque militaire serait un coup de poker diplomatique. En effet, le retour de Tsahal à la frontière internationale mettrait l'Etat syrien totalement en porte à faux par rapport à l'opinion mondiale et plus encore, par rapport aux Libanais. Rien ne justifierait plus la présence militaire de Damas dans son protectorat. En agissant ainsi, Israël n'aurait pas la paix assurée, certes. Il pourrait toujours répondre aux coups reçus en portant le feu en terre libanaise. La Syrie, quant à elle, ne peut se permettre une confrontation directe. La possession du Golan regagnerait beaucoup d'attrait car, bien qu'affaiblie, la menace syrienne reste réelle. D'autant plus si, comme cela est probable, la fin d'el-Assad débouche sur une période d'incertitudes et de turbulences à Damas. Barak n'a, de plus, pas gagné d'avance le référendum sur l'éventuelle rétrocession du plateau. Les opposants peuvent faire valoir à bon droit que la paix n'est pas encore entrée dans le coeur des voisins arabes du nord.

Lâcher le Golan maintenant serait prendre un risque majeur. Militairement, c'est dangereux. Economiquement, c'est une grosse perte. Politiquement, les temps ne sont pas vraiment mûrs. Plus tard, viendra le moment de "rendre les villages druzes" comme l'avait initialement proposé Itzkhak Rabin avant de parler du Golan comme étant la "terre des tanks". A moyen ou long terme, un compromis et un partage du plateau seraient la seule transaction honnête et équitable. Mais un tel objectif ne peut être atteint avec l'actuel régime syrien. Bien qu'irréaliste, et tant qu'il concerne le sol et l'ethnie arabe, son projet de "Grande Syrie" n'est pas foncièrement pour déplaire aux ethnistes. La volonté de puissance aveugle - hélas ! - beaucoup trop de nationalistes. Dans ce cas précis, personne ne doit oublier l'attitude de la Syrie, protectrice de quelques criminels nazis et qui, des années durant, retint en otage sa communauté juive. Pas plus qu'on ne saurait oublier le sort qu'elle fit à ses ressortissants kurdes qu'elle déplaça de force de leur habitat ancestral dans les années 70. Leur région, proche de la Turquie, recélait du pétrole. A l'époque, I'Occident se tût. Aujourd'hui qu'il a oublié, il appellerait cela de l'"épuration ethnique" !

Jean-Louis Veyrac

la lettre ethniste n°4 paraîtra le 5 mars prochain. Elle portera sur les perspectives d'un Etat touareg au Sahara.