20 janvier 2000
C'est au premier mois d'un millésime tout rond que paraît le numéro 1 de La lettre ethniste Fin de XX° siècle, pour les uns, début du 3° millénaire de l'ère commune, pour les autres, I'an 2000 est en tous cas, une invite à procéder à un bilan ethniste portant sur les cent ans qui l'ont précédé.
Le XX° siècle a été marqué par des phénomènes politiques de grande ampleur, tant sur le plan idéologique que sur la plan des masses mises en mouvement. De Berlin à Saigon et Vladivostok, le communisme a dominé l'Orient rouge pendant des décennies. Le nazisme et le fascisme ont flambé moins de temps mais ils ont fait des émules aux quatre coins de la planète: I'Europe fut infestée et l'Amérique latine ne le fut pas moins, le Japon le connut et l'Afrique du Sud, aussi. Pas plus que les "surhommes", le "prolétariat" n'a pu rédimer l'espèce humaine. Un temps illusoire, leur tentative s'est achevée par une colossale catastrophe pour tous les peuples touchés (guerre mondiale, goulags). Plus récent, I'islamisme s'est répandu avec une grande facilité sur le terreau des révolutions blanches loupées et des socialismes déconfits du Tiers- Monde. Toutes les communautés musulmanes sont atteintes à des degrés divers. Mais la vague semble déjà marquer le pas un peu partout. Il est à noter que, pendant leur période d'existence, ces orientations politiques s'appuient sur l'exaltation forcenée des valeurs nationales et patriotiques. L'ennemi est identifiable par son origine ethnique, sa langue, ses pratiques culturelles, son statut social, ses positions politiques. Le compatriote qui ne s'identifie pas aux valeurs du groupe, est un déviant qu'il convient d'éliminer.
La démocratie, ou pour l'opposer aux précédents, le démocratisme, semble être la seule idéologie de masse qui se soit épanouie en ce siècle et puisse se renforcer au cours du prochain. Son succès résulte sûrement d'une conjonction de plusieurs facteurs. Celui qui me semble déterminant à l'échelle mondiale, c'est l'autonomisation des individus. Celle-ci est due à l'évolution des techniques autant qu'aux intenses contacts entre cultures. L'instinct grégaire, que les faiseurs d'opinion savent si bien manipuler, fonctionne toujours. Mais l'individu existe. De plus en plus, il prend ses distances avec le groupe social, religieux, ethnolinguistique dans lequel il baigne bien qu'il ne puisse s'en détacher véritablement. La force de la démocratie par rapport aux autres régimes c'est qu'elle se fonde sur cette dissociation. On comprend qu'il en découle de nombreuses situations concrètes vécues positivement par des foules immenses, tant au plan économique que culturel.
S'inscrivant dans une perspective historique longue, I'ethnisme prône la libération des ethnies contre tous les impérialismes, grands et petits. Si cela avait un sens, I'ethnisme aurait soutenu Spartacus et Vercingétorix contre Rome, I'inka Atahuallpa contre Pizarro, et la Kahena berbère des Aurès contre les tribus Beni Hillal. Plus près de nous, I'ère des nationalités, au XIX° siècle, était d'essence ethniste tout comme la décolonisation, au XX°. C'est d'ailleurs de la théorisation de ces deux phénomènes dans les années 50 et 6 que dérive l'essentiel des arguments ethnistes. L'ethnisme tel que je le conçois ne nie pas l'individu, bien au contraire. L'autonomie de choix et le libre-arbitre de celui-ci doivent être entiers. Soyons concrets. Les démographes peuvent bien quantifier les mariages inter-ethniques et les idéologues raisonner sur les vertus ou les défauts du métissage. Ie dernier mot doit revenir à ceux qui s'aiment, par delà ou à cause de leurs différences. De même les usages linguistiques ne sauraient être corsetés et lcs individus limités à une ou deux langues imposées par l'Etat ou la force du marché. Parce qu'il ne nie pas l'individu, I'ethnisme est forcémcnt favorable à la démocratie qui, sans être parfaite, est bien le moins mauvais des régimes. La démocratie entre les peuples vaut bien autant que la démocratie entre groupes sociaux diflérents et entre individus à l'intérieur d'un seul peuplc. Elle est de même essence humaniste. Vouloir la liberté pour un millier de Kets sibériens, un million de Tchétchènes, une dizaine de millions d'occitans voire une centaine de millions de Bengalis, participe d'unc seule et même démarche démocratique à l'échelle mondiale. Mais l'indépendance d'une ethnie ne saurait être entravée sous prétexte qu'elle ne serait pas conduite par des forces authentiquement démocratiques. Premièrement parce que les démocraties n'ont pas de leçons de "Droits de l'Homme" à donner ce sont d'indiscutables régimes démocratiques qui ont fait la guerre d'Algérie, celle du Vietnam et, maintenant, celle de Tchétchénie ! Deuxièmement parce que c'est à chaque peuple concerné de comprendre que toute voie nationale s'appuyant sur la dictature mène à la catastrophe et à la régression nationales. Ies régimes de Pol Pot, Milosevic, Kim Jong 11, Castro, Syad Barre, Hodxha l'ont amplement démontré.
L'ethnisme est-il ou deviendra-t-il un phénomène de masse comme les idéologies citées précédemment ? Oui et non, c'est et ce sera une arfaire de perception. Oui, parce que l'émancipation des ethnies est une réalité tangible, inéluctable et planétaire dont on ne peut nier l'évidence et le caractère foncièrement progressiste. Qu'on se situe du côté des oppresseurs ou des opprimés, les libérations nationales ont concerné en ce siècle, la presque totalité de l'humanité. Non, parce que cette émancipation peut se combiner à toutes sortes de ressorts idéologiques et aboutir à des réalisations politiques variées. Telle ethnie européenne à majorité social-démocrate s'affirmera dans le cadre des institutions de l'Europe intégrée. Telle autre, en Asie, s'appuiera sur son particularisme religieux pour créer une situation de rupture avec l'Etat qui la domine mais refusera dc verser dans le fondamentalisme. En Afrique, telle autre, au contraire, choisira la sécession sur des bases racistes en stigmatisant les rivalités ancestrales et les ditférences culturelles. On peut imaginer toutes sortes de variantes, les pires pouvant aussi se manifester en Europe comme on a pu le constater au cours de la décennie écoulée. Bilan ethniste du XX° siècle
Cela dit, au XX° siècle, I'émancipation ethnique - toujours relative, hélas ! - a été un des phénomènes politiques majeurs. En voici, à grandes lignes, un tableau sommaire. Commençons par les cas extrêmes. Il y a eu les génocides des Arméniens par l'Empire ottoman en décomposition, des Juits par l'Allemagne nazie affamée d"espace vital". Ils n'ont empêché ni, en 1948, la résurrection d'lsraël ni, en 1990, I'indépendance arménienne. Les vastes empires ultramarins anglais et français se sont décomposés. Plus modestes, les empires portugais, belge et néerlandais ainsi que l'italien et l'allemand, ont également disparu. De la Yougoslavie à la Chine, les régimes communistes adoptèrent peu ou prou des politiques prenant en compte les "nationalités". Ces politiques étaient certes grevées par le régime de parti unique, ce qui en réduisait fortement la portée. Le nombre d'Etats en Europe et en Asie s'est accru du fait de l'éclatement de l'Union soviétique et de la Yougoslavie. Quoique réduit, I'empire continental russe demeure mais il est malmené au Caucase. Le monde musulman doit compter, lui aussi, avec les réalités ethniques. Kurdes, Berbères, Bedjas et Fours soudanais, Yoroubas, Tadjiks persanophones ne s'en laissent plus compter au nom de l'Islam et de l'Oumma, la "nation musulmane" .
Depuis son indépendance en 1947, I'Inde ne doit de conserver son intégrité territoriale qu'à sa politique révolutionnaire dite "du linguisme". En Afrique du Sud, I'abolition du régime d'apartheid a été un tournant politique décisif, de même que la reconnaissance par l'Ethiopie du droit à l'autodétermination des ethnies qui la composent. La réapparition sur le devant de la scène des peuples autochtones des Amériques et d'Australie est un fait marquant des dernières décennies. L'intégration de plus en plus poussée au sein de l'Union européenne permet à des peuples anciennement colonisés tels que Basques, Catalans, Ecossais, Flamands néerlandais, Luso-galiciens, de se défaire graduellement de leurs liens de sujétion. Même la France jacobine se met à flirter avec les droits des minorités ethnolinguistiques. En guise de conclusion provisoire
Basques, Caucase, Corse, Kurdistan, Mayas, Timor, Touaregs, ... Voilà quelques uns des multiples noms se rapportant aux luttes de libération ethniques (nationales) qui reviendront fréquemment à la une de l'actualité au XXI° siècle. Par notre silence ou notre prise de parole, par notre passivité ou notre action, nous pouvons choisir d'accélérer ou de freiner cette évolution en marche. Plutôt que de justfiler les impérialismes, même les plus petits, nous pouvons les combattre. Les Droits de l'Homme rejoignent la plupart du temps, les Droits des Peuples. Alors, défendons-les en bloc ! En toute liberté, c'est cela être ethniste.
Jean-Louis Veyrac
20 janvier 2000
La lette ethniste n°2 paraîtra le 5 février prochain. Son thème, la Tchétchénie et l'évolution du Caucase-Nord.