L'Estonie
Il s'agit de la moins peuplée des Républiques baltes (à peine 1,2 millions d'indigènes sur les 1,6 que comporte la République autonome). Elle est la plus menacée par la colonisation de peuplement russe qui atteint 28 % de la population. Faible natalité, proximité de Leningrad, émigrations à l'Ouest et déportations en Sibérie en sont la cause. La reconstruction du pays après la guerre a amené un fort contingent de main-d'oeuvre russe. Par ailleurs, l'importance stratégique de l'extrême-ouest (les Iles de la Baltique) a justifié l'envoi de soldats, marins et colons. Autre particularité, la langue. Elle est une branche assez divergente du finnois ; mais l'intercompréhension cependant existe et permet aux Estoniens de capter les informations finlandaises, bouffées d'air pur par temps de langue de bois.
Les écrivains estoniens trouvèrent en Finlande modèles à leur inspiration. Malgré la terreur stalinienne qui entraîna la disparition d'H. Talvik et l'exclusion de Friedebert Tuglas de l'Union des Ecrivains soviétiques, la littérature estonienne fut d'une étonnante prolixité. La fin du stalinisme fut marquée par une nouvelle génération qui annonce le dégel actuel, telles les &brkbar;uvres romanesques de Rudolf Stirge (1904-1970) et Juhan Smuul (1922-1971). Les intellectuels et les étudiants estoniens jouèrent un rôle de premier plan dans le réveil national actuel ; en particulier dans le Mouvement pour l'application des accords d'Helsinki (1975). Citons l'architecte Lagle Parek (fille d'un officier de l'armée estonienne fusillé en 1941 par les Russes) et Enn Tato, philologue arrêté en 1983 pour avoir signé une "Lettre ouverte aux citoyens de Finlande". Quarante et un intellectuels estoniens envoyèrent une lettre au Comité Central du PC pour protester contre le déclin de la culture estonienne. Les autorités argumentèrent de la santé de la culture estonienne. Ils avaient permis la publication d'une Histoire de la Littérature Estonienne en 5 volumes ; le poème national, le Kalevipoeg, avait été édité et une Encyclopédie Soviétique Estonienne a été tirée à 60 0000 exemplaires. Les contestataires objectèrent qu'il s'agissait d' "Ethnologie muséologique" plus que d'une véritable promotion de la langue.
Les importantes manifestations en 1987 contre le Pacte Molotov-Von Ribbentrop débouchèrent sur la constitution d'une organisation de masse: le Front Populaire d'Estonie (mai 1988). Fort de ses 100 000 membres, le Front a su créer une atmosphère de liberté qui s'impose au Parti Communiste local comme à Mikaël Gorbatchev.
Les animateurs du Front se sont attaqués plus particulièrement à la réforme économique : appropriation du sol par la République estonienne, gestion par les Estoniens de leur patrimoine écologique et économique. Ils ont fondé une organisation proprement économique : l' "Ise Majandav Aesti" (Economie Autonome Estonienne) (ise signifiant aussi Miracle).
Lors d'un meeting à Tallin (sept. 1988), 300 000 personnes ont acclamé la revendication de "souveraineté nationale" en présence du secrétaire du PC estonien, Vaino Valigas. Le drapeau national bleu, noir et blanc est à nouveau autorisé comme deuxième drapeau du peuple.
Le 16 novembre 1988, le Parlement de Tallin proclama la "souveraineté de la République". On y décida, pour la première fois, que les lois votées par Moscou devraient être approuvées par le parlement local.
Le 18 janvier 1989, l'Assemblée estonienne adopte par 204 voix contre 50 une loi rendant la langue estonienne obligatoire pour tous les fonctionnaires de la République.
En octobre 1988 un Parti pour l'Indépendance de l'Estonie a pu voir le jour sans qu'il soit interdit.
Tallin apparaît en pointe quant aux exigences par rapport aux deux autres républiques baltes. Mais tout ne va pas sans problème. Les 40% de russophones, Russes, mais aussi Krivitches (Biélorusses) et Ukrainiens se sont regroupés en un mouvement conservateur, l'Interdjivenié, et n'ont pas manqué de déclencher un inquiétant mouvement de grève en août dernier. Ils protestaient contre les lois électorales votées par le Parlement d'Estonie limitant le droit de vote des non-Estoniens. La loi prévoit que le vote sera réservé aux personnes vivant depuis 2 ans en Estonie et que pour être candidat aux élections, il faut avoir vécu 5 ans dans la circonscription où l'on se présente ou avoir vécu 10 ans en Estonie.
De telles lois sont difficilement acceptables par Moscou qui argue de l'égalité des droits. Mais la pression nationaliste est telle que Gorbatchev est amené bon gré mal gré à céder. Il est amené comme l'écrit B. Guetta dans le Monde du 20/08/89 à se faire "le vassal des vassaux contre les vassaux". Etrange situation qui n'est pas sans rappeler celle de De Gaulle en Algérie et dans une certaine mesure celle des dirigeants socialistes français en Corse.
La détermination massive et l'habile pragmatisme des nationalistes estoniens et de leurs voisins semble dorénavant incontournable.
L'utilisation de la violence pour anéantir les forces nationalistes est toujours possible, mais elle serait trop dangereuse pour la Perestroïka. Les nationalistes affichent donc un espoir à toute épreuve.
La Lettonie
Ici aussi, l'occupation russe tenta de gommer par tous les moyens le passé d'Indépendance.
Le pourcentage des Lettons dans leur république autonome passa de 77 % en 1939 à 53 % en 1984. Ils seraient moins de 50 % aujourd'hui. C'est beaucoup pour ce petit peuple d'1,5 million. Il est en conséquence le plus russifié de tous les peuples baltes. Les dirigeants de la plupart des usines sont russes.
Néanmoins le sentiment national letton réussit à s'affirmer au cours des années 1980. Comme en Estonie, l' "Appel Balte au rejet du pacte Molotov-Von Ribbentrop" et en faveur de l'autodétermination est proclamé et aussitôt réprimé par des emprisonnements et des internements en asile psychiatrique.
En 1987, plusieurs milliers de manifestants se réunissent à Riga pour commenter les rafles staliniennes de juin 1940. Des arrestations s'ensuivent.
Le comité "Helsinki 86" dirigé par Linards Grantins, Raimond Bitenieks, Roland Silaraups et Janis Barkans anime l'agitation.
Le drapeau blanc et grenat réapparaît à Riga, ainsi que l'hymne national oublié : "Dievs sveti Latviju" (Dieu, Bénis la Lettonie).
En 1986, l'Union des Ecrivains de Lettonie réclame ouvertement la "souveraineté nationale", au sein de l'URSS avec représentation à l'ONU.
En octobre 1988 se crée le Front Populaire Letton (Latvijas Tautas Fronte), dirigé entre autres par le dramaturge Janis Jurkans.
Aussitôt les russophones créent leur mouvement anti-letton, l'Interfront. Ils accusent le Front de "vouloir prétendre appliquer la ligne de Gorbatchev avec des méthodes staliniennes" !
La peur règne dans les deux camps : peur de devoir quitter la Lettonie pour nombre de Russes, peur de tout voir remis en cause dans le processus de démocratie en cas d'échec de la Perestroïka.
Malgré tout des personnalités en marge du Front vibrent pour l'Indépendance, telles Juris Dobelis, leader du Mouvement pour l'Indépendance de la Lettonie.
Par ailleurs, des espoirs se font jour dans l'émigration : on envisage le retour.
La Lituanie
C'est la plus peuplée et la plus vaste des républiques baltes. Elle a été aussi la plus choyée dans la mesure où elle avait frontière commune avec la Pologne et l'Allemagne. L'annexion à la Russie lui a permis de récupérer une partie des terres lituanophones occupées par la Pologne, en particulier la région de Vilnius, l'actuelle capitale.
En fait, la Russie se faisait un cadeau à elle-même : "Vilnius est à nous, mais la Lituanie est à la Russie" disait un dicton populaire. En fait la capitale de la République "bourgeoise" d'avant-guerre, Kaunas, plus centrale, cédait le rôle de capitale à une ville plus russifiée et donc plus malléable dans l'esprit des Russes.
Contrairement aux deux autres nations baltes, la Lituanie se trouve être en majorité de religion catholique et c'est du Samizdat catholique que partit la résistance nationale intellectuelle, aidée par le "Lithuanian Catholic Religious Aid" à partir des États-Unis.
Le 22 octobre 1988 fut fondé le SAJUDIS (Groupe d'initiative pour la perestroïka) à la suite d'une manifestation de 100 000 personnes dans les rues de Vilnius en août 1988. M. Landsbergis en assure la présidence.
En janvier 1989, les Lituaniens obtiennent que leur langue soit reconnue comme langue officielle. En février 1989, le SAJUDIS prend position en faveur de l'indépendance. Le drapeau jaune, vert et rouge est officialisé.
L'ampleur du mouvement est telle que le SAJUDIS obtient le soutien du Secrétaire du PC local, Algirdas Brazauskas. Mikaël Gorbatchev après avoir rencontré une délégation du Sajudis a assuré ce mouvement de son soutien.
C'est en Lituanie que les mesures d'autonomie conquises de haute lutte vont le plus loin :
Jacques Ressaire, 1989