Fédération de Russie
Capitale : Moscou
Superficie: 17 075 400 Km2
Population : 149 000 000 hab.
Il nous est apparu opportun de découper le vaste ensemble russe en quatre sections de taille et de situation fort différentes : Russie proprement dite, limitée par les monts Oural à l'est, par les fleuves Don et Volga au sud; Ciscaucasie, au sud de la précédente; Sibérie, au delà de l'Oural et jusqu'à l'océan Pacifique; enfin, oblast de Kaliningrad, enclavé entre Lituanie et Pologne et géographiquement non-contigü à la
Fédération de Russie
Cette division n'est pas seulement commode; elle correspond à des réalités humaines, historiques et géographiques fort différentes et, de ce fait, l'avenir de ces entités ne peut être envisagé sous un même profil géopolitique.
Chacune de nos divisions est augmentée d'un tableau des ethnies, langues et religions en présence mais il était nécessaire de donner une vision d'ensemble de celles-ci dans la Fédération. On la trouvera ci-dessus dans un tableau qui résume assez l'importance relative des groupes ethno-linguistiques dans la Russie ex-soviétique mais toujours impériale.
À grandes lignes, nous brossons également la trame historique qui a été celle de la Russie et partant, celle de toutes les ethnies vassalisées par elle au cours du temps.
A l'origine
Entre la Baltique, la mer Noire, la Caspienne, les monts Saïan, les océans Pacifique et Arctique, s'étend aujourd'hui le domaine des Slaves orientaux. Ces immensités eurasiatiques englobent également d'importantes populations autochtones de souche non slave, ouraliennes, turquiennes, toungouses et paléosibériennes.
Longtemps confinées dans les plaines et forêts de Russie méridionale et d'Ukraine, les populations demeurées dans le foyer slave originel ont tardé à émerger dans l'histoire.
Elles étaient entourées par des peuples finno-ougriens (ouraliens), au nord et à l'est, par des populations turques, au sud, par les Baltes et les Slaves occidentaux, à l'ouest. Il leur faudra bien des siècles pour repousser les uns et les autres, en absorber quelques uns et occuper l'espace qui est aujourd'hui le leur. La progression vers le nord et l'est des Slaves orientaux eut pour effet de séparer les Ouraliens, les Finnois et Lapons à l'ouest n'eurent plus de contact direct avec leurs cousins de l'Oural et de la Volga.
Au Moyen-Age
Les Slaves orientaux ne s'individualisèrent que tardivement en tant qu'ethnies. C'est seulement vers le Xe ou XIe siècle que se constituèrent Russes, Ukrainiens et Biélorusses avec leur différences linguistiques.
Cette ethnogenèse fut probablement cristallisée par l'apparition de structures Étatiques au sein de tribus très divisées. Suscitées par la colonisation des Varègues scandinaves au début du IXe siècle, apparurent ainsi les principautés de Novgorod et de Kiev qu'unifia Oleg en 880.
L'autre fait déterminant fut à la fin du même siècle, la christianisation de la Rouss, l'ensemble slave de l'Est. Cette conversion en 988, se fit dans la mouvance de Constantinople, les Slaves occidentaux (Polonais, Bohèmes et autres) se rattachant à Rome.
Au cours des siècles suivants, les Slaves orientaux subirent parallèlement à l'influence gréco-byzantine, la pression continue des grands États de langue turque, plus ou moins éphémères. Ceux des Bulgares de la Volga et du Danube, des Khazars, des Petchenègues et des Coumans les influencèrent fortement. De même, les royaumes de Pologne et de Hongrie allaient-ils marquer leurs voisins slaves de l'Est.
La Principauté de Rouss au sein de laquelle Kiev l'ukrainienne exerçait une certaine suprématie se désagrégea au cours du XIIe siècle. Une dizaine de principautés se constituèrent qui connurent des sorts divers. Le processus de différenciation s'accentua entre Russes, Ukrainiens et Biélorusses.
Au cours du XIIIe siècle, les Lituaniens s'affirment et apparaissent les Mongols de Gengis Khan. C'est essentiellement contre l'impérialisme de la Principauté de Lituanie, par la suite absorbée par la Pologne, et contre celui mongol et turc du Khanat de la Horde d'Or que va devoir s'imposer la Grande Principauté de Moscou. L'emprise conjuguée et durable des Polono-lituaniens et des Turco-mongols aura pour effets principaux de séparer Ukrainiens et Biélorusses de leurs cousins mais également de permettre l'unification politique de l'ethnie russe.
Naissance de la Russie
En 1326, Moscou récupéra le siège du métropolite, chef de l'Eglise orthodoxe. Elle devint capitale religieuse. Ce fait d'une grande importance historique, devait conditionner pesamment ses rapports futurs avec les orthodoxes d'Ukraine et de Biélorussie.
Refusant vers 1475 de continuer à payer tribut à la Horde d'Or, la principauté moscovite absorbera à partir de cette date, les principautés russes voisines. Elle s'opposera également à ses voisins trop envahissants pour partir ensuite dans une séculaire expansion qui a pris fin en 1989.
La fin du XVe siècle marque donc l'effective naissance de la nation russe.
Il s'agit d'une véritable synthèse d'apports civilisationnels européens et asiatiques très variés qui joueront tout au long de l'histoire russe postérieure.
A Byzance, se rattachent l'orthodoxie et l' universalisme civilisateur ainsi que probablement, la mentalité intrigante des élites et leur propension à d'insolubles débats idéologiques; l'esprit communautaire est à mettre au compte des tribus slaves et ouraliennes primitives qui forment le fond du peuplement russe; l'élan qui pousse à réaliser l'empire universel et les pratiques de razzia sur les peuples colonisés relèvent de la civilisation turco-mongole de même que la tendance aux alliances politiques contre nature.
Avec l'ethnie turque, l'ethnie russe partage le privilège d'être absolument eurasiatique . L'une et l'autre ne peuvent être considérées ni comme européennes, ni comme asiatiques car elles sont un composé subtil d'influences multiples qui les rend particulièrement originales. Les vastes étendues que ces deux ethnies peuplent parallèlement contribuent à accroître leurs ressemblances. On ne sera point étonné qu'elles aient beaucoup d'affinités.
L'Empire tsariste
Sous les tsars, la Russie va se tailler un empire terrestre immense. L'aventure maritime fut trop tardive pour lui permettre de se faire une place outre-mer. Il faudra attendre la période soviétique et la vague de décolonisation après la Seconde Guerre mondiale pour que la Russie atteigne les mers chaudes et se taille un véritable empire mondial.
Dès 1552, Ivan IV le Terrible, premier Tsar de toutes les Russies , conquiert Kazan, ville turco-tatare. Astrakhan et les rives de la Caspienne sont atteintes deux ans après. La marche vers l'Est était commencée. À partir du XVIIe siècle, la Sibérie sera traversée et conquise par les Cosaques qui atteindront le Pacifique en 1639.
Les règnes de Pierre Ier et de Catherine II contribueront à une occidentalisation fort curieuse. Il s'agira plus de moderniser le pays par de grands travaux que de le faire avancer sur la voie du développement capitaliste. Le despotisme des tsars sera encore plus grand qu'auparavant et le servage sera institué alors qu'il avait disparu d'Europe occidentale depuis longtemps.
Les structures communautaires paysannes traditionnelles seront remplacées par le servage, en fait une forme locale d'esclavage. Se mettra en place une véritable dictature policière au service des nobles aux moeurs sinon aux idées occidentalisées. Ainsi seront établies les conditions d'une stagnation totale de la condition sociale du peuple russe.
Pour échapper à la misère et aux travaux forcés, celui-ci ne trouvera d'autre recours que dans la fuite. C'est de cette façon qu'à côté des expéditions programmées, se fit la colonisation spontanée de la Sibérie par les Russes. Déjà les bagnes et les relégations politiques étaient monnaie courante et accentuaient cette poussée démographique vers l'Extrême-Orient. On voit que les méthodes soviétiques s'appuyèrent sur une tradition bien établie.
La réorientation de la politique russe vers l'ouest témoigne aussi d'une volonté de repousser les frontières occidentales de la Russie afin de se protéger le plus possible des impérialismes suédois et allemand. En un siècle, la Suède perdra irrémédiablement ses terres balto-finnoises, perte qui sonnera le glas de sa puissance.
L'annexion progressive de la Pologne entre 1634 et 1815 relevait aussi de la revanche sur cet État et permettait le rassemblement des Slaves orientaux unis au temps de l'antique Rouss.
L'abolition du servage en 1861 témoignait d'une prise de conscience du retard accumulé par la Russie par rapport au reste de l'Europe. Les réformes n'étaient toutefois pas suffisantes pour satisfaire les aspirations populaires ni celles de l'intelligentsia . Le décalage croissant entre le peuple et ses dirigeants allait aboutir aux révolutions du début du XXe siècle.
Deux décennies de troubles éclatèrent au beau milieu de guerres avec les voisins de la Russie - guerre russo-japonaise et Première Guerre mondiale - au cours desquelles se jouait le destin impérial de cet État. Preuve que ni les personnages, ni les idées ne peuvent réellement entraver l'ascension d'un État et que pèsent plus lourdement les tendances démographiques et la dynamique interne d'un peuple, la Russie tsariste se glissa non sans heurt mais avec succès dans la nouvelle peau de la Russie bolchevique.
L'Empire soviétique
Ce qu'en 1917, les communistes léniniens acceptèrent de concéder au nom de leur stratégie de libération des peuples de la prison tsariste , ils le reprirent aux diverses ethnies de l'empire dans les années suivantes. En 1922, la nouvelle Union des républiques socialistes soviétiques était presque aussi étendue que feu l'Empire des tsars. Révisée en 1936, sa Constitution offre aux dix républiques unies à la République socialiste fédérative soviétique de Russie (RSFSR) la possibilité de se séparer. Mais au pays du parti unique de la dictature du prolétariat , cette possibilité restera toute théorique. La politique des nationalités connaitra à partir de 1936, un tel coup de frein qu'elle perdra toute attractivité sur les peuples voisins de l'URSS.
La politique staliniste du socialisme dans un seul pays conduira à une période de terreur physique et morale pour toutes les oppositions qu'elles soient russes ou allogènes. La lutte contre les koulaks , petits, moyens et grands propriétaires fonciers et la collectivisation forcée des terres coûteront une dizaine de millions de morts par la famine et par la violence.
L'Ukraine, avec peut-être 7 millions de victimes, en sortira cruellement éprouvée.
Malgré 20 nouveaux millions de tués et des dévastations énormes, la Seconde Guerre mondiale offrira à l'Union soviétique, l'occasion d'accroître son territoire propre et de l'augmenter d'un important glacis protecteur en Europe de l'Est et en Asie. Six États européens devenus communistes plus la Finlande neutralisée, la Mongolie également communiste et l'Afghanistan constitueront ce glacis. Des têtes de pont sur les cinq continents constitués d'États vassalisés et de partis communistes inféodés contribueront à la solidité de l'ensemble soviétique, à son rayonnement et à son statut de deuxième super-puissance après les États-Unis. Ce statut durera un peu plus de trois décennies.
Reposant sur la terreur policière, sur l'exploitation esclavagiste et concentrationnaire dans l'immense archipel du Goulag , le régime soviétique dut s'amender quelque peu après la mort de Staline en 1953. Mais la guerre froide avec l'Occident, l'obligation de mâter les révoltes d'Allemagne de l'Est, de Pologne, de Hongrie, de Tchécoslovaquie contribuèrent à un enfermement néfaste qui conduisit à la sclérose. Les blocages du régime soviétique, ses échecs économiques et sociaux, le maintien dans la servitude d'une foule de peuples conduiront à une nouvelle révolution.
A partir de 1985, prenant conscience du décalage croissant entre les discours officiels et la réalité vécue par les peuples soviétiques, craignant le dépassement de l'URSS par les anciens vaincus de la Seconde Guerre mondiale (Allemagne et Japon), une partie de l'élite soviétique allait prôner la restructuration (perestroïka) et la transparence (glasnost). Mikhaïl Gorbatchev incarne cette période inattendue sinon souhaitée ardemment.
Le communisme va commencer par s'écrouler dans les pays du glacis occidental. A la fin de la décennie, ils auront tous changé de régime.
Le renoncement au régime du parti unique entraînera l'éclosion et le renforcement des velléités démocratiques au sein de l'Union. A la périphérie, tout d'abord, les ethnies vassales profiteront de la démocratisation pour chercher à s'émanciper. Les plus en pointe seront les peuples baltiques et caucasiens qui malgré les tentatives du pouvoir moscovite déclinant, et à la grande surprise des pays occidentaux, proclameront rapidement leur indépendance.
Moins pressés de changer de régime seront les Russes un peu interloqués de voir ces petits peuples divorcer sans dire merci pour les bienfaits que 70 ans de communisme étaient censés leur avoir apporté.
Toutefois on notera qu'un des facteurs décisifs de cette révolution fut l'aspiration de nombreux Russes à libérer la Russie . Leur porte-drapeau était d'ailleurs Boris Eltsine. Il s'agissait tout à la fois de libérer la patrie russe du communisme et de l'emprise jugée excessive des républiques périphériques.
La proclamation d'indépendance de la Russie en août 1991, en plein putsch des conservateurs communistes, signe la fin de l'Union. Les quatorze autres républiques socialistes soviétiques vont à leur tour faire sécession.
Situation actuelle (1994)
Depuis, la Fédération de Russie avec ce même Eltsine à sa tête, a tenté de revenir sur les concessions faites par l'Union soviétique finissante.
Tout d'abord, elle a créé les conditions d'une remise en ordre de l'espace russe par l'institution d'un lien nouveau entre les 89 sujets de la Fédération. Celle-ci se compose désormais de 22 républiques (à base ethnique), de 6 territoires (kraï) - qui rassemblent une région russe et un ou deux districts nationaux lesquels sont 10 au total - et également de 49 régions (oblast). Pour finir, Moscou et Saint-Pétersbourg forment deux grands districts urbains à part.
Le traité fédératif a été promulgué en 1992. Presque tous les sujets y ont adhéré sauf les républiques de Tchétchénie et du Tatarstan. Malgré leur adhésion, plusieurs autres républiques, la Bachkirie notamment, ont décrété la primauté de leurs lois sur celles de la Fédération. La situation institutionnelle reste encore confuse.
Si le Tatarstan est rentré dans l'ordre, la guerre contre la Tchétchénie indépendante déclenchée en décembre 1994, n'a pas encore trouvé d'épilogue. Les 20 000 morts civiles et les destructions énormes qu'elle a coûté devraient pourtant pousser à un modus vivendi acceptable entre les parties russe et tchétchène.
L'introduction de l'économie de marché, la privatisation des entreprises d'État, la démocratisation relative des institutions ont abouti à une situation assez chaotique. Les difficiles conditions d'existence de la très grande majorité du peuple russe contrastent avec l'opulence affichée par une minorité. La violence, dans un État en recomposition, est devenue pain quotidien pour les citadins moscovites et pétersbourgeois.
A l'extérieur, une Communauté d'États indépendants (CEI) a été créée dès décembre 1991 à l'initiative de la Russie, l'Ukraine et la Biélorussie. Depuis elle regroupe, bon gré mal gré, douze des quinze anciennes républiques socialistes soviétiques devenues indépendantes, les petits peuples baltiques ayant catégoriquement refusé de l'intégrer. Mais les objectifs de cette alliance ne sont pas encore nettement définis.
Marché intégré par le maintien de la zone rouble, structure de coopération politique et militaire, elle semble à beaucoup un pis-aller en attendant mieux. Mis à part les interventions militaires russes en Géorgie, Moldavie et Tadjikistan où la présence de l'ex-Armée rouge a permis une certaine et controversée pacification , les résultats sont pratiquement inexistants. La nostalgie du passé proche aidant, dans l'idée des dirigeants et du peuple russe, la CEI est une reconstitution de l'empire qui ne dit pas son nom. Il reste à démontrer que les pays membres l'entendent également de cette oreille.
La vie politique russe après 70 ans de monopartisme, est devenue particulièrement embrouillée pour les citoyens russes et pour les observateurs extérieurs. Aux incertitudes économiques qui pèsent sur l'État, les entreprises et le simple citoyen, s'ajoutent les perspectives aléatoires de la géopolitique interne et externe.
L'importance géopolitique des peuples se mesure évidemment à l'aune d'autres paramètres que la simple puissance économique, militaire ou le poids démographique.
Il est bien évident que, vu de Moscou, les petits peuples de l'Arctique sibérien sont quantité négligeable et ne peuvent poser d'immenses problèmes. Leur zone de répartition est largement sous-peuplée mais ils sont biologiquement et culturellement mieux adaptés que les Russes à leur ingrat écosystème. Ces derniers, du fait d'une marginalisation aigüe, tendent à abandonner les régions arctiques et sub-arctiques pour des raisons économiques. On peut en déduire logiquement que l'avenir de ces petites ethnies, sauf extinction physique, risque de s'apparenter à celui des Inouits de l'Arctique présentement sur la voie de l'autonomie nationale.
De même, les petits peuples caucasiques qui font la une de l'actualité en Russie et au delà, comptent plus par leur situation géographique aux portes du Moyen-Orient et de l'Asie centrale dont ils subissent l'attraction irrésistible que par leur importance démographique qui reste bien faible même quand on les additionne.
Plusieurs millions d'allogènes entre Moscou et l'Oural appellent de leurs voeux, une sérieuse redistribution du pouvoir économique, politique et culturel quant à leurs affaires. Ils sont géographiquement et culturellement à la charnière de l'Europe et de l'Asie mais pourtant, ils ne peuvent sérieusement imaginer se passer des Russes et de la Russie.
Par contre, certaines fractions de peuples (Finnois, Biélorusses et Ukrainiens) se retrouvent installées aux marges de ce qui est déjà en partie l'Europe et qui devrait logiquement l'être encore plus demain. Elles auront beaucoup de mal à se dégager de l'emprise assimilatrice de la Russie qu'elles subissent depuis fort longtemps.
En ce qui les concerne, les Russes établis de Kaliningrad, sur la Baltique, à Vladivostok, sur le Pacifique - soit environ 11 000 km d'ouest en est - sont, certes, l'élément ethnique prépondérant de la Fédération, plus encore qu'il n'en était du temps de l'Union soviétique. Ils représentent environ 90% de la population en Sibérie, 80% en Russie et à Kaliningrad, 60% en Ciscaucasie. Pour autant, ils ne peuvent plus être perçus comme des sujets indistincts d'un bout à l'autre du pays.
Le pouvoir et le rayonnement politique et culturel du centre moscovite se sont affaissés. Du fait de la perte de son autorité morale dûe à la faillite du régime soviétique, du fait de l'affaiblissement de sa capacité de coercition dûe à la démocratisation, le coeur de la Russie ne bat plus seulement à Moscou.
A terme, l'éclatement politique du grand peuple homogène que sont les Russes dans un vaste pays hétérogène aux difficultés économiques et sociales colossales, est inscrit dans les réalités.
Les tensions régnant à la périphérie non-russe joueront évidemment un rôle moteur dans cette dislocation. Mais les tendances régionalistes centrifuges internes au peuple russe en seront le facteur décisif. C'est en Sibérie qu'elles ont le plus de chances d'éclore et de s'imposer.
Nul ne peut douter que dans un demi-siècle la Fédération de Russie aura prodigieusement changé sur le plan de sa géopolitique interne. Une évolution de même ordre et aussi nette se fera jour dans ses rapports avec son étranger proche - l'actuelle Communauté d' États indépendants plus les États baltiques anciennement soviétiques - ainsi que dans ses relations avec le reste du monde.
Ce sont les voies possibles de cet avenir que nous tentons d'analyser dans les articles Ciscaucasie, Kaliningrad, Russie d'Europe et Sibérie.
Jean-Louis Veyrac 1994
Telle que nous l'avons circonscrite dans cet article, de l'Océan glacial arctique à la rive nord du Don et de la Volga, et de la Baltique aux monts Oural, la Russie d'Europe apparaît massive, imposante, inébranlable et immuable.
Berceau de l'ethnie russe, elle présente effectivement toutes ces caractéristiques. Du moins si l'on s'en tient à une vision historique et ethnographique superficielle.
Si l'on gratte un peu la surface des réalités, affleurent rapidement les diverses strates du peuplement. La Russie, la Sainte Russie orthodoxe, la mère Russie , est un véritable creuset de peuples fondus à coup de massacres, d'évangélisation musclée, de servage, d'oppression policière, de travaux forcés.
Au noyau slave primitif, indifférencié jusqu'au XIe-XIIe siècle, se sont aggrégées pendant dix siècles, des populations de langues ouraliennnes parentes des Finnois, des vagues successives de Turcs et de Mongols venus s'échouer aux portes de l'Europe, des colonies germaniques (Varègues scandinaves, Bas et Hauts-Allemands), des Baltes. D'autres fragments d'ethnies asiatiques et européennes ont concouru à la séculaire montée en puissance démographique, militaire, culturelle et politique du Grand peuple russe .
Tous les peuples qui résistèrent au rouleau compresseur russe mis en branle par Ivan IV le Terrible, premier Tsar de toutes les Russies , furent rejetés à la périphérie géographique, politique, culturelle, économique et sociale de l'Empire.
Ceux qui acceptèrent de servir la grandeur russe devinrent russes. Ainsi en a-t-il été pour quelques grands personnages qui témoignent aussi pour une foule de gens plus humbles : par exemple, Catherine II la Grande , une Allemande, et Joseph Staline, le Petit Père des peuples , un Géorgien.
Dans l'histoire de l'Europe, les Russes, de par leur pesanteur démographique, sociologique, culturelle et politique, ont représenté un élément extrêmement stabilisateur et conservateur.
La montée en puissance de la Moscovie aux XIVe-XVe siècles mit fin à toutes les invasions d'origine asiatique en Europe. Elles duraient quand même depuis les Grandes invasions avec notamment celle des Huns au Ve siècle.
Constantinople tombée aux mains des Turcs infidèles au XVe siècle, Moscou et la Russie devinrent le sanctuaire de l'orthodoxie. On peut juger encore aujourd'hui avec les drames yougoslaves, des effets énormes d'une telle consécration.
Aussi bien en 1815, au Congrès de Vienne, qu'en 1878, au Congrès de Berlin, ou qu'en 1945, à Yalta, la Russie et l'Union soviétique, son rejeton, seront un élément déterminant de la géopolitique à l'est de l'Europe.
Dans les trois cas, on pourra parler d'elle comme du gendarme de l'Europe . Elle concourra au renforcement des Empires centre-européens et à l'élimination de l'Empire ottoman dans les Balkans. Devenue l'U.R.S.S., elle apportera la stabilité absolue pendant les quarante ans qui ont suivi la Seconde Guerre mondiale.
Tsariste ou bolchevik, ce gendarme là sera sur le plan politico-social d'un conservatisme extrême.
Seule parenthèse pendant laquelle la Russie fut un dangereux foyer de déstabilisation, la période révolutionnaire et léninienne (1917-1929).
La révolution prolétarienne mondiale était l'objectif final des bolcheviks. Pour y parvenir, ils mirent au point une habile politique des nationalités.L'une et l'autre représentaient évidemment le mal absolu pour les démocraties coloniales d'Occident et pour les dictatures fascistes d'Europe orientale.
Le socialisme stalinien marqua un net retour aux valeurs anciennes, autoritaires, impériales, centralistes et nomenklaturistes .
Le colossal échec du socialisme réel n'a pas marqué le triomphe du libéralsme mais, en Russie et dans les ex-pays satellites, celui d'un capitalisme cruel et cynique. Celui-ci est assurément le vecteur de tous les conservatismes dans ces pays et, au delà, dans tous ceux où il peut espérer jouer un rôle.
Dans le vaste foyer national russe, à l'est de l'Europe, vit la moitié du peuple russe, soit 70 millions d'individus. Dans la Nouvelle Russie , la Ciscaucasie et les régions adjacentes, résident une dizaine de millions d'autres Russes. En Sibérie, leur immense Nouveau monde , ils sont 40 millions.A l'étranger, ils sont une bonne trentaine de millions dont un tiers en Ukraine, un quart au Kazakhstan et dans le reste de l'Asie centrale, un 1/6 d'entre eux vivant aux Amériques. Pour autant la mère patrie n'est pas uniquement peuplée de Russes puisqu'ils n'y sont que 80%, les 20% restants étant presque tous aussi autochtones qu'eux.C'est précisément de ces divers colonisés que nous traiterons ci-dessous.
Colonies de la Russie, passé, présent, perspectives
Sur les marges occidentales de la Russie, de la mer Blanche à la mer d'Azov, vivent des fractions d'ethnies non russes séparées de leurs co-nationaux par l'histoire. Dans une Russie à la dérive pour une période indéterminée, leur sort les condamne à l'expectative. Arc-boutée sur ses frontières, la Russie admettra difficilement qu'elles rejoignent l'Europe qui est aux portes.
1 Lapons-Saami
Le renouveau ethnique, culturel et politique des Saami de Scandinavie a presque fait disparaître l'ancien nom péjoratif de Lapons en imposant progressivement leur nom indigène.
Ils n'en restent pas moins le plus petit et le plus septentrional des peuples européens.
On dénombre en tout environ 35 000 Lapons inégalement répartis dans les quatre pays scandinaves : ils sont 20 000 en Norvège, 10 000 en Suède, 4000 en Finlande et 1400 dans la Fédération de Russie. Probablement, plusieurs milliers d'individus supplémentaires, d'origine mixte ou très acculturés, pourraient revendiquer leur appartenance à l'ethnie laponne.
Ils furent tardivement christianisés car leur territoire fut longtemps délaissé par les Scandinaves et les Russes. Ils subirent un véritable choc culturel lorsque se produisit leur évangélisation couplée à la mise en valeur des richesses minières que recélaient leur domaine.
Les Saami connaissent un lent mais graduel renouveau depuis le milieu du XXe siècle. Leur mode de vie a été particulièrement perturbé au contact de la civilisation européenne mais ils se sont adaptés non sans mal. Leurs revendications actuelles portent sur la récupération de leur langue, la revitalisation de leurs coutumes et sur un véritable droit de regard en ce qui concerne l'exploitation de leur territoire et leur cadre de vie.
Progressivement se mettent en place des institutions chargées de les protéger et de prendre en compte leur dimension panscandinave. Ils sont notamment représentés par leur propre organisation au sein du Conseil nordique.
Malgré la reconnaissance de leurs droits par les pouvoirs publics, la situation des Saami n'a rien d'idyllique car ils restent en butte au racisme diffus de leurs voisins.
Mais tous les Saami ne vivent pas dans un pays de tradition social-démocrate. Ceux de l'ex-Union soviétique ont connu un sort moins agréable. Peuplant la péninsule de Kola, ils furent relativement choyés et endoctrinés à une époque où le régime communiste escomptait les utiliser dans ses visées stratégiques en Scandinavie. Leur situation se dégrada par la suite en même temps que s'améliorait celle des autres Lapons.
A l'heure actuelle, leur souhait serait d'être intégrés au monde scandinave afin de bénéficier de conditions de vie plus décentes et de pouvoir affirmer leur particularisme ethnique.
Le rattachement à la Finlande du corridor - quelque peu agrandi - de Petsamo/Petchenga où ils sont nombreux à vivre, serait la plus rapide des solutions. Rappelons que ce corridor vers l'Océan arctique fut finlandais de 1920 à 1940.
Etant donné les crispations russes sur tout ce qui touche à l'intégrité de l'Empire et cela au mépris du bien être des citoyens concernés, une alternative pourrait être la suivante.
A terme, on voit bien que la Laponie va acquérir son autonomie nationale et que celle-ci sera octroyée dans un cadre scandinave, chaque État (Norvège, Suède et Finlande) apportant des garanties et sa tutelle. Dans ce processus, la Russie aurait sa place sous réserve qu'elle accorde à ses Lapons des droits nationaux équivalents à ceux qu'auront obtenu les Saami des autres États.
Il serait tout à fait indiqué de lier cette souhaitable avancée décolonisatrice avec le plan de dépollution de l'Arctique ex-soviétique qui est en gestation. Ne serait-ce que parce que les Saami y sont tous intéressés au premier chef.
2 Finnois
Les ancêtres des Finnois actuels peuplaient les immenses forêts marécageuses de la Russie septentrionale. Ils furent progressivement refoulés, évangélisés, absorbés ou anéantis lorsque s'affermit l'État moscovite.
Au tout début du XVIIIe siècle, la construction de Saint-Pétersbourg par Pierre le Grand devait accélérer la russification de cette grande région plus ou moins densément peuplée. Ce fut là une conséquence de sa fonction de fenêtre sur l'Occident et de forteresse avancée contre les Suédois.
En 1721, l'affrontement séculaire avec la Suède tourna pour celle-ci au désastre car elle perdit l'Estonie, la Livonie, l'Ingrie et l'isthme de Carélie, toutes terres de langue finnoise.
Le Grand Duché de Finlande, arraché également à la Suède, fut annexé par le tsar Alexandre 1er en 1809 et doté d'une certaine autonomie.
Le rapport de forces créé au moment de l'indépendance de la Finlande en 1918 ne permit pas le rattachement de toutes les terres encore peuplées de Finnois. Ainsi resta russe la vaste Carélie orientale où les Finno-caréliens sont d'ancienne tradition orthodoxe et étroitement liés aux Russes au plan historique.
Depuis lors, ce fut un chassé croisé de concessions et conquêtes territoriales qui toucha, et la Finlande, en permanence menacée par les Soviétiques, et la Carélie, devenue république autonome et base d'une éventuelle conquête politico-militaire.
La mise en valeur de la péninsule de Kola et la création du port de Mourmansk, capitale d'un point de vue stratégique, accrurent la fonction de voie de passage de la Carélie. Liée à cette fonction et à l'exploitation intensive de ses forêts, s'ensuivit pour la Carélie une forte colonisation démographique par les Russes et d'autres Slaves.
Aujourd'hui, les Finnois de la République de Carélie aspirent à passer de la souveraineté russe à celle de la Finlande. Mais le poids des Slaves est tel (83%) que cela semble impossible à moins que ne soient revues et corrigées ses frontières.
Elle devrait être soulagée de ses territoires fortement peuplés de Russes, à l'est et au sud. Mais, en compensation, on devrait lui restituer le secteur de Salla, au sud de Kandalakcha, qu'elle comprenait dans les années 30.
De même, le secteur de Viipuri/Vyborg devrait être intégré à la Carélie sans toutefois englober l'isthme de Carélie. Finlandaise jusqu'en 1940 et seconde ville du pays à cette date, Viipuri fait partie du patrimoine national finnois. Il serait proprement injuste de considérer comme irréversible l'expulsion des Finnois de la zone pendant la dernière Guerre.
Différent est le sort des quelques 100 000 Finnois très russifiés vivant entre Saint-Pétersbourg, Iaroslav et Pskov et collectivement appelés Tchoudes par les Russes. Restes épars des anciennes populations autochtones, noyés dans une mer russe, le seul recours des Vepses, Votes, Ingriens et Ludes reste l'émigration en Finlande ou en Estonie. Ils pourraient d'ailleurs contribuer à la refinnisation progressive de la Carélie occidentale.
Les Setuseked, Estes de tradition orthodoxe et depuis longtemps incorporés à la Russie, habitent le district d'Izborsk près de Pskov. Entre 1925 et 1940, ils furent intégrés à l'Estonie indépendante tout comme les Ingres à l'est de Narva. De la même manière, les Lettons d'Abrene/Pitalovo furent réunis à la Lettonie. Les problèmes que connaissent l'Estonie et la Lettonie avec leurs massives minorités russes incitent à considérer comme correct le tracé de la frontière actuelle laquelle a derrière elle, plusieurs siècles d'existence. Il reste à assurer le rapatriement de ces minorités en échange de celui des Russes.
3 Biélorusses
Dans la majeure partie des oblasts de Smolensk et de Briansk, vivent d'importantes populations d'ethnie biélorusse. Très anciennement russifiées, ces un à deux millions de personnes n'ont guère manifesté jusqu'à présent de velléités rattachistes .
Incorporée à l'Empire russe à