CHINE

République populaire de Chine
Capitale : Pékin
Superficie : 9 596 961 km2
Population : 1 110 000 000 hab.

La Chine et la "question nationale"

"Les pays veulent l'indépendance, les nations veulent la libération, et les peules veulent la révolution : c'est d'ores et déjà devenu un courant irréversible de l'histoire", a dit Chiao Kuanhua, le chef de la délégation chinoise, dans sa première déclaration à l'O.N.U.
En même temps la Chine apporte son soutien politique à l'État pakistanais, impérialiste et réactionnaire, dans sa répression du mouvement de libération nationale du Bengale. Cela amène à se poser quelques questions : nous ne doutons nullement que la Chine ait de bonnes raisons pour soutenir la clique de Yahya Khan, mais il est douteux qu'elles aient quelque chose à voir avec la libération des peuples et la révolution. La Chine défend là ses intérêts Étatiques, et il semble même qu'elle va encore un peu plus loin que cela, et agisse en fonction de ses intérêts de puissance impérialiste.
La contribution théorique et pratique du maoïsme à l'essor des luttes de libération nationale dans le monde avait failli faire perdre de vue que l'État issu de la lutte de libération nationale chinoise était aussi l'expression de la domination de la nation chinoise sur un bon nombre d'autres nationalités : Mandchous, Mongols, Turks, Tibétains, Lolos, Miaotseus, Thaïs, Hakkas, Yüés, Mins, et quelques autres. Or l'impérialisme, sous sa forme chinoise, n'est pas meilleur que lorsqu'il a un visage russe, américain ou français. On se leurrerait en voyant dans la République Populaire de Chine le grand défenseur de tous les peuples du monde, comme l'on s'est leurré en pensant que l'U.R.S.S. était la patrie du socialisme.
"Selon les théoriciens chinois, chaque peuple doit trouver lui-même la solution de ses problèmes et toute solution quelle qu'elle soit est mauvaise dès lors qu'elle est imposée de l'extérieur", dit Tsien Che-hao dans un article récemment paru : "Doctrines chinoises sur le nationalisme et l'impérialisme" (Partisans, mai-août 71, Le domaine national 1). Très bien, nous sommes prêts à souscrire à cette thèse, mais qu'est-ce qu'un peuple, comment se définit-il ? C'est bien vague. Et surtout, comment la Chine applique-t-elle pratiquement ce précepte ?
Exemple : Taiwan, pour les dirigeants chinois, comme pour Chiang Kai-shek (l'accord est vraiment total entre eux sur ce point), fait partie intégrante de la Chine. Les justifications qu'en donne Chou En-lai sont celles de tout État chauvin impérialiste : "La déclaration de Potsdam a réaffirmé que Taiwan devait être rendu à la Chine", "Les habitants de Taiwan sont des Chinois. Taiwan faisait déjà partie de la Chine il y a mille ans". Les références d'ordre juridique et historique sont une constante de tout impérialisme. Mais : "Le dialecte parlé à Taiwan est le même que celui parlé à Amoy, dans la province du Fukien. Naturellement, il y a des minorités nationales, comme les Kaos-han, dans les montagnes de Taiwan ; il y en a aussi en Chine".
Certes, le dialecte parlé à Taiwan est le même que celui du Fukien, mais ce que Chou En-lai ne dit pas, c'est qu'il diffère sensiblement de celui de Pékin. Comme peuvent différer entre eux français, occitan, italien ou catalan : langues latines, mais assez différentes pour être la base de nationalités distinctes.
A Taiwan et au Fukien, on parle des dialectes min, langue sinienne, mais distincte du chinois (han), et fournissant sa base à une nation précise. Quant aux populations les plus anciennes de l'île qui continuent de subsister dans l'est de Taiwan, elles parlent des dialectes appartenant au groupe des langues indonésiennes, plus précisément aux parlers philippins, et ne saurait donc former une "minorité" sur un territoire qui serait chinois : en fonction des critères d'appartenance nationale, Taiwan doit être divisé, le nord et l'ouest (parties les plus peuplées) allant à la nation min, et l'est aux Philippins. On n'est justifié de parler de minorités nationales que pour les îlots de peuplement ou les émigrés, non pour les nations ou fractions de nations occupant un territoire défini (qui doit être considéré comme leur territoire national ; il va sans dire aussi, par exemple, que si les Chinois deviennent majoritaires au Sinkiang par rapport aux populations turkes autochtones, du fait de l'implantation massive de colons chinois, affirmer alors que le Sinkiang serait devenu chinois constituerait simplement un encouragement à un impérialisme en cours...). Il ne semble pas que la Chine se comporte d'une façon différente de celle des autres puissances impérialistes.
D'ailleurs, il ressort de l'article de Tsien Che-hao déjà cité, sur la doctrine chinoise de la nation, que :
  1. le territoire national chinois est celui de l'ex-empire chinois au moment de sa plus grande extension ;
  2. la lutte de libération nationale chinoise a consisté à réoccuper tous ces territoires ;
  3. il n'y a sur ces territoires que des Chinois : soit des "Chinois de race han", soit des "Chinois de races diverses" (de la même façon que pour les Turks il n'existe pas de Kurdes mais des Turks montagnards, ou pour les Russes, des Blancs-Russes plutôt ou des Krivitches).
Dans son expansion, l'impérialisme chinois s'est inévitablement heurté à d'autres impérialismes : l'impérialisme russe, l'impérialisme indien. Ses intérêts de grand puissance, c'est-à-dire de puissance impérialiste, rendent compte du soutien que la Chine apporte au Pakistan, expliquent son ralliement à la position réactionnaire du "maintien de l'intégrité territoriale des États".
S'il est bon de souligner les aspects progressistes de la politique chinoise, son apport révolutionnaire, il convient également de dénoncer les aspects réactionnaires de la politique et des conceptions de la Chine.
Lorsque les révolutionnaires bengalis croient possible un revirement de la politique chinoise à leur égard, ils pensent que le développement de leur lutte pourra amener les dirigeants de Pékin à considérer qu'au fond les intérêts d'État de la Chine peuvent fort bien s'accommoder (sinon même s'identifier) avec un soutien au Bangla-Desh. Ils adoptent là une position neutraliste conséquente, c'est à dire visant à neutraliser les impérialismes en les opposant les uns aux autres.
Pour le reste, nous ne doutons pas que - comme l'Inde ou le Pakistan, et bien d'autres États dans le monde - l'État chinois finira par éclater sous la pression des peuples en lutte pour leur libération et voulant résoudre eux-mêmes leurs problèmes, qui auront pris conscience que la solution "imposée de l'extérieur" par les Chinois ne peut être que "mauvaise".

François Allavena 1971


La Chine

La nation chinoise ou nation han est apparue au cours de l'histoire dans une zone qui ne correspond pas à tout son territoire actuel : cette zone était essentiellement : la vallée du Fleuve Jaune. Tout le territoire historique de la nation chinoise a été ici et y est resté pendant des millénaires. C'est là le noyau de la Chine historique. Il y a eu tout le temps des migrations plus au sud, c'est-à-dire vers la vallée du Yang Tsé ; ce n'est qu'ensuite qu'il y a eu émigration vers l'extrême sud, vers l'ouest et le nord. Depuis au moins deux millénaires, la vallée du Yang Tsé est dans la nation chinoise. Le résultat a été qu'il y a actuellement 3 grandes régions dialectales du chinois :

Actuellement en dehors des Hans, la Chine recouvre 55 nationalités minoritaires réparties en 5 régions autonomes (une est réservée aux Hui qui sont des Hans musulmans) en 30 départements et 72 districts.
La politique de la Répubique populaire de Chine vis-à-vis de ses minorités a toujours pris un chemin sinueux, avec des orientations différentes suivant les moments politiques que traverse le pays. Cette politique de balancier vise à longue échéance à une assimilation complète des peuples installés en Chine. En 1956, on assiste à une accélération du mouvement coopératif qui touche les minorités. Elles sont toutes hostiles à cette nouvelle organisation, elles commencent à se plaindre de la présence des Hans, voient d'un mauvais &brkbar;il la promotion de cadres locaux "traitres à leur nation". On voit même naître un certain nombre de mouvements séparatistes dirigés par des religieux et des notables.
En 1958 le gouvernement pense que ces revendications de différences sont un frein à la collectivisation, il étend aux minorités la politique du "Bond en avant" et des communes populaires c'est la période de "l'unité par l'uniformisation en marche". On assiste à la suppression de coutumes locales, l'évolution des religions, l'interdiction des langues minoritaires.
Ces mesures déclenchent une profonde hostilité et entraînent une déstabilisation complète de l'économie, à tel point que des mesures d'urgence sont prises, la politique chinoise est modérée, on dissoud les communes populaires et on s'appuie sur des cadres locaux.
En 1966, la révolution culturelle entraîne un revirement politique vis-à-vis des minorités mais les diverses factions qui se déchainent en Chine poussent le gouvernement à garder des zones calmes aux frontières. Aussi en 1972 on voit des dirigeants appartenant à des minorités qui avaient été destitués et arrêtés au début de la révolution culturelle, revenir, libres. Tous vont entreprendre chez eux une politique de développement national. C'est le cas du mongol Ulan-hu ou du Coréen Zhu Dehaï. Leur arrestation a nécessité l'intervention de l'armée. L'armée n'a pas pu dans ces deux cas ramener l'ordre et les régions ont connu six ans de véritable guérilla. A noter que Ulanhu et Zhu Dehaï sont tous deux fortement sinisés et ont dû réapprendre leur langue.
Le 5ème plenum du 11ème congrès en 1980 reconnaît les erreurs commises vis-à-vis des minorités pendant la révolution culturelle et décide plusieurs mesures, en particulier les enfants issus de mariages mixtes ont le droit de choisir leur nationalité minoritaire. A tel point que l'effectif global des nationalités passe de 55,8 millions en 1978 à 61,9 millions en 1980 à 67,2 millions en 1982, soit un accroissement de 20 % en 3 ans 1/2. Cet accroissement qui profite à certaines ethnies ne reflète nullement la progression démographique (les Tujia, +267% - des Mandehous, +61,9 % - des Mongols, +30 %). La Mongolie : actuellement en Mongolie, on compte 1 Mongol pour 18 Hans mais il n'y a pas fusion entre les deux populations.
Le gouvernement chinois réagit en prônant un contrôle des naissances pour presque toutes les minorités alors qu'il ne leur était pas appliquée jusqu'alors. Le Tibet reste en dehors de l'application de ces mesures.

François Fontan 1978


Tibet : Pékin lève un coin du voile

Les Chinois prétendent avoir libéré pacifiquement le Tibet en 1950. Les Tibétains réfugiés en Inde et dans les royaumes voisins considèrent, eux, que les Chinois ont envahi une nation libre.
Le Tibet est aujourd'hui une région autonome (et ce depuis 1965) de la République populaire de Chine. Ce territoire est bordé à l'est par la province chinoise du Sichuan, au sud-est par le Yunnan, au nord-est par le Qinghai; au nord-ouest par la région autonome du Xinjiang, à l'ouest par le Cachemire, au sud-ouest par le Népal et enfin au sud par les royaumes du Bhoutan, du Sikkim, l'Assam et la Birmanie.
Les limites actuelles de la région autonome du Tibet ne correspondent pas aux limites ethno-linguistiques. Dans le Cachemire, la région de Laddak appelée également "Petit Tibet" est peuplée de Tibétains (88.000). Au Népal, 20% de la population est tibétaine. Dans le petit royaume du Bhoutan, à l'est du Népal, plus de la moitié de la population est tibétaine, parle un dialecte tibétain et reconnaît le Dalaï Lama comme chef spirituel. Au Sikkim, protectorat indien entre le Bhoutan et le Népal, on compte 35.000 Tibétains. Dans la ville de Namgyal, l'Institut de tibétologie possède la troisième collection mondiale de livres tibétains. Une partie de la frange nord de l'Assam, un des 21 États de l'Union indienne, est peuplée de Tibétains. A tous ces fragments de l'ethnie tibétaine; il faut ajouter les 80.000 réfugiés depuis 1959. A l'est, la région chinoise du Qinghai compte cinq subdivisions autonomes tibétaines, il y en a également deux au Sichuan; 1 au Yunnan, 1 au Kansou. Il s'agit de zones détachées du Tibet géographique qui comptait 3.800.000 km2 et qui n'en compte plus que 1.200.000.
Bien que les estimations soient extrêmement sujettes à caution, on peut considérer que ces subdivisions regroupent largement plus de la moitié des effectifs de l'ethnie tibétaine. A l'heure actuelle la population de la région autonome du Tibet se monte à 1,7 million d'habitants dont 120.000 Chinois (Hans et autres ethnies) auxquels il faut ajouter entre 300.000 et 600.000 militaires de l'armée chinoise dont on peut considérer à juste titre qu'elle est une armée d'occupation.
Quelles sont les raisons de cette présence massive ?
Le Tibet a été convoité de tout temps par les Turcs, les Chinois, les Mongols et les Anglais. Il serait fastidieux d'énumérer ici les fortunes diverses de ce pays, pion entre les mains de puissants voisins proches ou plus lointains.
Au début de ce siècle, les Anglais qui contrôlent l'Inde interviennent militairement au Tibet voyant que la Chine ne peut venir à bout de son vassal turbulent. La résistance tibétaine est écrasée et le Dalaï Lama fuit en Chine. La Grande-Bretagne et leTibet signent un traité en 1904 sans l'accord de la Chine mais les Chinois arrivent à faire reconnaître par les Britanniques leur suzeraineté sur le Tibet où ils interviennent militairement en 1910; cette fois, le Dalaï Lama se réfugie en Inde. Mais après la révolution chinoise de 1911, tous les Chinois sont expulsés du Tibet. La république est proclamée. A la suite d'une convention passée entre le Royaume Uni et le Tibet, convention désavouée par les Chinois, ce dernier va pouvoir fonctionner comme État indépendant pratiquement jusqu'en 1951 ou presque.
En 1949, à l'issue de la victoire de la révolution en Chine, la "libération" du Tibet est programmée. En octobre 1950 les troupes chinoises envahissent le Tibet oriental et submergent l'armée tibétaine mal équipée. L'appel du Dalaï Lama aux Nations Unies n'est pas entendu. L'Inde et la Grande-Bretagne ne bougent pas. En 1951 un traité imposé par les conquérants garantit l'autonomie du Tibet et la liberté de culte mais prévoit l'établissement dans la capitale, Lhasa, d'un quartier général civil et militaire chinois.
Mais les Chinois se heurtent à l'hostilité générale de la population peu disposée à accepter le socialisme imposé par les armes et l'ennemi traditionnel. Si le Panchen Lama, traditionnellement proche des Chinois, rallie le nouveau gouvernement avec ses partisans, les Chinois ont du mal à trouver des collaborateurs. A partir de 1957, les Tibétains valides sont réquisitionnés d'office pour la construction des routes. Les exécutions des chefs nationalistes et la rééducation de leurs partisans vont bon train. Les grandes propriétés agricoles sont confisquées et les terres sont redistribuées. Leurs propriétaires sont humiliés publiquement et parfois exécutés. Au même moment la résistance se durcit sous forme de guérilla larvée: destruction de ponts, de routes, attaques de convoi, etc.; des collaborateurs sont mutilés (mains coupées, lèvres arrachées). Elle reçoit le renfort de réfugiés venus de l'Est dans la région du haut Yangzé en dehors de l'administration de Lhasa. En mars 1959, un soulèvement populaire éclate à Lhasa. Le Dalaï Lama, ses ministres et près de 10 000 fidèles s'enfuient à travers l'Himalaya. Après des jours de combat, le soulèvement est écrasé dans le sang. 3 000 Tibétains sont morts sur le champ de bataille.
Une dictature militaire chinoise remplace le gouvernement pour imposer le modèle chinois de socialisme et détruire la société tibétaine traditionnelle notamment le clergé et la noblesse par la confiscation de toute propriété privée. La lutte anti-religieuse forcenée conduit les Chinois à commettre des atrocités, assassinats publics de lamas, sévices et humiliations divers dont fait État le rapport de la Commission internationale des Juristes publié à Genève en 1960. Dans la région d'Amdo, les Chinois ont procédé à des castrations et à des stérilisations sur des paysans et des nomades pour "régénérer la race tibétaine" On a la certitude que des milliers d'enfants ont été arrachés à leur famille pour recevoir en Chine une éducation marxiste-léniniste. En 1964, le Panchen Lama est démis de ses fonctions de président de l'administration intérimaire pour s'être opposé à ce que les moines abandonnent leur État contemplatif.
Les abus seront aggravés par la révolution culturelle. Le Tibet sera parmi les derniers à établir un comité révolutionnaire, en septembre 68. De 1963 à 1971 aucun étranger ne pouvait se rendre au Tibet, ce qui ne facilite pas la connaissance de cette période. Mais depuis la mort de Mao et l'élimination de la bande des Quatre, la nouvelle direction chinoise se montre plus disposée à laisser visiter par les étrangers les zones considérées comme stratégiques comme le Tibet.
Dans le Tibet d'aujourd'hui, l'empreinte chinoise est indéniable. Le territoire est quadrillé de 17 000 kilomètres de pistes carrossables. Elles ont été fort utiles en 1962 pour envahir le Nord-Est de l'Assam. Beaucoup de monastères ont été détruits (1 000 en 58). Il y avait 106 000 religieux en 1960, il y en aurait 2 000 aujourd'hui. La révolution culturelle avait interdit toute pratique religieuse, néanmoins on observe de nos jours une extrême ferveur religieuse.

Les nomades et les agriculteurs viennent parfois de fort loin pour se prosterner dans la ville sainte de Lhasa, ex-résidence du Dalaï Lama. Ce dernier est un des bouddhas vivants reconnus depuis le 17e siècle au même titre que le Panchen Lama qu'il surpasse en prestige auprès de la population. La majorité des Tibétains semble souhaiter le retour du Dalaï Lama. Souhaite-t-elle aussi la restauration de l'ancienne société ? Il est impossible de répondre à cette question même si l'on constate que la jeune génération vivant en exil à Londres et à Paris se définit comme progressiste.
Les cadres chinois qui vivent au Tibet reçoivent un salaire de 35% supérieur au reste de l'État chinois. Faute de statistiques, il est impossible de déterminer parmi eux le pourcentage respectif de Han, Wu, Min, Yue, etc. Ils ont en tout cas en commun le fait de mépriser les Tibétains et d'ignorer leur langue. Entre les deux communautés, c'est l'incompréhension la plus totale (il n'y a pratiquement pas de mariages mixtes).
Certes la présence chinoise n'a pas eu que des effets négatifs.
Avant l'invasion chinoise le peuple vivait sous l'emprise totale des lamas et le Dalaï Lama avait tout pouvoir sur lui. La Chine a délivré le Tibet du servage et a voulu détruire la religion d'une manière radicale et extrêmement brutale.
Force est de constater que le résultat obtenu est exactement l'inverse de celui souhaité.
La Chine a fait un effort sur le plan éducatif. En 1980, 230 000 enfants étaient scolarisés dans le primaire, 20 000 dans le secondaire et on comptait 4 facultés. Dans le domaine des moyens de communication de masse, la télévision diffuse un programme hebdomadaire de 9 heures dont 6 en tibétain. Le Journal du Tibet vend 37 000 exemplaires dans sa version tibétaine et 16 000 en mandarin. Les étiquettes des produits alimentaires sont bilingues. L'industrie se développe lentement sous la forme d'une cimenterie et d'une usine de traitement du cuir. Mais il semble bien que les Chinois occupent le Tibet surtout pour des raisons stratégiques et économiques. Le sous-sol s'est avéré riche en chrome, pétrole, fer, cuivre, aluminium, étain et or.
A plusieurs reprises les autorités chinoises ont lancé une offensive de charme auprès du Dalaï Lama en exil pour l'inviter à rentrer dans son pays. En 1980, une délégation du Dalaï Lama conduite par Phunsog Wangual et composée de 5 Tibétains de nationalité suisse et américaine en visite officielle à Lhasa a reçu un accueil enthousiaste de 2 000 fidèles réclamant le retour de leur chef spirituel. Les autorités chinoises furieuses ont écourté leur séjour. En 1978, le Dalaï Lama avait déclaré qu'il renoncerait à sa demande d'un Tibet libre s'il était convaincu que ses compatriotes étaient heureux sous administration chinoise. Mais en août 80, il concluait du rapport fait par ses envoyés "Les Tibétains veulent être libérés des Chinois ". Les 80 000 réfugiés le poussent à reconquérir l'indépendance et à prêcher la guerre sainte.
Néanmoins Pékin multiplie les gestes de bonne volonté tels que le rétablissement des marchés libres (comme dans les autres régions de Chine), les suppressions d'impôts et des livraisons obligatoires de céréales au gouvernement, l'accession possible de chacun à la propriété privée. En novembre 78, des Tibétains détenus depuis 59 ont été libérés.
A l'avenir les fonctionnaires de l'État chinois travaillant au Tibet devront apprendre à lire et parler le tibétain ainsi qu'à restreindre leurs privilèges.
Malgré tous ces gages de bonne volonté, la méfiance subsiste tant chez les Tibétains de l'intérieur que chez les exilés en raison des graves excès commis par les Chinois surtout pendant la révolution culturelle. Lors de sa visite en Chine à la fin de l'année dernière, Giscard d'Estaing s'est rendu au Tibet. C'était une première pour un chef d'État occidental. Avant son voyage, les réfugiés tibétains lui avaient adressé une lettre où ils disaient notamment : "Nous espérons que malgré la propagande des autorités chinoises, vous saurez voir et observer la misère et le génocide d'un peuple, d'une culture, d'une civilisation plus que millénaire... ».
Même si la présence chinoise au Tibet n'est pas entièrement dénuée d'aspects positifs, le bilan est largement négatif. En tant que nationalistes internationalistes, partisans du droit des peuples à l'auto-détermination, nous ne pouvons que dénoncer l'occupation chinoise au Tibet de la même manière que nous dénonçons l'occupation soviétique en Afganistan.

N.B.: Sur le plan ethnique, les Tibétains appartiennent à la famille tibéto-birmane, subdivision du groupe sino-tibétain.

Additif: Dans un entretien accordé à la Nouvelle Delhi à la revue Latitude, n° 5, mars 82, le Dalaï Lama estime que le principal problème qui se pose actuellement au Tibet c'est le divorce entre la bonne volonté manifestée par le gouvernement de Pékin et l'attitude des autorités locales han qui rend la vie quotidienne des Tibétains difficile. Il pense malgré tout qu'une solution sera trouvée qui lui permettra de regagner son pays et croit à la convergence possible du bouddhisme et du marxisme. Dans l'immédiat, il demeure en contact étroit avec le gouvernement chinois.

Jean-Pierre Hilaire 1982

carte

tableau des populations, ethnies, langues, religions

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