BOSNIE-HERZEGOVINE

République de Bosnie-Herzégovine
Capitale : Sarajevo
Superficie : 51 129 km2
Population : 4 365 000 hab.

Situation actuelle (1994)

S'il est un pays voué, dès sa naissance, à une existence incertaine et problématique, c'est bien la Bosnie-Herzégovine.
Sans véritable profondeur historique, sans population effectivement dominante démographiquement et politiquement, sa mise au monde, pas vraiment souhaitée par qui que ce soit, est intervenue aux forceps et presque par défaut. A l'heure actuelle, rien n'indique que l'enfant ne meure pas en bas âge.
Deux ans d'un terrible conflit entre les groupements socio-religieux qui la peuplent, Bosniaques-Musulmans, héritiers des chrétiens bogomiles du Moyen Age, islamisés sous les Turcs, Serbes, de tradition orthodoxe et Croates, de tradition catholique, n'ont abouti à aucune solution autre que celle définie par d'aléatoires et provisoires rapports de force.
Le véritable drame est que l'on ait affaire à une féroce guerre civile avec, comme arrière-fond historique et religieux, d'antiques et de plus modernes contentieux, au sein d'une même ethnie, sans variations linguistiques ni culturelles notables.
Les extrémismes se renforçant, les différences, somme toute mineures, mais prétendues irréductibles par les minorités agissantes, sont montées en épingle par les uns et les autres, rendant difficile, voire impossible, toute tentative d'accord et de coopération.
D'interminables tractations entre des parties d'évidente mauvaise foi, chaperonnées par une communauté internationale complètement paralysée par une somme incommensurable de contradictions et par une absence tragique de morale et de réalisme, n'aboutiront à rien de durable. Les risques de prolongation des conflits dans l'ex-Yougoslavie ne seront pas éliminés tant que n'auront pas été fixées les bases réalistes du nouvel ordre territorial et humain de cette région. Dans le reste des Balkans, d'autres affrontements suscités par d'autres enjeux et contentieux ne peuvent qu'être alimentés par l'impuissance générale à éteindre le brasier yougoslave.

Analyse et proposition ethniste

Or le nouvel ordre géopolitique régional suppose que l'ensemble des organisations internationales, des États, peuples, forces politiques, Églises, associations humanitaires et médias impliqués dans ce conflit, admettent un certain nombre d'évidences qui tombent sous le sens.

1 - Quels que puissent avoir été les sentiments à son égard, il convient d'admettre une bonne fois pour toutes que la Yougoslavie titiste, la seconde Yougoslavie, est morte et enterrée. Il ne sert à rien, ni de la vouer aux gémonies au nom des crimes qu'elle aurait commis contre tel ou tel autre peuple, ni de vouloir la ressusciter sur d'autres bases en regrettant la stabilité de l'ordre ancien qu'elle représentait. Du coup, il est nécessaire de reconnaître la nouvelle Yougoslavie, formée de la Serbie et du Monténégro, comme étant l'héritière de la précédente, de la même façon qu' a été admise la continuité entre Russie et Union soviétique.

2 - Si nous avons affaire à un ensemble de populations de même souche ethnolinguistique slave méridionale, il apparaît clairement que les différenciations d'ordre religieux, les influences culturelles et les conditionnements historiques subis depuis des siècles, ont détruit l'unité originelle.
Il en est résulté trois aspirations nationales et trois volontés politiques divergentes. Toutefois, subsistent, minoritairement et sans véritable expression politique, des ferments d'unité qui sont la résultante de 150 ans de yougoslavisme et de 70 ans d'unité yougoslave : on peut, à ce titre, mentionner la situation délicate mais porteuse d'espoir, des Yougoslaves , individus issus d'unions mixtes ou refusant de se définir par rapport à l'une trois communautés.
En conséquence, il faut admettre le droit de chaque composante historico-religieuse à posséder un État national propre, rien n'interdisant la formation d'une éventuelle fédération ou confédération des trois États ou de seulement deux d'entre eux.
La volonté de l'O.N.U. et de l'Union européenne de maintenir artificiellement l'unité politique de la Bosnie-Herzégovine démontre à l'envi, la conception étroitement formaliste des diplomates, leur incompréhension à l'égard des réalités et leur absence de sensibilité face aux drames humains.

3 - Il apparaît à l'évidence qu'une solution juste ne peut intervenir qu'en simplifiant drastiquement l'assise territoriale des États.
De même, n'aboutira-t-on à cette solution correcte qu'en réduisant de façon considérable, l'importance des minorités culturelles dans chacun d'entre eux, soit par modification de frontières, soit par déplacement de populations, soit par les deux. Ne vaut-il pas mieux en effet, "séparer les vivants plutôt que compter les morts" , comme ont pu l'écrire deux éminents géographes ?

Conclusion

De l'ancienne Yougoslavie, sont issus cinq États. Si l'on fait abstraction des minorités ethnolinguistiques périphériques telles que Albanais et Hongrois, quatre d'entre eux (Slovénie, Croatie, Yougoslavie et Macédoine), correspondent à une volonté nationale bien ancrée dans un passé plus ou moins lointain.
Le dernier (la Bosnie-Herzégovine), totalement homogène sur le plan ethnolinguistique, mais sans dominante nationale, doit être démembré, deux de ses composantes allant aux pays voisins qui l'entourent (Croatie et Yougoslavie), la dernière, formant la nouvelle Bosnie.
Ce plan ne peut être appliqué qu'à condition que soient traités globalement les différends croato-serbe, croato-bosniaque et serbo-bosniaque.
Il va de soi que la séculaire poussée historique des Serbes vers l'ouest doit être prise en considération sans pour autant abonder dans le sens d'une Grande Serbie, telle que cherchent à la dessiner par les armes, les dirigeants de la nouvelle Yougoslavie et tous les chefs de guerre serbes de Bosnie-Herzégovine et de Croatie.
La Bosnie véritablement bosniaque doit être installée au coeur des terres où demeurent les communautés slavo-musulmanes : entre Bihac, à l'ouest, et Novi-Pazar, à l'est, son centre de gravité est, bien sûr, Sarajevo. Elle assumera logiquement la continuité juridique de l'actuelle Bosnie-Herzégovine.
L'Herzégovine, quant à elle, devra être partagée entre Serbes et Croates.
Par ailleurs, de notables déplacements de populations, qu'il faudra cependant veiller à limiter au maximum, sont à envisager afin de stabiliser politiquement les trois États concernés en réduisant le poids de leurs minorités respectives.
Ainsi, l'attribution de la Slovénie et de la Dalmatie orientales à la Yougoslavie, objectifs avoués de toute politique expansionniste serbe, devrait avoir pour corollaire, la contrepartie suivante, au bénéfice de la Croatie : l'intégration définitive à celle-ci, des diverses Krajine que revendiquent les Serbes et l'attribution de la grande région de Banja Luka.
La consolidation du territoire bosniaque en Bosnie centrale, se ferait au détriment de la région de Bihac qui se verrait également intégrée à la Croatie.
Toutefois, l'avenir pacifique et fraternel de ces peuples durement éprouvés suppose que, dans toutes les grandes villes, soient maintenues de substantielles minorités, dotées de véritables garanties internationales et jouissant de tous les droits collectifs et individuels dont devrait bénéficier toute minorité de par le monde. Ainsi, par exemple, devraient ou pourraient demeurer à Sarajevo, des Serbes et des Croates; à Mostar et à Bihac, des Musulmans; à Banja Luka et Drvar, des Serbes; à Travnik, des Croates.
Il n'en reste pas moins que, si la communauté internationale souhaite véritablement voir s'éteindre ce dangereux foyer de guerre, elle doit se donner un objectif politiquement clair, réaliste et juste, et le concrétiser par tous les moyens à sa disposition, tant diplomatiques qu'économiques et militaires.
Il va sans dire que, pour être menée à bien, une telle politique suppose que la mise en place de chacun de ses volets soit échelonnée dans le temps sans que, cependant, les délais n'excèdent cinq à six ans.
L'idée de créer un Tribunal international pour juger les criminels de guerre est très morale. Cependant, elle n'apporte nullement une solution politique aux problèmes posés par la guerre et, en tout État de cause, un tel Tribunal ne peut neutraliser ceux qui continuent à commettre des crimes. Si l'action humanitaire se justifie pendant la guerre, la justice internationale ne saurait s'exercer que lorsque celle-ci est finie.
450 000 morts et plus de deux millions de déplacés et de réfugiés de l'ex-Yougoslavie, méritent bien que l'on intervienne réellement sur le terrain et en coulisse afin que cesse cette tragédie sans nom. L'effort est considérable mais les dégâts causés à la coexistence, au développement et à la liberté des peuples de toute l'Europe, seront bien plus importants si ce conflit s'éternise.

Jean-Louis Veyrac 1994


L'invention de la Bosnie

La Bosnie était inconnue du grand public il y a quelques années. Aujourd'hui plus personne n'ignore son existence, tant les médias ont martelé ce nom synonyme de haine, de guerre et d'horreur. C'est la région centrale de l'ex-Yougoslavie. Elle n'est, bien sûr, pas au coeur de l'Europe, mais sur ses marches. Ce qui s'y passe est cependant au coeur de toutes les préoccupations politiques. Il est de bon ton, en France, d'être pour les Bosniaques et contre les Serbes, comme s'il s'agissait de deux nations distinctes et ennemies. Mais qu'est-ce au juste que la Bosnie ?
C'est un pays montagneux aux ressources forestières importantes. L'hydroélectricité et les minerais de fer et de charbon ont permis l'installation de quelques centres industriels dont Sarajevo, la capitale. La Bosnie doit son nom à un affluent de la Save, la Bosna. Peuplée par des populations slaves depuis le haut Moyen-âge, on peut la comparer au Massif Central dont elle a la surface (51 000 Km2). La langue qui s'y parle n'est autre que le Serbocroate. Située entre la Serbie et la Croatie, elle est au centre de l'ethnie serbo-croate. Si l'on s'en tient à la langue pour définir l'ethnie, il est évident qu'il n'y a pas d'ethnie bosniaque. Il s'agit donc d'une entité historique et non ethnique. Les conflits se situent au sein d'une même ethnie, d'une même nation. On peut donc considérer comme absurde de parler de conflits ethniques au sujet de la Bosnie. Il se trouve que la Turquie en a fait le bastion de sa domination sur les Balkans pendant quatre siècles et ce, jusqu'en 1878 date à laquelle l'armée austro-hongroise occupe le pays. Avant la domination turque, la population y était de religion chrétienne et plus exactement bogomile, en conflit donc avec les églises byzantine et romaine. C'est à "l'hérésie" bogomile qu'il convient d'attribuer le succés de l'Islam dans cette région . L'occupation turque fut l'occasion de se venger des persécutions passées à la manière des régions occitanes cathares toujours prêtes à contester l'Église romaine. Aujourd'hui les musulmans y représentent 44% de la population. Orthodoxes et catholiques y sont donc majoritaires. On voit donc la difficulté d'en faire un État musulman. C'est pourtant ce qu'avait essayé de faire Tito en créant la République autonome de Bosnie-Herzégovine avec pour capitale Sarajevo. En bon marxiste, il se devait de combattre tout esprit de religion (l'opium du peuple). Il inventa la subtile distinction entre "musulman" avec un petit "m" pour désigner la religion et "Musulman" avec un grand "M" pour désigner la nouvelle nationalité après avoir utilisé l'expression de "Yougoslave indéterminé" qui manquait évidemment de pertinence. Il était de bon ton de se dire de nationalité "Musulmane", mais bien sûr impossible de se dire de nationalité Catholique ou Orthodoxe, même avec un grand "C" ou un grand "O". On dit que le ridicule tue et c'est à la suite de ce genre de manipulation qu'on en arrive à des massacres. Le but de Tito était évidemment de diviser pour régner. La nation de langue serbocroate fut ainsi partagée en quatre républiques: la Serbie proprement dite, la république du Montenegro, la république de Croatie et la république de Bosnie-Herzégovine.
A force de nier l'ethnique, on en arrive à l'absurde, à l'incompréhension générale et à la guerre. Lorsqu'on entend l'argument simpliste selon lequel "s'ils ne peuvent s'entendre, il faut qu'ils se séparent", nous ne pouvons que nous insurger vu l'impossibilité de découpage de la Bosnie en zones musulmane, orthodoxe et catholique, à moins d'une déportation générale de populations. Il nous semble préférable, quitte à être à contre-courant, d'en appeler à la nécessaire union de la nation serbocroate.

Jacques Ressaire 1994

tableau des populations, ethnies, langues, religions

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