Le nouvel État était en ses classes dirigeantes d'inspiration libérale et francophone tandis que le peuple demeurait majoritairement catholique et, dans la moitié nord, parlait des dialectes thiois c'est-à-dire flamands.
Le suffrage censitaire - à l'origine un électeur sur dix- empêchait les Flamands de se compter. Ce fut une surprise générale quand le premier recensement linguistique, en 1846, révéla qu'ils étaient majoritaires (dans les 55%). Alors s'ébaucha une lente et sûre évolution vers l'organisation de l'État bilingue. D'abord à l'école, où le flamand, originairement cantonné, dans sa zone, à l'école primaire, accède au secondaire ; puis dans l'administration et la justice ; l'État bilingue (français-néerlandais) est enfin officiellement proclamé en 1921, avec, dans l'agglomération bruxelloise, une zone bilingue. Cependant, les limites des provinces (quatre néerlandaises et quatre françaises), et pour le Brabant, celles d'arrondissement (l'arrondissement de Nivelles est wallon) ne coïncident pas exactement avec la frontière linguistique. C'est pourquoi les lois de 1932 - une concernant l'administration, l'autre l'école - établissent un régime bilingue dans les communes où le recensement constate une minorité de 20% (ceci pour l'école) ou de 30% (cela pour les rapports administratifs). Seule l'agglomération bruxelloise reste figée dans le bilinguisme (plus théorique d'ailleurs que réel, le français l'emportant nettement). Or en 1947, des localités majoritairement flamandes (comme Edingen -en français : Enghien - dans le Brabant - se déclarèrent francophones pour obtenir le régime unilingue français. Excipant du caractère fallacieux des déclarations, les Flamands exigèrent que les résultats linguistiques du recensement ne fussent pas publiés et qu' ils soient à l'avenir supprimés.
La Belgique est donc en marche vers la Confédération, le pouvoir central - fortement symbolisé par la monarchie - ne conservant que la défense, l'essentiel des relations internationales, la monnaie, la Sécurité sociale et un certain nombre de services publics comme la Justice, les Finances (malgré d'importants transferts aux Régions et Communautés), ce qui reste des douanes, les postes, les chemins de fer, l'aviation civile. En 1992, le parlement a décidé La suppression de la conscription.
L'accord interpartis du 29 septembre 1992 prévoit l'élection au suffrage universel des Conseils régionaux - aujourd'hui composés des parlementaires "nationaux" élus dans les régions - et le transfert aux régions de nouvelles attributions en matière d'agriculture, de Sécurité sociale, de commerce extérieur et de relations internationales. La province du Brabant doit disparaître au profit de trois entités dont deux - l'arrondissement de Hal-Vilvorde et celui de Nivelles - seront éventuellement rattachés aux provinces unilingues voisines. Bruxelles-Capitale devrait normalement constituer, en raison de son bilinguisme, une province à part. Pour aboutir, la réforme exige une majorité des deux-tiers au Parlement, lequel, pour la circonstance, doit être renouvelé.
Les grands partis, dit "nationaux" (libéral, social, chrétien, socialiste) ont éclaté en partis flamands et francophones. A côté d'eux, des partis ethniques comme la Volksunie , du côté flamand, le Rassemblement wallon et le Front démocratique des Francophones (pour les Bruxellois) ont joué un rôle important dans l'évolution centrifuge qui s'achève. De création plus récente, le Vlaamse Blok, qui lutte contre l'immigration exotique, vient de dépasser la Volksunie.
Selon un sondage du journal De Standaard en 1992, 30,9% des Flamands, invoquant la contribution excessive de la Flandre à l'entretien de l'État commun, se prononceraient pour l'indépendance. Les émancipations à l'Est et l'existence de la Communauté européenne comme structure d'accueil consolident les deux peuples (ou, mieux dit : fragments de peuple) dans leurs convictions confédéralistes et séparatistes. Du côté wallon, s'est constitué -et ce n'est pas le premier dans l'Histoire - un "Mouvement pour le retour à la France".
Mais la faiblesse du régionalisme français comparé à l'autonomie wallonne actuelle rend le projet moins attractif qu'il pourrait le sembler, d'autant que peu de Français de France connaissent et soutiennent la cause wallonne (et bruxelloise). N'a-t-il pas fallu, par exemple, changer en "Centre Wallonie-Bruxelles" la Délégation de la "Communauté française de Belgique" à Paris, le public ne comprenant pas qu'il pût y avoir une "Communauté française'' - réalité constitutionnelle pourtant - composée de citoyens belges.
Le proche avenir de la Belgique est donc dans le confédéralisme. Car, à aller plus loin, les Belges des trois ethnies ne voient pas ce qu'ils gagneraient. Entre la Flandre et les Pays-Bas, l'Histoire a creusé un fossé. Bien que majoritairement catholique, la Hollande demeure en effet un État de tradition protestante ; et elle n'a jamais manifesté pour la Flandre plus d'intérêt que la France pour la Wallonie. Quant aux Allemands d'Eupen et de St Vith, on entend déjà le reproche de pangermanisme monter de toutes les capitales européennes s'ils s'avisaient de rejoindre la Rhénanie dont la paix de Versailles les a séparés sur la base d'une caricature de consultation. A lointaine échéance, les réalités ethniques pourraient cependant recevoir le sceau juridique. Cela n'apporterait guère de changement effectif, sauf pour Bruxelles, appelée à devenir le district fédéral de l'Union européenne.
Guy Héraud 1993