République populaire du Bangladesh
Capitale : Dhaka
Superficie : 143 998 Km2
Population : 120 430 000 hab.
L'ensemble géographique appelé parfois sous-continent indien (entre les montagnes iraniennes, l'Himalaya et l'Océan Indien) était anciennement peuplé par deux familles ethniques : dravidienne au sud et à l'ouest, mounda au nord-est. De récentes découvertes établissent que la langue des anciennes civilisations de Mohendjo-Daro et de Harappa dans la vallée de l'Indus était dravidienne, que par conséquent l'actuelle nation dravidienne des Brahoui (au Béloutchistan) n'est pas le résultat d'une extension tardive des Dravidiens, mais constitue au contraire le dernier reliquat de l'ancien peuplement au nord-ouest de l'Inde. Par ailleurs, des noms de tribus rencontrées par Alexandre le Grand dans sa conquête de l'Inde se reconnaissent dans les noms de tribus moundas actuelles dans des zones plus orientales.
On ne sait pas encore si, comme l'affirme Nicolas Lahovary, les peuples dravidiens doivent être rattachés à la famille japhétique (dont font partie les Basques, les Caucasiens, les Bourouchos du Pamir), ou si les Dravidiens sont très lointainement apparentés aux peuples noirs. La famille Mounda par contre est apparentée à la famille Môn-Khmer, et à la famille Indonésienne.
A partir de 1000 ou 2000 avant J.C., les Indiens se séparèrent des autres Indo-Européens (sud de l'URSS) et envahirent le sous-continent jusqu'alors dravido-mounda. Les résultats essentiels furent :
A partir du sanscrit (langue commune indienne, identique à notre latin) et en passant par l'étape des prakrits ("moyens indiens" où sont déjà sensibles les différences dialectales bases des futures langues), on est arrivé aux environs de l'an 1000, à la constitution des sept entités ethno-linguistiques actuelles. La stabilisation ethno-linguistique s'est donc faite dans l'Inde à peu près à la même époque qu'en Europe.
Les BENGALIS occupant les basses vallées du Gange et du Brahmapoutre constituent l'extrême avancée vers l'est de la famille indienne et donc de tout le groupe indo-européen. Ils ont ainsi séparés géographiquement les Moundas (confinés vers le sud-ouest) des Himalayens (est du Népal, dont on ne sait encore s'ils sont des Moundas influencés par les Tibéto-Birmans, ou des Tibéto-Birmans jadis influencés par les Moundas), des Môn-Khmers (encore présents en Assam, par l'ethnie des Khasis) et des Tibéto-Birmans (au nord et à l'ouest).
Depuis l'an 1000, les événements historiques les plus divers (extensions territoriales de l'ethnie, conquêtes politico-militaires étrangères, formations d'États féodaux et d'entités administratives, implantation territoriale des religions) n'ont pas détruit l'unité profonde de la nation bengalie mais ont abouti à une fragmentation en 5 régions dont les populations se trouvent actuellement dans des situations politiques, psychologiques, et dialectales fort différentes.
La nation bengalie, forte d'environ 140 millions d'hommes, riche d'une immense, admirable et prestigieuse littérature, presque toujours soumise au cours de son histoire aux pires oppressions, et qui est sans doute la nation du monde actuel où sévit la plus atroce misère, est aujourd'hui en pleine renaissance. La lutte pour la libération nationale et sociale et pour l'unité progresse rapidement mais se heurte à des difficultés très différentes selon les territoires.
a) Le Bengale occidental
avec l'immense métropole de Calcutta est en État de révolution larvée. Le parti du Congrès Bengali (Bangla Congress), expression d'une puissance bourgeoisie nationale, est amené pour défendre ses intérêts de classe à modérer son nationalisme et à conclure des compromis avec les partis gouvernementaux hindous. Le parti communiste-marxiste (ni pro-russe, ni pro-chinois) assume de plus en plus, semble-t-il la lutte de libération nationale, et constitue la principale force politique du territoire. Les événements du Bengale oriental ont fait beaucoup progresser la conscience nationale et le sentiment unitaire au Bengale occidental. La volonté de solidarité active avec les combattants bengalis orientaux poussera les divers secteurs politiques à s'opposer plus nettement à l'Inde, le gouvernement hindou tentant de limiter cette solidarité à de bonnes paroles et des secours humanitaires.
b) Le Bengale oriental
a une population en forte majorité de religion musulmane alors que tous les autres Bengalis sont de religion brahmaniste. Comme l'on sait, l'impérialisme anglais, devant la montée du mouvement anti-colonial dans "l'Empire des Indes" et afin de mettre partiellement celui-ci en échec, fabriqua un parti réactionnaire et pro-occidental, la Ligue mulsumane, dont la base sociale était constituée par les éléments féodaux, cléricaux et capitalistes du Pakistan occidental (surtout du Pendjab musulman), et dont la base psychologique était l'utilisation des sentiments religieux (poussés au fanatisme) comme clivage essentiel s'opposant aux prises de conscience nationale et anti-coloniale. La coupure entre les deux Bengale et la création du Pakistan furent cependant largement approuvées par les Musulmans car au Bengale oriental les couches privilégiées étaient en général brahmanistes (propriétaires terriens autochtones, capitalistes de Calcutta), et la création du Pakistan eut pour conséquence leur expropriation et leur expulsion. Les Bengalis orientaux durent cependant constater que leur situation coloniale n'avait guère changé : quoique constituant la majorité de la population du Pakistan, leur langue ne devient officielle qu'après des années de lutte, et la quasi-totalité des fonctions dirigeantes et administratives fut monopolisée par les Pakistanais occidentaux ; quoique fournissant l'essentiel de ses devises à l'État pakistanais, presque rien ne fut fait pour le développement de leur province, et ils n'obtinrent même pas d'être décemment secourus lors des inondations catastrophiques.
Lorsque après la chute du dictateur Ayoub Khan, son successeur dût accepter des élections libres dans tout le Pakistan, on assista au Bengale oriental au triomphe électoral total du parti autonomiste la Ligue Awami, dirigé par Mujibur Rahman, (le Parti National Awami, séparatiste, n'ayant pas présenté de candidats). On sait ce qu'il en advint : la Ligue Awami exigeant une constitution fédéraliste assurant une quasi-indépendance au Bengale oriental, le gouvernement pakistanais déclencha une intervention militaire particulièrement féroce ; les dirigeants autonomistes proclamèrent l'indépendance au Bangla-Desh (Pays Bengali) et durent se réfugier au Bengale occidental. La Ligue Awami, reflétant les fréquentes illusions démocratiques et pacifiques des couches petites-bourgeoises dont elle est l'expression (il n'y a pas ici de capitalisme national), semble jusqu'à présent peu capable d'organiser la résistance. La lutte populaire armée, qui se développe, est de plus en plus animée par un front national de libération dirigée par le Parti National Awami, dont l'orientation sociale est beaucoup plus radicale. Mais un immense progrès vers un Bengale indépendant, uni, et socialiste, est déjà réalisé : le clivage religieux paraît définitivement dépassé.
c) L'Orissa.
La conquête et le peuplement de ce pays par les Bengalis sont le résultat d'une extension tardive de ce peuple dans des territoires demeurés jusqu'alors dravidiens et moundas. Seules les côtes et les vallées sont de peuplement bengali, alors que les zones montagneuses et forestières sont encore habitées par les anciens autochtones. Dans cette déjà ancienne zone de colonisation bengalie, se forma vers le 13ème siècle un dialecte assez divergent, l'oriya, et il exista aussi un État féodal séparé. Au début du 20ème siècle, les Anglais découpèrent arbitrairement le Bengale, et créèrent une province d'Orissa, devenue sans modification un État de l'Inde. Les linguistes de l'Inde ont traditionnellement considéré l'oriya comme un dialecte bengali, mais actuellement le gouvernement hindou (aussi désireux que les Anglais de diviser la nation bengalie) en a fait une langue officielle. L'Orissa demeure une province très conservatrice où dominent les deux partis hindous d'extrême-droite (Jan Sangh et Swatantra) ; la mentalité régnante est celle d'un régionalisme réactionnaire fidèle à l'État hindou et hostile au nationalisme bengali. Bref, un cas typique de population colonisée et aliénée.
d) L'Assam
(cas très semblable à celui de l'Orissa). Les Bengalis ont tardivement occupé la moyenne vallée du Brahmapoutre, s'enfonçant ici comme un coin entre les populations tibéto-birmanes qui subsistent au nord et au sud de la vallée. Un dialecte divergent, l'assamais, (reconnu langue officielle) et le souvenir d'un ancien État, servent aussi de support à un régionalisme réactionnaire, allant jusqu'à une virulente hostilité contre les autres bengalis. Les Assamais qui ne sont que 55 % de la population de l'Assam tentent de maintenir leur prédominance sur les autres Bengalis (20 %), sur les Khasis, les Nagas (au sens large), et les immigrants divers.
e) Le Bihar
est, tout comme l'Orissa, le produit d'un découpage du Bengale par l'administration anglaise ; la situation est cependant assez différente de celle existant dans l'Orissa et l'Assam. Le sud du territoire demeure peuplé par une nation mounda, les Santalis, et une nation dravidienne, les Ourawns (Oraon). Le reste du pays, beaucoup plus peuplé, se partage entre trois domaines dialectaux : bhojpouri à l'ouest, maithili au nord-est, magahi au sud-est. Le bhojpouri, qui est d'ailleurs également parlé dans une vaste partie de l'Uttar Pradesh, (vers Bénarès), a toujours été considéré par les linguistiques de l'Inde comme un dialecte hindou et est appelé par eux "purbi", c'est à dire "oriental" (hindi oriental). Le magahi et le maithili ont toujours été considérés comme des dialectes bengalis, et le maithili a même fourni une part notable de la littérature bengalie. Ne pouvant utiliser ici un particularisme traditionnel, tant linguistique que politique (comme cela était possible en Orissa et en Assam), l'impérialisme hindou a tenté au Bihar l'assimilation massive et directe par la langue hindi, seule proclamée officielle. Alors que le recensement (anglais) de 1931 décomptait environ 15 millions de Maithilis et Magahis, le recensement (hindou) de 1951 n'en trouvait plus que 100 000. Cependant une vigoureuse résistance a permis de renverser la vapeur, et le recensement de 1961 reconnait l'existence de plus de 11 millions de Maithilis et Magahis (nombre réel probable : environ 20 millions). Nous ignorons dans quelle mesure cette lutte sur le terrain culturel est liée à des luttes dans les domaines politique et social ; il existe plusieurs partis locaux importants au Bihar, et l'on peut supposer que certains d'entre eux sont plus ou moins nettement de tendance nationaliste bengalie.
f) Les Bengalis
peuplent également des zones frontalières du TRIPOURA, du NEPAL et du BOUTAN. Au Tripoura (province de l'Inde) le bengali est officiel à égalité avec le dialecte indigène (d'ethnie naga, au sens large). Au Népal et au Boutan, soumis à des régimes de dictature féodale, et où leur langue n'est pas reconnue, les Bengalis soutiennent les forces tendant à la démocratisation de ces États. Il faut encore signaler que les îles ANDAMAN (autre territoire de l'Inde), jadis habitées par les Andamanais (noirs pygmées parlant une langue totalement isolée, réduits en 1961 à 7 individus), ont été repeuplées par des populations diverses : Bengalis, Hindous, Tamouls, etc., et l'hindi est la langue officielle. Le rattachement de ce territoire au Bengale est la solution la plus logique.
g) La nation bengalie
est une des plus surpeuplées qui soient au monde. Un courant d'émigration commençait d'apparaître au début du siècle en direction de l'AUSTRALIE, mais les Anglo-Australiens interdirent strictement l'entrée du pays à tout immigrant "de couleur". Un jour ou l'autre, une partie des immensités vides de l'Australie devra être ouverte à l'immigration bengalie, et devenir un Bengale d'outremer.
a) Surmontant les diversités religieuses, le critère ethnique s'impose comme facteur décisif d'une lutte de libération nationale, laquelle mettra en question la situation de toute l'Asie méridionale. Le soutien le plus total doit être apporté aux Bengalis.
b) Les grandes puissances ont démontré au maximum combien les principes humanitaires et démocratiques proclamées par les unes, les principes socialistes et internationalistes proclamés par les autres, sont une pure hypocrisie. La Chine maoïste a atteint ici des sommets inégalés : elle a apporté un soutien total au gouvernement féodal, fasciste, colonialiste, et pro-américain du Pakistan, et a menacé l'Inde démocratique-bourgeoise de représailles militaires si elle soutenait le soulèvement populaire bengali. Après le soutien inconditionnel que la Chine accorde aux combattants arabes du génocide anti-israélien, son attitude par rapport aux Bengalis permet de caractériser la politique extérieure de cet État comme ultra-réactionnaire, au même titre que celle du Portugal ou de l'Afrique du sud.
François Fontan 1971
Dans le développement de la lutte de libération nationale au Bangla-Desh, les clivages tendent à s'estomper au profit de l'unité de toutes les forces participant au mouvement national. La voie nationalement la plus juste paraît être celle de l'unité de toutes les forces en lutte dans un Front National de Libération, voie préconisée par le Comité de Coordination.
Deux possibilités principales semblent offertes au développement de la lutte de libération nationale au Bengale oriental : la première est la constitution d'un Front National unifié prenant la direction de la lutte et libérant progressivement le pays (cette perspective entraînera à plus ou moins long terme l'éclatement de la Ligue Awami et l'intégration de sa fraction la plus nationale dans le Front) ; la seconde intervient dans le cas où l'Inde apporterait un soutien plus actif aux combattants (principalement à la Ligue Awami, la plus susceptible d'être pro-indienne), la libération pourrait alors intervenir plus rapidement, mais le rôle des nationalistes-révolutionnaires radicaux s'en trouverait alors un peu transformé par rapport à l'action qu'ils mènent actuellement.
Dans tous les cas, la marche du Bengale oriental (et même du Bengale dans son ensemble) vers sa libération est d'ores et déjà une chose certaine.
François Allavena 1971