SPIRITUALISME
Abordons le problème sous un autre angle. Ne croyez-vous pas que la solution de toutes les oppressions ethniques et de tous les fléaux sociaux se trouve au niveau, non pas du groupe mais de l'individu ? La solution est en chaque individu et dans sa prise de conscience universelle.
Votre question concerne la religion. Les religions ont toujours été des propositions idéologiques, des visions, des explications de l'univers, pour résorber sinon résoudre l'angoisse des individus. A ce titre, leurs explications ne furent jamais en rapport avec les réalités économiques, ethniques et même culturelles des individus. Elles ont pour fonction de déculpaliser l'ego face à l'angoissante question "pourquoi existons-nous ?"
PSYCHANALYSE
Si, comme vous le dites, toute ethnie possède sa conscience nationale, c'est-à-dire un "moi" et peut-être un "surmoi", ne peut-elle souffrir aussi des mêmes maux qu'un individu: de mégalomanie, d'un complexe d'infériorité, etc.?
Etablir la relation individu/ethnie et chercher à retrouver les attributs de l'un et de l'autre est une erreur. Par exemple, le complexe d'dipe est issu du rapport amoureux de l'enfant avec sa mère : une ethnie n'a pas de parents donc pas de complexe d'dipe. Elle peut avoir, tout au plus, une population souffrant de ce complexe, ce qui n'est pas du tout la même chose. Mais cela n'implique pas qu'une ethnie ne soit pas une entité avec une psychologie propre à elle, mais déterminée par d'autres causes : nous pouvons, par exemple, supposer qu'après une invasion militaire l'ethnie subit un traumatisme d'identité dont les conséquences ressemblent à une psychose.
RACISME DES INTELLECTUELS
En ce qui concerne le rapport de l'individu à autrui, il peut y avoir d'une part, reconnaissance du droit à la différence, et d'autre part, sur le plan de la vie de tous les jours, persistance du rejet de l'autre : l'exemple banal est celui de l'intellectuel qui dit avoir les idées larges mais déconseille fortement à sa fille d'épouser un homme de couleur ou les boutades du style "moi, raciste, jamais! mais un Noir dans ma famille " illustrent ce hiatus entre le discours et le vécu. Ma question sera donc : la xénophobie, le sexisme, l'ethnocentrisme, ont-ils des causes irrationnelles, inconscientes ?
C'est vrai que, la pratique contredit souvent la théorie. J'ai vu des intellectuels déménager parce que "le seuil de tolérance envers les travailleurs arabes avait été atteint dans leur quartier". Seuil que leurs opinions anti-racistes n'admettaient pas. C'est la preuve que l'on ne peut régler le problème des cultures avec des slogans et que derrière les discours, il y a les réalités culturelles.
HOMOSEXUALITE
Les homosexuels peuvent-ils constituer un groupe autonome tel que l'ethnie ?
Le problème de l'homosexualité fait partie de la lutte de libération sexuelle. Comme il existe la lutte des classes et celle des générations, il n'y aura jamais de nation homosexuelle ni de culture homosexuelle. Une confrérie nationale d'amitié entre homosexuels est possible, mais elle ne sera jamais assez forte pour surpasser en coefficient de différence les cultures dont sont issues les homosexuels.
LES ETHNIES EN FRANCE
Pensez-vous que l'attitude du pouvoir politique en France vis-à-vis des minorités culturelles ait changé depuis quinze ans ?
Il y a, indiscutablement, de la part du pouvoir étatique, une volonté de francisation des autres cultures. Il s'agit donc bien d'oppression. Le pouvoir de Mitterrand désire donner une image libérale. Cela est faux. La télévision française est toujours un instrument aux mains du pouvoir culturel français avec pour objectif la destruction sur le territoire des cultures minoritaires. Il y a, en fait, derrière la direction des trois chaînes, une farouche politique d'acculturation; c'est le cas, par exemple, des émissions historiques où, quand il s'agit des minorités, la langue n'est pas restituée, ni même l'accent rendu. Depuis 1981, la situation n'a pas évolué, c'est la même chose, avec un peu plus d'hypocrisie.
POLITIQUE DES MEDIAS EN FRANCE
Plus de 80% de la population en Frnace est de culture française; si l'on diffusait sur le réseau national des émissions en basque, ou en corse, ne risquerait-on pas de léser les français ?
C'est pour cela qu'en ce qui concerne la télévision, la seule solution est la décentralisation et la création de véritables chaînes autonomes pour chaque ethnie. Quant aux chaînes nationales, elles doivent rendre compte de toutes les cultures sans exception au prorata des populations.
Mais ce courant de retour à l'identité des minorités en France ne véhicule-t-il pas un esprit passéiste, tournant le dos à l'avenir ?
Il ne s'agit pas du tout de retour dans le passé mais plutôt de permettre la réappropriation de soi : tous les individus ont droit à une mémoire culturelle, d'où toute honte serait bannie et qui leur permettrait de mieux assumer le présent. Le pouvoir ethnique français cherche à détruire la mémoire collective des minorités et à les réduire au folklore.
Selon vous, la situation, la politique culturelle en France serait coercitive ? N'a-t-on pas plutôt affaire à une désaffection de l'intérêt de la population pour tout ce qui concerne les cultures minoritaires ? Pour être plus précis, "les jeux de vingt heures" sur RF3 (émission que vous considérez comme un relais tentant d'imposer la langue dominante) ne répondrait-elle pas plutôt à une demande réelle et légitime du public ? L'acculturation que vous évoquez n'est-elle pas un fantasme né des esprits passéiste ? Votre fille ne préfère-t-elle pas écouter France Gall plutôt que Mont Joia ?
Je propose qu'on laisse le public répondre à ces questions : il faut réaliser des sondages. Ces sondages doivent être faits sur le territoire linguistique des minorités et, si possible, après réalisaion d'émissions de variétés de qualité dans les langues bretonne, basque, provençale, etc. Et l'on verra, j'en suis certain, une majorité se prononcer en faveur des émissions en langues minoritaires.
Comment se fait-il que sur le plan de la valeur créative, c'est-à-dire l'apport de nouveauté, les produits artistiques des ethnies dites impérialistes soient supérieurs aux produits des ethnies minoritaires ?
Qui affirme la supériorité de la valeur créative des produits artistiques des ethnies impérialistes ? Ce sont les media, c'est-à-dire des instruments de propagation de la culture impérialiste. Qui juge ? Qui décide des règles du jeu ? Encore ces ethnies. Permettez-moi donc de considérer votre question comme tendancieuse car elle entérine sans analyse une situation d'oppression culturelle.
OPPRESSION DES MINORITES (FRANCE)
Pouvez-vous nous donner des exemples précis de cette oppression culturelle de langue française ?
Les exemples ne manquent pas. Commençons par les plus flagrants. L'Etat, comme je l'ai déjà dit, a transformé la radio et la télévision en structures de guerre culturelle : de véritables rouleaux compresseurs pour imposer la culture française et éliminer les langues minoritaires. En fait, les media perpétuent l'objectif de Jules Ferry : imposer partout et tout le temps la langue française. Chaque émission de radio et de télévision est filtrée, refiltrée ethniquement. Sur aucune des chaînes, on ne reconnaît l'existence de cultures minoritaires, aucune chance au prorata réel de leur indice d'écoute ne leur est offerte.
Quant à la réalité de leur possibilité d'écoute, le brouillage et la destruction par exemple de Radio-Corse internationale sont probants. Sinon, comment expliquer cette attitude du pouvoir central ?
Second exemple : dans l'enseignement, les soi-disant possibilités de choisir l'occitan, le basque ou le corse sont inexistants, ou alors mensongères, illusoires et irréalisables. Dans le formulaire que j'ai reçu pour ma fille qui est au lycée, il était indiqué "option niçois ou occitan", mais en réalité, on nous a répondu : "nous n'avons pas de professeur"; il arrive aussi que la programmation de ces cours soit telle qu'elle empiète sur les loisirs des jeunes gens. La stratégie consiste à faire croire que l'on tient compte des langues minoritaires tout en décourageant à jamais ceux qui auraient le désir de les apprendre.
Troisième exemple, celui des écoles des Beaux-Arts : l'enseignement de la culture générale y est assurée par des professeurs qui passent leur concours à Paris et prennent le train chaque semaine pour passer deux jours dans la ville de leur affectation; presque tous vivent donc dans l'ignorance complète du patrimoine culturel du lieu où ils enseignent. Dans les nombreuses écoles d'Occitanie, y a-t-il seulement un professeur de culture générale qui sache qu'il existe une culture occitane ?
POSITION DU PARTI COMMUNISTE
Quelle est la position du Parti Communiste Français concernant les droits des minorités culturelles en France ?
Le Parti Communiste Français, à l'exception d'un peu d'opportunisme électoral, a toujours été contre toute émancipation véritable des cultures minoritaires en France. Par formation, le P.C.F. ignore la lutte ethnique et privilégie la lutte sociale et économique. Pour lui, le fait culturel est toujours secondaire par rapport à la lutte des classes. Ensuite, parce que le gros de ses bataillons est composé d'ouvrier français du nord; par exemple, à la S.N.C.F., où la C.G.T. est majoritaire, aucun courant ethniste n'est concevable. Enfin, parce que le système même du P.C.F. est fondé sur une dynamique contraliste et ne peut, jusqu'à aujourd'hui du moins, en concevoir une autre. A titre d'anecdote, je citerai la protestation officielle de Georges Marchais envers l'encyclopédie soviétique qui définissait la population française comme étant composée de "plusieurs peuples".
En défendant les minorités culturelles en France, n'êtes-vous pas en train d'affaiblir la culture française et, par conséquent, de faire le jeu de l'impérialisme anglo-saxon ou russe ? En d'autres termes, ne croyez-vous pas que pour un Etat tel que la France (ou l'Espagne, l'Angleterre, etc.) une politique culturelle et linguistique expansionniste soit seule à même de garantir l'indépendance dans le concert international ? D'un commerce qui ne se développe plus, on dit qu'il périclite : et s'il en allait de même pour la langue ? Souvent le fardeau de langues minoritaires favoriserait la régression de l'ensemble de la population.
Un Etat est censé s'occuper de l'épanouissement et du bien-être culturel de la totalité de sa population : il doit donc promouvoir toutes les cultures. Et je ne pense pas que son bien-être culturel soit lié aux notions de grandeur et d'expansionnisme. A ma connaissance, l'Italie ne joue pas la carte du centralisme ni celle de l'expansionnisme et, pourtant, ni sa langue ni sa culture n'en souffrent. Quand Michel Debré et le Général de Gaulle parlent de la nécessité de défendre la culture française, cela est positif. Quand ils soutiennent la francophonie au Québec, en Wallonie et en Suisse Romande, contre le rouleau compresseur culturel anglo-saxon, cela est également positif. Mais lorsque cette défense joue au détriment des cultures basque, bretonne, flammande, corse, occitane, catalane, cela devient négatif. Pour donner un exemple précis, à la télévision, on ne peut que se féliciter de la diffusion d'émissions sur la Wallonie ou le Québec, mais pourquoi les imposer aux Corses ou aux Basques ? Ces émissions doivent couvrir des territoires de langue française où elles constituent des actes de défense culturels. Ailleurs, elles deviennent des actes d'agression.
De toutes les ethnies de l'hexagone, lesquelles vous semblent avoir le moins de chance de réaliser leur autonomie culturelle ?
L'Occitanie et la Bretonne, mais surtout l'Occitane car, bien qu'elle soit plus grande et plus peuplée, elle n'a pas de lieu géographique où sa langue soit retenue officiellement, ni maintenue. En Alsace, on peut capter des émissions en langue allemande, à Dunkerque celles d'Amsterdam, à Perpignan celles de Barcelone, et en Corse on a le choix entre les radios sardes et italiennes.
POLITIQUE CULTURELLE (FRANCE)
Alors, quelle doit être la politique culturelle en France ?
Le pouvoir culturel doit se décentraliser et cette décentralisation ne doit pas être une simple opération d'exportation de la culture française, un va-et-vient de produits parisiens. Il nous faut un ministère des cultures minoritaires qui comprenne que la pluri-culturalité est un élément positif. Je pense que si de telles mesures ne sont pas prises dans un avenir proche, la poussée culturelle des minorités se fera aux dépens et non dans le sens de l'unité nationale; le courant ira alors en augmentant.
Etes-vous contre la culture française ?
Absolument pas. Aucune langue, aucune culture n'est moins importante ou moins belle qu'une autre. Toutes, sans exception, parce qu'elles participent de la création humaine, enrichissent l'ensemble culturel de l'Humanité. Edith Piaf vaut Marty. Je ne combats la culture française que lorsqu'elle s'impose à des populations non française, non pas au niveau des échanges, mais en éliminant les cultures en place, nuisant à l'épanouissement des populations en question.
EFFORT NATIONAL FRANCE
Dans le monde d'aujourd'hui, où sévit une guerre économique implacable, les nations modernes ont besoin d'un haut niveau de recherche scientifique qui implique un effort financier considérable. Croyez-vous que la France puisse se permettre de morceler cet effort national ? La recherche scientifique étant très coûteuse, il est impossible de la concevoir dans le cadre d'un budget breton, corse, ou dans celui d'une France amputée.
Mon analyse est différente; d'abord il n'est pas prouvé que toutes les ethnies doivent obligatoirement, pour leur bien-être, se situer dans le peloton de tête des pays faisant de la recherche scientifique. La Suède et le Danemark n'en éprouvent pas la nécessité et pourtant, que je sache, ces pays ne souffrent pas d'une détérioration de leur identité. D'autre part, la France et d'autres pays centralisateurs à vocation scientifique sont justement en train de faire les frais d'une politique centralisatrice qui a considérablement retardé la recherche par rapport à des nations dont la politique est décentralisatrice. La recherche scientifique doit pouvoir utiliser toutes les forces vives du pays; or, la situation en Occitanie, Bretagne et Corse est celle de régions dont les populations sont hostiles sinon du moins indifférentes à tout ce qui concerne cette recherche.
Ces populations semblent signifier au pouvoir centralisateur que cette compétition ne les implique pas, toute initiative dans ces domaines leur échappant. L'exemple de Sophia-Antipolis (centre de recherche et d'industrie sur la Côte d'Azur) illustre bien les fausses décentralisations, puisqu'il ne s'agit que de déplacer des chercheurs français du nord au sud et de les installer dans une "ville" créée ex-nihilo : la visite de ce centre évoque une ville coloniale en territoire indigène.
Vous parlez d'impérialisme français en Corse, ce qui suppose un intérêt pour la France à conserver ce territoire sous son contrôle, or, si l'on regarde les chiffres, il apparaît nettement que la Corse est aujourd'hui une charge pour l'Etat, c'est-à-dire qu'elle coûte plus cher à l'ensemble des citoyens qu'elle ne leur rapporte. Expliquez cette contradiction.
Premièrement, si la Corse est une charge pour l'Etat français, elle ne l'est peut-être pas pour tous : surtout pas pour une fraction de la classe bourgeoise française qui vend ses produits en Corse. La Corse importe aujourd'hui beaucoup plus qu'il n'y a vingt ans sur le plan alimentaire.
Néanmoins, votre argument est justifié et paradoxalement donne raison aux thèses autonomistes. Certaines minorités sont devenues des charges pour la collectivité : l'on ne peut plus invoquer des questions de rentabilité alors que, dans un Etat démocratique, tous les citoyens sont censés être sur un pied d'égalité en ce qui concerne les prestations sociales. L'Etat centralisateur, ayant saigné ces régions au point qu'elles lui coûtent plus cher qu'elles ne lui rapportent, il ne lui reste plus que deux solutions :
1) soit refuser à ces régions les mêmes droits qu'aux Français et en faire, purement et simplement, des colonies.
2) soit accorder à ces régions l'autonomie.