QUESTIONS DISCUSSIONS DEBAT - 01

ETHNISME DEFINITION 

Le but de cet entretien est double : il s'agit, d'une part, de vous demander de préciser ce qu'est l'ethnisme, c'est-à-dire de nous donner une définition de cette théorie politique, qui apparaît sur la scène aujourd'hui et que l'on croyait réservée aux ethnologues, et d'autre part, de répondre à des questions précises, regroupées par thèmes. Ce que nous aimerions, c'est que les questions et les réponses restent à la portée de tous. Ma première question sera donc :
- Qu'est-ce que l'ethnisme ?

Disons d'abord que l'ethnisme est la prise de conscience politique que la langue est le facteur principal définissant un peuple, une nation. C'est-à-dire qu'un peuple se délimite surtout par ses frontières linguistiques. Il faut savoir ensuite que le terme "ethnisme" officiellement n'existe pas; aucun dictionnaire ne le mentionne. Il apparaît pour la première fois, vers 1958, sous la plume de François Fontan qui en a eu besoin pour construire sa théorie. Il y avait ethnographie, ethnologie sociale, anthropologie politique, ethno-linguistique, ethnocentrisme, etc. mais pas "ethnisme". L'ethnisme fut donc le titre de l'ouvrage de François Fontan paru en 1961 et édité à compte d'auteur à Nice. Le sous-titre précisait un peu mieux le propos : "Vers un nationalisme humaniste".
Ceci dit, l'ethnisme comme le marxisme est une tentative d'explication de l'histoire humaine; c'est une théorie politique qui reconnaît l'existence dans le monde des langues, de cultures différentes; elle constate les situations d'oppression de certaines langues et cultures (nations) par d'autres et prend en charge cette réalité pour mieux la faire connaître; voire proposer des solutions.
L'ethnisme prend position, juge et décide d'une action politique. En cela, il se différencie de l'ethnologie qui se borne à observer et à se maintenir dans une certaine neutralité. La pensée et l'action politique de l'ethnisme s'appuient sur le principe suivant : pour préserver un maximum de "vie" en ce qui concerne l'espèce humaine, il faut déceler, combattre et éliminer les situations d'oppression. Celles-ci peuvent être de plusieurs ordres : de classes, de sexes, de générations et d'ethnies. L'ethnisme analyse toute situation d'oppression ethnique. L'ethnisme propose alors de recenser toutes les ethnies, toutes les cultures du monde, et de leur accorder un certain nombre de droits dont le droit à la langue, le droit au territoire et le droit à la maîtrise de leur propre destin dans le cadre de rapports internationaux, c'est-à-dire inter-ethniques.

ETHNIE NATION ETAT PEUPLE

Pour la suite de ce débat, il serait souhaitable que, dès maintenant, vous nous définissiez plus précisément le sens des mots "ethnie, nation, état".

Votre question est justifiée car, en ce qui concerne le sens donné à ces termes, il règne aujourd'hui une grande confusion, chacun donnant une définition différente à ces mots. Différence qui devient vite divergence, selon qui tient le discours. Ainsi, "ethnie française" dans la bouche d'un Corse n'a pas le même sens que dans celle de Michel Debré.
Un des buts de cet ouvrage est justement d'aider à définir ces termes.

Commençons par le mot "ethnie" : ce terme renvoie souvent à l'idée de peuple primitif. Ne croyez-vous pas qu'il ait une connotation trop ethnologique ?

Cela est en train de changer. A la fois dans les media et dans les discours politiques, le terme ethnie prend aujourd'hui une place de plus en plus importante : le besoin s'en faisait sentir car il manquait un mot définissant la réalité du groupe culturel linguistique. Pour moi, dans cet entretien, ethnie correspondra à "une population ayant une communauté de langue et de mémoire culturelle". Il y a une ethnie Mongos parce qu'il y a une langue Mongos, une culture Mongos sur un territoire Mongos. Il en va de même pour les ethnies Basque, Irlandaise ou Française.

Mais si les Basques parlent aujourd'hui le français, font-ils partie de l'ethnie française ?

C'est ici qu'intervient l'ethnisme qui décèle et combat le fait impérialiste et colonialiste. C'est-à-dire l'imposition par une ethnie d'une culture et d'une langue, à une autre, aux fins de la conquérir et de l'assimiler.

Passons au mot "nation", quelle est la différence entre le mot "nation" et "ethnie" ?

Le terme "nation" est lui aussi porteur de beaucoup de confusion. "Volonté nationale", "destin national", "intégrité nationale", "âme de la nation"…etc. Tout cela cela peut servir à l'expansion et au discours impérialiste d'une ethnie au détriment d'une autre. C'est l'Etat-Nation. Mais il peut aussi servir dans le discours d'une ethnie en lutte pour être maîtresse de son destin. C'est le cas des mouvements de libération nationaux : quand ils parlent de la nation Kurde, de la nation Basque, de la nation Méo, etc. ce terme est voisin du mot "ethnie". Ceci dit, cette confusion possible explique pourquoi je préfère le terme ethnie à celui de nation, plus adéquat à la définition de "peuple ayant une langue" et "une mémoire culturelle". Mais presque 80 % des mouvements etniques de libération se définissant "Mouvements de libérations nationaux", il est difficile de s'en tenir uniquement au mot "ethnie".

Et "l'état" dans tout cela, qu'est-ce que c'est ?

L'état n'est que l'organisme institutionnel qui contrôle une population. Rares sont les cas où l'Etat représente un peuple dans son intégralité. Il n'y a pas d'Etat Sioux, Arménien, Basque mais il y a une nation Sioux, Arménienne, Basque.

SURVIE

Quel est le terme, le mot, vous paraissant le plus fondamental dans l'ethnisme ?

En dehors de '"langue" qui aide à définir l'ethnie, c'est le mot "survie". Car tout, y compris la langue, est rattaché à la dynamique de survie du groupe. La notion de bien être, la santé, tout est étroitement lié à la survie.

LES LANGUES MEURENT-ELLES ?

Mais la réalité n'est-elle pas que certaines langues dites minoritaires sont en voie d'extinction ?

En Occident, jusqu'en 1950, le mouvement général tendait en effet à supposer la disparition des minorités. Pourtant, depuis 20 ans, le phénomène d'acculturation d'un grand nombre d'ethnies dites minoritaires semble être en diminution. Actuellement, nous observons une tendance vers l'affirmation des langues autochtones, tout particulièrement en Europe où, contrairement à ce que nous pouvions prévoir avec l'avènement des mass media et du progrès technologique, nous assistons à des prises de conscience culturelle, à un réveil des langues minoritaires et non pas à un renforcement des forces centralisatrices. Voyez l'Ecosse, le pays Basque, les Flandres, la Catalogne, etc. La division de la Belgique en zones linguistiques est un exemple flagrant.

Comment expliquez-vous ce retour à l'affirmation des identités ? Ne serait-ce pas le chant du cygne avant sa mort ?

Je propose trois explications. La première est que depuis à peu près le 10ème siècle pour l'Europe et 100 ans pour le monde les grands mouvements d'immigration se sont tassés sinon arrêtés. De ce fait, la formation de langues nouvelles aussi. Il y a donc eu sédentarisation des populations sur des territoires fixes, sédentarisation qui a permis aux peuples de réaliser, dans leur ethnocentrisme, une opération que j'appelle "l'inventaire", c'est-à-dire la prise de conscience de leur identité.
La deuxième, plus actuelle, est que nous sommes dans une période de non-confrontation armée des grandes puissances impérialistes, ce qui permet aux ethnies qui ne sont pas mobilisées par les blocs de mieux réaliser cette opération d'inventaire. Dans le langage des relations internationales, cela s'appelle "être contre la politique des blocs", ou "conduire une politique de non-alignement".
La troisième explication est que l'ethnologie et l'anthropologie, depuis quelques années, sont devenues, à travers leur diffusion, des sciences transformatrices, c'est-à-dire qu'à partir des données qu'elles diffusent, elles entraînent des prises de position, voire des actions politiques allant dans le sens de la reconnaissance des droits des ethnies et des cultures.
Si c'est la mort du cygne, il n'en finit pas de mourir -et le monde est rempli de ses soubresauts : Tamouls, Kurdes, Arméniens, Indiens, etc.

REGRESSION ARCHAISME

Néanmoins, j'insiste. Les langues minoritaires étant en voie de disparition, ne trouvez-vous pas archaïque et régressif de vouloir les faire renaître de leur cendres ?

Beaucoup d'ethnies sont comme des icebergs : de l'extérieur, elles donnent l'impression d'être inexistantes, mais si l'on procède à des sondages, on s'aperçoit qu'elles ne sont qu'endormies et que, dès qu'apparaît une possibilité de s'exprimer, elles s'éveillent. Les mass media font beaucoup de bruit à chaque fois qu'une espèce animale est en voie de disparition. Pourquoi ne pas faire de même pour les cultures humaines ? Enfin, je dirai que l'ethnisme ne fait rien naître de rien, encore moins crée-t-il une conscience nationale, pas plus que Karl Marx n'a créé la lutte des classes. L'ethnisme ne fait qu'enregistrer les réalités ethniques, tout-au-plus accélère-t-il le processus de prise de conscience.

ASSIMILATION

Vous affirmez qu'il y a tendance à la stabilisation des ethnies existantes. Ne pensez-vous pas plutôt que l'histoire est un perpétuel brassage de groupes humains, que l'expansion et l'assimilation font partie du processus inévitable et naturel de la dynamique humaine ?

Sans préjuger de l'avenir, nous constatons que les grandes périodes d'émigration que l'espèce humaine a connues dans le passé se sont, sinon arrêtées, du moins atténuées depuis 100 ans, ainsi que la création de nouvelles langues. Ceci dit, l'ethnisme ne suppose pas un monde statique : il tire ses conclusions à partir de l'existence des ethnies dans le présent et ne nie pas l'existence des phénomènes d'acculturation; il constate seulement qu'ils sont issus d'états d'oppression et que, partout où il y a oppression, il y a lutte. L'ethnisme en tire les conséquences et donne une ligne de conduite politique pour un internationalisme actif, le moins coercitif possible.

Mais l'assimilation d'un peuple par un autre est-elle toujours la conséquence d'une oppression ? N'existe-t-il pas des cas d'assimilation naturelle ?

Je ne crois pas qu'il y ait jamais eu assimilation d'un peuple par un autre sans défaite de l'un et conquête de l'autre. Bien sûr, cette conquête prend des formes différentes. Cela va de la main mise sur un pays à travers des intermédiaires jusqu'au génocide pur et simple. Ceux qui nient cela sont les impérialistes : les Turcs disent qu'ils n'ont jamais opprimé les Kurdes ni les Arméniens et soutiennent que la turkisation est un phénomène naturel. Allez dire cela à un Kurde!

Je ne suis pas satisfait de votre réponse car on dit souvent d'un peuple ou d'un individu qu'il a cherché à se laisser assimiler, de son plein gré : "j'ai voulu devenir américain', etc. L'assimilation dûment consentie est-elle, selon vous possible ?

Non. Lorsque l'assimilation a lieu sur le territoire d'une ethnie il s'agit, toujours, d'une oppression visant à liquider la culture de l'ethnie assujettie. Oppression qui prendra, selon les régimes, des visages différents. Par exemple, on ignorera sciemment son existence sur tous les plans (juridique, administratif). Quant à sa langue, elle sera considérée comme un patois; l'ethnie elle-même sera rebaptisée : ainsi, les Kurdes deviendront-ils des "Turcs montagnards".

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