RAPPORTS DE FORCE ENTRE NATIONS

Les rapports entre ethnies ont été jusqu'a présent essentiellement des rapports de force. La tendance générale des ethnies à opprimer, exploiter, dépouiller et détruire les autres nations et l'ensemble des faits en résultant est l'impérialisme (ou colonialisme).
Les luttes entre nations ne sont pas intrinsèquement liées à leur existence. Le fait de la différence de langue, de l'incompréhension ne peut conduire par lui-même et au pis-aller qu'à l'absence de relations et a l'indifférence ou à la méfiance; il en est de même des différences raciales et culturelles. Les conflits entre nations découlent uniquement de causes économiques et de causes psycho-sexuelles.

Les rapports de force entre nations peuvent se présenter de plusieurs façons :

  1. Il peut y avoir génocide physique, c'est-à-dire anéantissement pur et simple d'une nation, accompagné du repeuplement du territoire par les membres de la nation impérialiste. Le génocide physique peut s'opérer par guerres et exécutions, par famines, épidémies et autres maladies provoquées volontairement ou non. Il peut ainsi y avoir génocide physique par les conséquences d'une simple immigration étrangère et sans intervention d'actes de violence, ou du moins sans que ceux-ci jouent un grand rôle. Il y a alors substitution de population, et tout problème international est ainsi supprimé, une fois le massacre terminé. Le génocide physique a été tenté et plus ou moins réalisé par les Allemands contre les Hébreux, par les Turcs contre les Arméniens, par les Anglais contre les Tasmaniens et contre des peuples amérindiens et australiens, par les Espagnols contre les Guanches des Canaries et les Amérindiens des Antilles, etc...

  2. Il peut y avoir substitution de population par poussée démographique et occupation du territoire sans destruction des indigènes, avec ou sans expulsion des indigènes. C'est ce que tentent ou ont tenté les Allemands et les Français en plusieurs points de leur frontière linguistique commune, les Français en Algérie, les Italiens à Trieste, les Turcs en Ionie, les Chinois en Mandchourie et en Mongolie intérieure, les Vietnamiens en Cochinchine, les Russes en Carélie, etc... Les faits sont évidemment très différents selon qu'il s'agit de territoires à forte densité ou de territoires presque vides d'habitants.

  3. Il peut y avoir génocide culturel, c'est-à-dire destruction de la langue et de la culture d'une nation et son remplacement par la langue et la culture du peuple vainqueur au moyen de toutes sortes de pressions étatiques et autres. Il y a alors assimilation accompagnée à des degrés divers de soumission politique et d'exploitation économique; cela s'accompagne d'ordinaire d'un métissage plus ou moins intense. Il s'agit là du cas d'impérialisme le plus fréquent. Le génocide culturel a été ou est actuellement tenté par les Espagnols contre les Catalans, les Basques et de nombreuses nations amérindiennes, par les Français contre les Bretons, les Occitans, et contre diverses nations et fractions de nations africaines, par les Russes contre de nombreuses nations de l'U.R.S.S., par les Birmans, contre les Môn, etc...

  4. Enfin, l'assimilation peut s'opérer uniquement par pression culturelle, sociale, économique, sans violence directe et sans contrainte étatique. Telle a été l'action des Araméens sur les Accadiens, des Grecs sur les Albanais, telle a été celle des Arabes sur les Berbères en Afrique du Nord, durant la domination française, etc...

En pratique, ces différents procédés, ou du moins certains d'entre eux sont fréquemment combinés, et l'assimilation vient achever ou contrecarrer l'occupation territoriale ou le génocide physique.
Toute assimilation repose à l'origine sur des rapports de force: si des individus peuvent isolément pour des raisons diverses (origine raciale, intérêts économiques, raisons sentimentales), désirer leur intégration à une autre nation, par contre, aucun peuple dans son ensemble n'adopte de son plein gré une langue et une culture étrangères : il n'y a pas de suicide nationaux, pas plus culturels que physiques.
Il y a donc au départ conquête militaire, guerre, ou tout au moins conquête politique. L'assimilation se réalise ensuite par la pression constante des organismes de l'Etat et des autres organismes sociaux de l'ethnie dominante, et par l'installation dans le pays soit d'une mince couche dirigeante, soit de groupes nombreux de colons disputant la terre aux indigènes.
L'Etat peut être soit l'instrument incontesté de l'ethnie dominante, et les membres de l'ethnie dominée sont alors privés de tous droits politiques (comme les peuples des colonies françaises avant la dernière guerre, ou comme actuellement les Zoulous - Sothos en République Sud-Africaine), soit le cadre où s'affrontent l'ethnie dominante et les peuples dominés, les membres de ces peuples pouvant alors jouir des mêmes droits politiques que les membres du peuple dominant.

L'Etat belge, originairement organe de la bourgeoisie française et francisée (d'une bourgeoisie qui s'est résignée à l'indépendance après que les interventions étrangères lui eurent interdit la fusion avec la France), est maintenant âprement disputé entre Français (Wallons) et Néerlandais (Flamands). L'égalité des forces où sont parvenus les deux camps, les tendances politiques opposées des deux régions, la perte récente des ressources procurées par l'exploitation du Congo, sont des facteurs hautement favorables à l'éclatement de l'Etat belge.

L'Etat suisse a été jusqu'en 1815 un Etat de bourgeois et de paysans allemands (dénommé officiellement " Ligues suisses des Hautes-Allemagnes "), ayant vassalisé quelques populations allogènes (pays de Vaud par exemple). En 1815, lui furent adjointes d'autres populations étrangères en même temps que fut établie l'égalité juridique des territoires. Cette structure politique fédérale permet une situation culturelle assez bonne pour les minorités dans les cantons homogènes (Genève, Neuchâtel, Vaud, Tessin), tandis que les cantons mixtes (Berne, Fribourg, Malais, Grisons) sont le cadre d'une intensive expansion allemande par immigration et assimilation, d'où la naissance du mouvement jurassien. Il y a, de plus, une évidente prédominance politique et une disparité de développement économique au profit des Allemands. Des causes économico-sociales (principalement le rôle de banquier à neutralité respectée qui lui a été confié par les grands capitalismes européens, et qui assure sa prospérité) maintiennent pour un temps encore l'existence et même la solidité de l'Etat suisse.

La forme fédérale de l'Etat ne garantit nullement contre l'oppression nationale: les Etats-Unis par exemple, dans toute leur étendue, ne sont qu'un gigantesque creuset d'anglicisation, où subsistent des régions coloniales, et où les minorités ethniques occupent les plus bas degrés de la hiérarchie économique. Selon la situation antérieure de la nation, le statut d'Etat fédéré est soit une étape vers l'annexion totale, soit une étape vers l'indépendance totale; encore ce statut n'a-t-il de valeur progressive que si les unités fédérées correspondent au moins approximativement aux unités ethniques.
Dans un certain nombre de pays se superposent plusieurs étages de domination impérialiste, les luttes d'émancipation nationale présentent alors plusieurs phases: tout d'abord toutes les nations soumises luttent unies contre la nation dominante sous la direction de la nation occupant le deuxième rang de cette sorte de hiérarchie et au nom de ce nationalisme-là. C'est seulement une fois cet objectif réalisé que se développent les mouvements nationaux des nations occupant les étages inférieurs contre l'ethnie devenue dirigeante. Ainsi, tous les peuples de l'Empire des Indes ont chassé les Anglais dans le cadre du nationalisme hindou, et c'est seulement maintenant que les peuples non-hindous, principalement les nations dravidiennes, luttent contre la domination hindoue. De même récemment en Algérie, Arabes et Berbères ont mené une seule lutte, celle du nationalisme arabe contre le colonialisme français, le problème de l'émancipation des Berbères contre les Arabes ayant été nécessairement remis à plus tard.

L'ASSIMILATION

L'assimilation, tout le temps qu'elle est en cours, signifie pour le peuple soumis un obstacle majeur à l'acquisition de l'instruction.
L'enseignement donné dans une langue étrangère, la réduction de la langue maternelle à l'état de langue non-littéraire, de langue paria et méprisée, empêche le développement des facultés créatrices de l'individu, détruit une condition essentielle de l'épanouissement de l'enfant, et conduit ainsi tout un peuple à une sorte de refoulement et de dépérissement culturel. L'ouvrage de l'U.N.E.S.C.O., " L'emploi des langues vernaculaires dans l'enseignement " a formellement reconnu la nécessité de l'enseignement dans la langue maternelle.
L'assimilation ne se réalise presque jamais d'un seul coup, par la substitution brutale d'une langue à une autre, elle s'opère par l'étape intermédiaire du bilinguisme. De génération en génération, on passe d'un monolinguisme national à un bilinguisme à prédominance nationale, puis à prédominance étrangère, et enfin à un monolinguisme étranger. A l'échelle des groupes sociaux, le bilinguisme n'est jamais autre chose que le passage plus ou moins rapide d'une langue à une autre.
Lorsque l'assimilation est terminée, il subsiste le fait d'une langue ne correspondant pas au tempérament, à la structure mentale, des assimilés. C'est seulement plusieurs générations après la disparition de la langue que l'assimilation, renforcée par le métissage et l'adoption des nouvelles moeurs, sera véritablement achevée et ne sera effectivement plus une oppression.
Si le peuple assimilé était trop nombreux ou trop différent du peuple assimilateur, on pourra aboutir à la modification du langage vainqueur et à la constitution d'une nouvelle ethnie.
Dans une nation indépendante, non soumise à l'assimilation, la conscience nationale est l'expression naturelle du subconscient, la rationalisation des liens réels et profonds qui unissent ses membres; alors qu'au contraire chez les membres d'une nation dépendante soumise à l'assimilation, il existe un sentiment confus, un subconscient national plus ou moins complètement refoulé par la conscience nationale étrangère qui se superpose à lui sous la pression de l'Etat étranger et de l'éducation qu'il dispense, sous la pression des classes supérieures assimilées.
Il n'y a pas de véritable santé physique, pas de développement harmonieux de la personnalité, si l'on ne détruit pas le refoulement et l'aliénation linguisticoculturels qui sont parmi les plus grands maux dont souffrait et souffre encore la majorité de l'humanité.

L'EXPLOITATION

On a trop négligé le fait que l'exploitation de l'homme par l'homme est l'exploitation d'une nation par une autre nation au moins autant que l'exploitation d'une classe par une autre classe. Plus encore que des classes prolétaires, il y a des nations prolétaires.
Cette exploitation peut revêtir des formes diverses.
Le cas le plus général et le plus aigu, est celui des colonies. La colonisation signifie d'abord la destruction du système économico-social indigène, lequel est parfois très supérieur à celui des occupants: par exemple, l'Etat socialiste des Kitchuas au Pérou détruit par l'Etat féodal espagnol. Les indigènes sont ensuite réduits à un état voisin de l'esclavage, soumis à une famine chronique, et constituent une main-d'oeuvre à bon marché, parfois une réserve de chair à canon pour des guerres ultérieures. Le pays n'est considéré que comme une source de matières premières ou de produits exotiques, et un débouché pour les produits finis métropolitains; il demeure sous-développé et dépourvu d'industrie importante.
Le cas des semi-colonies est assez semblable, bien que jouissant d'une indépendance politique formelle ; toutes les richesses principales, les secteurs-clés de l'économie, et en définitive le gouvernement lui-même, sont aux mains de sociétés étrangères. Tels sont presque tous les pays d'Amérique latine, ou certains pays arabes (royaume Séoudien, Oman, Jordanie), par rapport aux Anglo-Américains.
Dans les pays post-capitalistes, socialistes, il peut y avoir une forme presque identique: un des Etats n'est en fait qu'un camouflage de la domination étrangère, et le prélèvement d'une partie de la production nationale s'opère soit par sociétés étatiques mixtes, soit par accords commerciaux entre états, soit par le biais d'un marché commun (Comecon). Telles sont la Tchécoslovaquie ou la Hongrie par rapport à la Russie.
Il y a le cas de pays sous-développés, intégrés sans inégalité politique à un Etat étranger. Le complexe d'infériorité résultant de la domination et de l'assimilation, les contacts étroits et inégaux entre peuples à tempéraments différents provoquent une relative inactivité, une sorte de dégoût de vivre ou d'agir, une non-participation latente. Il en résulte une sous-productivité et la ruine devant la concurrence étrangère. Ces pays bénéficient d'investissements moindres et sont victimes de la politique économique suivie par l'Etat dominant. L'économie est orientée non point afin de satisfaire au mieux les besoins de la population du pays, mais selon les intérêts de la nation étrangère et de sa classe dominante. Le pays est souvent voué à une monoproduction garantissant sa dépendance. Dans cette situation se trouvent la Sardaigne par rapport à l'Italie, l'Occitanie par rapport à la France, l'Ecosse par rapport à l'Angleterre, la Lituanie et le Turkestan par rapport à la Russie.
Il existe enfin certains pays assez développés dont l'évolution est entravée par leur annexion à une nation économiquement moins avancée, et qu'ils sont plus ou moins forcés d'entretenir: par exemple la Catalogne et l'Euzkadi (Pays basque) annexés à l'Espagne.
En général, toute inclusion d'une ethnie au sein d'une unité économique et politique où prédomine une autre ethnie signifie en fait oppression économique même si cette unité économico-politique est réputée plus évoluée. On a ainsi par la destruction de leur système économique, par la contrainte pure et simple, par la pression de toute une ambiance culturelle, forcé les Polynésiens, certains Amérindiens, certains Caucasiens et Turcs à se livrer à des travaux qui leur répugnaient profondément afin qu'ils puissent acheter ensuite des objets dont ils n'avaient ni désir ni besoin, ou qu'en tout cas, ils appréciaient beaucoup moins que leur ancien mode de vie. On ne peut expliquer autrement que par une riposte à l'impérialisme socialiste russe le passage en masse dans le camp allemand, lors de la dernière guerre, de plusieurs peuples de l'URSS (Tchetchènes, Mongols de la Volga, Turcs de Crimée et de Ciscaucasie).
Il faut s'apercevoir de ce fait fondamental : les besoins (et les capacités) économiques ne sont pas les mêmes pour tous les peuples. De nombreuses réalisations des civilisations européennes peuvent très bien ne pas présenter d'intérêt pour certains peuples, par exemple les chemins de fer pour les Polynésiens ou les frigidaires pour les Eskimos. Pour de nombreux peuples équatoriaux ou tropicaux, les besoins de vêtement, de chauffage, de logement sont réduits à très peu de choses et peuvent être satisfaits par un léger travail. Les besoins alimentaires peuvent être satisfaits de façon très différente, selon la densité de la population et les ressources naturelles.
En supposant que dans toutes les nations, l'orientation et la gestion de l'économie soient effectivement entre les mains du peuple, on peut être certain que dans la quantité, l'organisation et la discipline du travail, dans la quantité et la nature de la production, des choix très différents seraient faits selon les conditions géographiques, le tempérament et les goûts de chaque nation.
Tous les problèmes économiques et sociaux (et culturels) se posent ainsi différemment selon les nations. En d'autres termes, à la relativité dans le temps s'ajoute pour tout problème et toute solution la relativité dans l'espace, à la relativité historique, la relativité géographique.

NATIONS ET CLASSES

Presque tous les peuples de l'univers formant des sociétés de classes, et pour la plupart d'entre eux depuis fort longtemps, les luttes entre nations sont étroitement mêlées aux luttes entre classes.
Dans toute nation indépendante (et comprenant des classes), les luttes internationales sont dirigées par la classe dominante et visent essentiellement à la satisfaction des intérêts de cette classe. C'est surtout aux maîtres d'esclaves, aux féodaux, aux capitalistes, aux bureaucrates, que profitent les nouvelles conquêtes ; ce sont principalement eux qui s'emparent des richesses naturelles et de la main-d'oeuvre du pays vaincu.
Les classes inférieures de la nation profitent elles aussi, à un degré moindre, de la colonisation, soit pour certains directement par l'immi-gration (comme " colon " ou fonctionnaire) ou la participation aux bénéfices des sociétés, soit pour toute la population indirectement par les améliorations (salaires, prix, investissements) accordés par la classe dominante, améliorations que celle-ci prélève sur les surprofits coloniaux. On doit cependant préciser que le soulèvement des colonies contribue fortement au renversement de la classe dominante, et qu'ainsi les peuples coloniaux peuvent être les alliés des classes exploitées de la nation dominante : les avantages que celles-ci peuvent tirer de la colonisation sont moindres que ceux qui résulteraient du renversement de leurs propres exploiteurs nationaux.
Il arrive souvent que la classe dominante abandonne volontairement les intérêts nationaux ; menacée par un soulèvement de son propre peuple, elle peut choisir la soumission à une classe dominante étrangère, ce qui constitue pour elle un moindre mal. Telle est depuis plusieurs années l'attitude d'une large fraction des bourgeoisies française et japonaise, des féodalités persanes et de certains pays arabes, vis-à-vis des Anglo-Américains.
Au sein d'une nation dépendante, la classe dominante adopte dans une large mesure cette attitude ; seul compte alors pour elle le sauvetage de ses privilèges. Quels que puissent être les inconvénients de cette attitude, elle tend à s'intégrer au maximum à la classe dominante étrangère dont elle adopte la culture et dont elle se fait le meilleur auxiliaire. Nombre de bourgeois français étaient ainsi pro-allemands en 1940-44, la plupart des féodaux d'Afrique du Nord étaient encore récemment pro-français, les bureaucrates ukrainiens sont en général pro-russes, etc...

Ce sont parmi ces assimilés collaborateurs (qui peuvent d'ailleurs venir également d'autres couches de la nation) que se trouvent les plus farouches chauvins de la nation conquérante. Le refoulement linguistique et culturel dont souffrent inconsciemment mais profondément ces assimilés est la cause réelle de leur agressivité et de leur impérialisme. En luttant contre les non-assimilés, ils luttent contre leur propre subconscient, et ils se vengent de l'oppression qu'ils ont subie dans leur jeunesse en l'imposant aux autres. Tels sont l'Italien francisé Buonaparte, le Géorgien russifié Djougachvili-Staline, le Portugais hispanisé Franco, les Juifs antisémites, les Occitans francisés l'" Action Française ". (Ces derniers partiellement, car leur programme de " décentralisation " et de défense des dialectes est une survivance de conscience occitane opposée à leur nationalisme français ultra-chauvin).

Dans les nations dépendantes, c'est ainsi que les intérêts nationaux, la langue et la conscience nationales, ne sont plus représentées que par les classes moyennes et inférieures, ou des fractions de ces classes, ainsi que par de rares éléments des classes supérieures. Pour ces classes, la lutte contre la couche dominante et la lutte pour l'indépendance nationale ne sont en fait qu'une seule et même chose. C'est d'ordinaire lorsque l'assimilation atteint profondément ces couches moyennes et inférieures qu'apparaît dans leur sein parmi leurs membres semi-assimilés, une avant-garde révolutionnaire tant nationalement que socialement. L'apparition de cette avant-garde qui rejette l'assimilation et la conscience étrangère est le prélude à la libération politique, économique et culturelle de la nation, qui signifie la plupart du temps un changement simultané de régime social.
Cette avant-garde passe évidemment par des degrés croissants de radicalisation en rapport avec les circonstances, débutant par une action " purement culturelle ", de timides revendications économiques, de vagues et abstraites idéologies " régionalistes " ou " fédéralistes ", des organisations floues de type amateuriste, pour arriver à une action d'ensemble à la fois culturelle, économique et politique, animée par une doctrine nationale et sociale concrète et cohérente, menée par des organisations fortement structurées.

La lutte pour l'indépendance nationale s'exprime alors par une ligne politique d'union des classes nationales : paysans, petits-bourgeois, ouvriers, capitalistes nationaux (ou bureaucrates-nationaux), et le rôle de chacune de ces classes peut être d'importance très variable selon la situation particulière de chaque pays.

Les luttes entre les nations ne sont pas produites par les luttes de classes ; elles peuvent exister entre des nations sans classes : telles sont les luttes entre les peuples dits " primitifs ".
Ni le renversement du capitalisme, ni même la disparition des classes, ne sont par eux-mêmes une garantie contre la domination d'une nation par une autre. Une nation sans classes peut très bien exploiter économiquement et assimiler culturellement une autre nation sans classes, et l'on peut dire alors que celle-ci est globalement réduite au rang de classe exploitée. Un tel processus est à l'origine de l'existence des classes, concurremment avec la division du travail. Non seulement l'impérialisme n'est pas un simple produit du capitalisme, mais tout système de classes est un produit direct ou indirect de l'impérialisme. L'histoire de la Grèce et de Rome le montre surabondamment ; la révolte de Spartacus n'avait-elle pas comme seul but de ramener les esclaves dans leurs pays ?

Seules l'existence d'une production abondante obtenue sans travail désagréable d'une part, et la disparition de l'agressivité chronique (psycho-sexuelle) d'autre part, peuvent supprimer radicalement toute tentative d'oppression nationale. C'est seulement parce que la disparition des classes et de l'Etat, le communisme, est organiquement lié à ces deux conditions qu'ils signifiera la disparition de l'impérialisme.
C'est seulement dans la mesure où la suppression du capitalisme, le socialisme, assure une meilleure exploitation de la nature et une plus juste répartition du revenu national et de la culture, dans la mesure où il est un acheminement vers le communisme, qu'il signifie une atténuation des tendances impérialistes.
Les classes sont certes une catégorie sociologique universelle, mais en tant qu'ensembles cohérents et vivants, elles n'existent qu'à l'intérieur de ces ensembles plus cohérents que sont les nations.
La situation sociale dans un pays a certes des répercussions sur la situation sociale dans les autres pays, mais les luttes de classes et les révolutions en tant que mouvements historiques réels, sont pour l'essentiel des faits spécifiques liés aux problèmes des rapports avec les autres nations.
Ce que l'on appelle le développement inégal du capitalisme et maintenant le développement inégal du socialisme sont simplement des aspects d'un phénomène général: l'originalité profonde de chaque histoire nationale.
Il paraît évident, mais il est nécessaire de rappeler aux messianistes " prolétariens " que le monde n'est pas divisé en deux classes et donc en deux camps de classe, au sein de chacun desquels il y aurait des différenciations de nation. Le monde est fondamentalement divisé en nations ; les classes ne sont apparues qu'après les ethnies et dans leur sein, l'histoire des nations et de leurs luttes et l'histoire des classes et de leurs luttes s'étant ensuite développées en interaction. Les contradictions primordiales demeurent les conflits impérialistes, les luttes entre nations, et c'est au sein de chacune de ces nations qu'existent des conflits de classes.
Au XXe siècle plus que jamais, il faut admettre que le progrès, et cet aspect précis du progrès qu'est le socialisme, ne peuvent et ne doivent en aucun cas être imposés de l'extérieur à une nationalité au nom d'un prétendu prolétariat international ou sous quelque prétexte que ce soit, faute de quoi ils constituent pour cette nationalité une nouvelle et plus profonde aliénation.
L'indépendance nationale se révèle toujours plus comme l'objectif primordial, préalable à tous autres (socialisme, démocratie, etc.) et ceux-ci ne peuvent se réaliser véritablement que dans son prolongement.


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