INTERVIEW, BEN ET PIERRE CHAILLAN

Ce sont mes positions, mais il m'arrive de changer d'avis.

Ben, quel artiste !

C’est une rencontre dans un couloir mal éclairé d’un bâtiment d’une caserne désaffectée. Un échange bref pour évaluer l’autre. Mais dans ces conditions (dans la pénombre, au détour d’un lieu d’exposition, lors d’un vernissage où plusieurs milliers de personnes se bousculent). Ben se serait-il trompé ? Il acceptait pourtant de répondre aux questions de notre journal, "à condition que ce soit un vrai débat contradictoire". "Moi, j’aime bien la confrontation !" affirmait-il alors. A-t-il bien fait ? L’artiste, pour qui "le doute" est permis, voire encouragé devra encore attendre pour avoir cette certitude.
Dans l’expectative, qu’il reçoive déjà les remerciements de notre hebdomadaire pour nous avoir reçu chez lui, sur les flans de Saint-Pancrace. Remerciements aussi à l’ami Jan-Peire et à Annie pour sa pasta !
Après la publication, peut-être Ben aura-t-il la réponse ? Mais notre "chercheur de vérité" ne sera sans doute pas satisfait pour autant… Et oui ! Ne comptez pas sur lui pour renoncer à son ego ! Entretien.

La récente rétrospective consacrée à votre travail, qui s’est tenue au MAMAC à Nice, s’intitulait " Ben cherche la vérité ". Faut-il y voir seulement une recherche artistique ?


La recherche de la vérité chez moi est un principe de base que je retrouve dans mon attitude artistique politique même quotidienne mais ça il faut le demander à Annie ma femme …elle dit que je mens…

A quoi peut bien servir l’art ? Quel est le rôle de l’artiste ?

Quand je suis pessimiste et c'est assez souvent, je pense que l'art sert au pouvoir pour manipuler et que l'artiste consciemment ou inconsciemment accepte le rôle.
En faveur de cette thèse, le fait que c'est presque toujours le pouvoir qui décide du sujet que l'artiste va peindre.

C’est cette quête de vérité absolue qui vous aurait conduit à réfléchir sur une vision ethniste du monde et à prendre position aux côtés des "régionalistes" ? Selon vous, "l’ethnisme" apporte toutes les réponses aux conflits que connaît le monde…

Je dis que les peuples existent. De la même façon que les individus, ils possèdent leur langue, leur culture et ils veulent survivre. Ma vision du monde, qu’il soit animal, végétal, etc…, est qu’il se base uniquement sur la nécessité de survie, et ce, depuis des millions d’années.
L’homme adopte, lui aussi, des systèmes de survie. Au sein de l’humanité, il existe des communautés qui réagissent à cette règle. (l'individu, pour survivre, s'est mis en communauté). Les Esquimaux, les Kurdes, les Méos, etc…, tous essaient de survivre ! On peut alors parler de dynamiques de survie. Elles ne sont pas obligatoirement positives. Il y a des peuples pour qui, survie, est synonyme d'expansion et de destruction de la survie de l'autre mais toutes sont naturelles. Par principe je dirais que si on maintient la tête d'un peuple sous l'eau pour le noyer il aura tendance à vouloir la sortir de l'eau. Sa réaction peut alors devenir violente et se transformer en agressivité. Par exemple, faisons l’analyse de la montée de l’Islam. Pour moi, cette émergence n’était pas inévitable. Si on avait lâché du lest aux pays Arabes laïques : Nasser, Neguib, le BAAS Syrien, Saddam, etc., on l'aurait évitée.

Toutes les dynamiques Arabes étaient laïques et modernistes. Pourtant, l’Occident a choisi de toutes les abattre, de leur maintenir la tête sous l’eau. Automatiquement, l’Islam dans sa version intégriste a pris le dessus.

Comment comprenez-vous alors ce qui s’est passé le 11 Septembre 2001 ?

Tout de suite, j’ai pensé que c’était un coup de la C.I.A. (qu’ils l’aient fait exprès ou qu’ils aient laissé faire). Et la suite m’a donné un peu raison… Si on regarde de près ce qui circule sur le net, on trouve de nombreux éléments d’informations mettant en cause la C.I.A.. En fin de compte, les Américains ont, depuis toujours, des vues sur l’Afghanistan afin d’y faire passer un pipe-line, un oléoduc puisant le pétrole de la Mer Caspienne. Il leur fallait un prétexte…

… C’est tout de même un peu dingue ! Plusieurs milliers de morts pour justifier une intervention…

Je ne crois pas qu’ils soient eux-mêmes à l’origine des attentats. Ceci dit, il ne faut pas oublier que dans le passé pas très lointain la C.I.A., toujours soucieuse des intérêts hégémoniques et économiques de la nation américaine, a soutenu Ben Laden, en favorisant l’émergence de ces groupes.
Je crois même qu'un des auteurs des attentats avait été repéré par le FBI qui, par deux fois, aurait pu l’arrêter. Mais les services ont reçu une fin de non-recevoir de la C.I.A..Curieux n'est ce pas ?

Ce serait une manipulation qui a dérapé ?

Une manipulation qui a du déraper ou non d’ailleurs. Je ne sais pas. Ca dépend comment on entend les morts. Je crois qu'aujourd’hui, dans les hautes sphères des dites grandes nations, les responsables stratégiques sont complètement hermétiques à l’idée de morts. Pour eux 4.000 morts ou 3.000 ne sont que des éléments permettant de manipuler les opinions publiques à travers les médias. La "real politique" est que les intérêts des Américains, c’est le pétrole de la Mer Caspienne. Deux livres sortis en France ont d’ailleurs accrédité cette idée. Moi, je ne dis pas que la C.I.A. a organisé cette opération mais je constate que dés que les deux tours sont tombées les Américains ont mesuré où étaient leur intérêt. Ils auraient pu attaquer l’Arabie Saoudite, impliquée dans cette affaire. Au lieu de cela, ils vont bombarder Ben Laden en Afghanistan, reprendre en main le pays. ils disent : "on est la pour attraper un terroriste" mais ils s'installent pour la durée. Je l'avais prévu et cela arrive.

L’intervention en Afghanistan a été justifiée par le fait que le chef présumé des terroristes était installé dans ce pays et qu’il fallait punir cet acte d’horreur ?

Oui, il s’agit d’un événement tragique. Quand je pense aux 3000 morts, aux enfants disparus, à la mère qui ne voit pas son enfant rentrer, je suis touché. Mais, en terme de politique internationale, les uns et les autres tirent les ficelles d’un monde beaucoup plus cynique que l’on pourrait croire. Dans les états-majors, les stratèges font rarement du sentiment.

Ben Laden évacue presque totalement la question nationale, il parle d’une question religieuse. En face, Bush a semblé rentrer dans son jeu…

…Les deux parlent de Dieu : l’un comme l’autre voit le mal en l’autre. Mais sur le fond, c’est le désir de domination des anglo-saxons sur le monde entier qui est en cause parce que c'est eux les dominateurs.
Le grand problème stratégique aujourd’hui, c’est peut-être que les Américains abandonnent l’Arabie Saoudite dont ils sont le grand protecteur pour aller vers le pétrole de la Mer Caspienne dont les réserves sont plus importantes sinon aussi importantes.

Pour moi, Ben Laden est un épiphénomène, une poussée naturelle d'adrénaline prévisible à la suite du constat de l'oppression que faisaient subir les Etats nations occidentaux avec pour chef les USA aux les nations arabes et au tiers monde. Les religions servent toujours de prétexte, de dernier refuge. En fait l’influence des religions est secondaire. Je considère plus les peuples et leur droit à parler leur langue. D’ailleurs, on le voit clairement aujourd’hui en Afghanistan. où selon que les prisonniers, sont Pachtounes, Tadjiks ou Arabes, ils n’ont pas tout à fait le même sort. Il faut donc bien partir des causes si l’on veut comprendre le déroulement des événements.

Entre parenthèse, je trouve la situation beaucoup plus dangereuse que ce que vous voyez. Aujourd’hui, tous ces petits peuples qui sont en train d'essayer d'acheter des armes secrètes (virales, bactériologiques…) et rêvent tout haut la nuit de pouvoir découvrir l'arme secrète qui leur permettra de tenir tête au grand méchant géant des USA vont peut être y arriver car de toutes parts les savants annoncent que les découvertes en physique moléculaire etc., en théorie du chaos, en génétique, etc risquent de donner très vite des résultats et que par exemple il sera possible de transformer le simple virus de la grippe en tueuse capable de détruire une bonne partie de l’espèce humaine. Ça c’est dangereux et comme je reste humaniste, j’aimerais qu’on n'en arrive pas à cette situation !

Comment ?

Il faut tout simplement céder du terrain, négocier. Il faut accepter l’autre et arrêter de penser en terme impérialiste car sinon on est voué comme dit Hawking à la fin de l’espèce humaine.

Dans la dernière période, et notamment à partir de 1989 et la chute du mur de Berlin, nous avons assisté à une montée des nationalismes, à l’éclatement de certains pays. N’y voyez-vous pas l’émergence de risques nouveaux ?

Pour moi, les nationalismes ont toujours existé parce que les peuples existent et que le nationalisme c'est le simple désir de survie d'un peuple. Après la seconde guerre mondiale, on a essayé de dire que les nationalismes n’existaient plus, que l’on allait tous s’aimer, que l’on allait tous s’embrasser, parler la même langue ou manger la même "bouffe". Eh bien, ce n’est pas vrai ! Les peuples existent. Le problème c’est que les nationalismes ont deux ou trois dérives dangereuses. Le nationalisme peut se transformer en racisme, en xénophobie ou presque toujours en impérialisme.

Je lutte donc contre tout nationalisme qui devient impérialisme. C’est le cas de la France et de la plupart des états dits occidentaux qui bien qu'ayant abandonné la notion de colonialisme pur maintiennent envers les populations, des peuples dits minoritaires c'est-à-dire les Bretons, les Basques, les Corses, les Frises, les Rêtes, les Alsaciens,les Catalans etc une situation d'oppression culturelle dans les médias et l'éducation nationale. Ceci dit je dirais que ce réflexe impérialiste guette tous les peuples même les Basques ou les Bretons.

Pour répondre à votre question, je dirais que je trouve très positif l'apparition de nouveaux Etats nations surtout quand il s'agit de peuples se libérant d'une oppression impérialiste. De nouveaux pays apparaissent, ils correspondent à l’existence de peuples qui possèdent leurs propres langue, chants, vie etc et méritent à 100% de gérer leurs destins à l’instar des Ukrainiens, de l'Arménie, de l'Ecosse etc. Par contre, ce que je crains, c'est que nous nous trouvions dans une situation où les USA et les Anglais (le pouvoir anglo-saxon )se servent, comme ils l'ont fait pour le Kosovo et même l'Afghanistan en 1998, des revendications nationales justifiées, pour amoindrir la Russie et augmenter indirectement leur projet hégémonique.

Bien sûr, je ne me satisfais pas de l’apparition de conflits nouveaux…
C'est pour cela que la théorie ethnique de Fontan pourrait aider à résoudre ces problèmes mais par la négociation à partir de sa théorie ethnique.

Vous insistez vous sur l’affrontement ethnique mais ce qui dirige le monde semble résider dans la recherche du profit. Vous le dites vous mêmes pour l’Afghanistan, les conflits trouvent leur source dans un choc d’intérêts financiers. Sans nier la dimension culturelle, on le voit bien le capitalisme, système économique basé sur des rapports humains de domination, barre la route à la libération humaine.

Je sens que tous les deux on arriverait à se mettre d’accord. Nous sommes tous deux humanistes. De mon côté, je considère que le moteur du développement et de l'oppression économique d'un peuple sur un autre est au départ culturelle. C'est la nécessité de survie de tel peuple qui crée l'expansion économique de ce peuple Vous dites le déclencheur de l’oppression culturelle est économique. Là, je réponds la dynamique culturelle d’un peuple, d’une langue et donc d’une culture la guerre économique. Je ne nie pas la réalité de l’oppression économique…
En fait entre nous c'est l'histoire de qui fut le premier l'œuf ou la poule ?

Avec la mondialisation ne risque-t-on pas l’uniformisation ?

Je ne peux pas savoir ce qui va se passer dans 1.000 ans. Lorsqu’il y a cinq millions d’années, un type a découvert la roue, il a fait avancer le schmilblik de l'homme. La roue est devenue universelle ce qui n'a pas empêché les peuples d'intégrer la roue dans leur culture. Nous avons là un exemple d’uniformisation. Je ne lutte pas contre une certaine uniformisation qui fait progresser l’humanité : téléphone, ordinateur, etc je lutte seulement contre l'oppression que font subir certains à d'autres au nom de cette uniformisation.

Que pensez-vous alors de l’exception culturelle ?

Grand sujet. Difficile pour un Occitan, un Basque, un Breton, un Corse de ne pas avoir le sourire quand on voit la France avoir peur de l'arrivée du rouleau compresseur anglais. On a tous envie de lui dire :
"Bbien fait pour vous ! vous avez écrasé le Corse, le Basque, le Breton vous avez joué les impérialistes de la langue et maintenant que ça vous arrive vous voudriez qu'on vous plaigne. Non il faudrait leur dire : d'abord que la France signe la charte des langues minoritaires, ensuite qu'elle annonce à haute voix que l'exception culturelle concerne toutes les cultures d'Europe et qu'il faut se battre pour la pluralité et l'égalité de toutes ces cultures donc pour le droit de faire des films en Basque, en Corse et d'avoir des télés en Occitan."

Selon votre définition purement linguiste, différents peuples ne pourraient donc en aucun cas vivre en harmonie dans une même communauté, appelons là nationale ?

Ce n'est pas le mot indépendance lui-même qui est en cause mais les droits qu'il recouvre, ce qu'il contient. Si demain La France reconnaissait le droit aux Basques, Corses, Occitans, Alsaciens etc de gérer leur destin culturel et économique c'est-à-dire permettait à ces régions linguistiques d'enseigner leur langue, de posséder les médias mais aussi de décider des lois qui sont conformes à l'intérêt de la survie de leur communauté, alors appelez-le comme vous le voulez mais vivre en harmonie serait possible.
L'harmonie ne peut exister que si le dominant rend au dominé le contrôle de sa vie. Si, par contre l'ethnie dominante persiste à vouloir faire disparaître l'identité du dominé, l'harmonie sera brisée et un jour ou l'autre le dominé va se révolter.
Personnellement, je suis pour une France qui accepterait le pluralisme et reconnaîtrait le droit des peuples qui la composent à gérer leur destin à l'intérieur d'un ensemble fédéral. Aujourd’hui, hélas la France refuse de signer la charte sur les langues minoritaires ce qui ne présage pas d'une volonté de décentralisation culturelle. En restant bloquée dans son jacobinisme et son centralisme elle prépare son suicide.

Décentralisons donc. La culture et Nice, ça fait bon ménage ?

Nice est une ville où la culture occupe une place très importante.
La situation culturelle niçoise est multiple. Il y a la Villa Arson à qui j'ai longtemps reproché de jouer les ghettos et de ne pas s'ouvrir à la ville. Il y a le musée Mamac à qui je reproche de ne pas ouvrir la notion de contemporanéité à la culture Occitane et à l'expérimentation. Il y a les Musées nécropoles où sont venus mourir nos artistes mais qui servent à alimenter nos touristes en cartes postales. Il y aussi le squat de la Brèche et des Diables Bleus.
Aujourd’hui, j’aimerais que la mairie dise : "Les Diables bleus, c’est positif alors on les soutient" Surtout qu'aux Diables Bleus il y a une dynamique pro-occitane.

Jacques Peyrat a été très dur avec les Diables Bleus ?..

Au début. Maintenant, on verra. Mais, je voudrais qu'eux ne soient pas trop durs avec lui. Les Diables Bleus ont raison de garder leur indépendance et de défendre leur création mais leur but n’est pas uniquement d’être lyncheurs. S'ils avancent leurs exigences en matière d’expression culturelle, ils auront tout à fait le droit de demander ce qui leur revient : le droit à l'expression.
La culture doit être une affaire du pays et pas d'aller pleurnicher à Paris.

Parlons toujours de Nice et culture. En 93 et 94, vous aviez participé au carnaval, avec la réalisation de deux chars "La Ratapinhata" et "Lou Babi". Pourquoi ne pas avoir prolongé les années suivantes ?

C'est simple je ne fus plus invité sinon j'avais plusieurs idées de chars.
Carnaval c'est toute une histoire. En tant que régionaliste pro-Niçois je suis contre l'optique de demander à des Parisiens de venir nous apporter la bonne parole même technologique.
Par contre j'aimerais y voir apparaître du nouveau un nouveau qui ne contredise pas la culture du pays.
Il y a 20 ans de cela dans le Patriote j'ai écrit un texte dans lequel j'avais proposé que l'on fasse pour chaque deux chars classiques un char nouveau par exemple gonflé etc avec participation du public etc
C'est dommage ils ne m'ont pas écouté. Ceci dit j'irais à Carnaval avec mes petits enfants.

C’est si difficile de choquer aujourd’hui que vous deviez vous prêter à une publicité pour des produits surgelés ?

Je n'ai pas fait ca pour choquer mais pour plusieurs raisons et d'abord : être vu
J'ai toujours peur qu'on m'oublie. Je me suis dit : on va me voir partout et ce sera bien.
J'ai aussi gagné un peu d'argent avec lequel je vais continuer mon film sur la vérité.
Les marxistes devraient comprendre : tout est dans la contradiction.

Et dans le rapport de l’art à l’argent, n’y a-t-il pas le danger d’être récupéré, digéré ? De devenir un simple produit de consommation ?

Cette question sur la pub m'intéresse beaucoup
je n'aurais jamais cru être si populaire.

Propos recueillis par Pierre CHAILLAN